Claude Landman : La psychopathologie depuis Freud - Conférence inaugurale 2018

Conférencier: 

EPhEP, Conférence inaugurale, le 13/09/2018


D’abord bonsoir à tous et bienvenue à ceux qui intègrent notre école cette année. Avant de commencer à déplier le titre que j’ai choisi pour la conférence à venir et pour celles que je serais amené à faire dans les semaines qui viennent : « La psychopathologie depuis Freud », puisque tel est mon titre, permettez-moi de faire état du léger sentiment d’étrangeté que j’éprouve, teinté d’un peu de regret, et que probablement certains d’entre vous partagent avec moi, qu’ils soient élèves, enseignants ou responsables de l’école. En effet, depuis sa création en 2010, la conférence de rentrée de l’école était prononcée par le Docteur Charles Melman au titre de sa fonction de doyen que j’occupe désormais du fait de la rotation des responsabilités qu’exigent nos statuts. Jusque-là, c’était dans la salle, parmi vous, et ceux qui vous ont précédés, que je me trouvais pour écouter cette conférence, qui sans revêtir un caractère solennel constituait néanmoins un temps fort de l’année et ce, dans la mesure où nous étions réunis les uns et les autres pour entendre celui à qui revient l’initiative de la fondation de l’École des hautes études, de l’École pratique des hautes études en psychopathologie. Il lui a donné son élan et grâce auquel, entouré par ceux qui l’ont suivi et soutenu par leur travail, cette école connaît aujourd’hui la notoriété dont votre présence témoigne. Mais que chacun se rassure, ainsi qu’il l’a annoncé, Charles Melman, continuera à donner ses cours et à participer activement à nos journées ainsi qu’à certaines grandes conférences qui auront lieu pendant l’année.

Mais revenons au titre qui m’a retenu, entre autres pour son équivoque qui me paraît bienvenue : La psychopathologie depuis Freud. Comment entendre ce « depuis » ? Le premier sens de ce titre, sur lequel je m’arrêterais, fait référence à celui d’un article des Écrits, de Lacan de 1957 : « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud ». Quel est donc ce sens ? Depuis Freud, avec la découverte de l’inconscient et la fonction que la lettre y joue, une nouvelle raison émerge dans la culture. Celle que Rimbaud appelait de ses vœux dans le poème À une raison[1]. Cette nouvelle raison, qui s’inscrit en le poursuivant dans ce qu’on a appelé « le débat des Lumières », tarde néanmoins à être reconnue et tout particulièrement, c’est ça qui est surprenant, tout particulièrement dans le champ où elle a vu le jour : la psychopathologie. Que celle-ci soit individuelle ou collective.

Ainsi que le souligne Lacan en ce formidable résumé que constitue le prière d’insérer – la quatrième de couverture des Écrits – « C’est qu’il est un domaine où l’aurore même tarde », entendez ici par cette métaphore poétique la référence aux Lumières. « C’est qu’il est un domaine où l’aurore même tarde : celui qui va d’un préjugé dont ne se débarrasse pas la psychopathologie, à la fausse évidence dont le moi se fait titre à parader de l’existence[2]. » Ici il s’agit, me semble-t-il, d’une pointe adressée à l’existentialisme sartrien, à la résistance dont cette philosophie à fait preuve et fait preuve à l’endroit de la subversion du sujet classique introduite par Freud. Mais nous verrons que c’est la même nécessité de sauver, de sauvegarder l’existence d’un sujet de la maîtrise et de la connaissance dont ne se débarrasse pas la psychopathologie. Qu’elle se réfère au réductionnisme scientiste et organiciste qu’autorisent les progrès de la neurobiologie ou au psychologisme qui anime toutes les théories psychogénétiques.

Une des questions, je dis bien une des questions, il y en a beaucoup, qui méritera d’être traitée dans le détail cette année est celle de savoir pourquoi s’exerce une telle résistance, comme le souligne Lacan toujours dans le prière d’insérer. Pourquoi donc s’exerce une telle résistance ? je le cite : « à la découverte de Freud, terme qui se rallonge – c’est toujours Lacan qui écrit – ici d’une amphibologie : la découverte de Freud par Jacques Lacan ». Amphibologie, un terme un peu savant, « amphibologie » c’est-à-dire double sens en effet, puisque la découverte de Freud peut s’entendre comme la découverte qui fut celle de Freud, la découverte faite par Freud, mais également comme la découverte de Freud par Lacan. Mais c’est aussi bien la découverte de Freud par tout un chacun, parce que la découverte de Freud selon qu’on entende le déterminatif de au sens subjectif ou objectif, il s’agit soit de la découverte faite par Freud ou la découverte faite par l’un ou l’autre, l’une ou l’autre de Freud. Ici c’est la découverte faite par Lacan, la découverte de Freud faite par Lacan.

Depuis Freud – et c’est là le deuxième sens du titre que j’ai retenu – la psychopathologie ne peut plus être confondue aujourd’hui sans l’apport de l’enseignement de Lacan. Si nous devions résumer avec Lacan cet apport explicite, encore une fois et toujours dans le prière d’insérer, « Le lecteur apprendra ce qui s’y démontre : l’inconscient relève d’une logique pure, autrement dit du signifiant ». Voilà l’apport majeur qui fut, qui est celui de Lacan. Je dis apport explicite car même s’il ne l’a pas reconnu comme tel, cette référence au jeu du signifiant, indépendamment de sa signification, constitue l’essentiel de ce sur quoi Freud a pris appui pour caractériser aussi bien le travail du rêve – il suffit de se reporter à L’interprétation des rêves, ce ne sont que des jeux de signifiants sur lesquels il prend appui – l’oubli des noms propres – pour ceux qui étaient là l’an dernier, j’ai fait tout un travail sur l’oubli du nom propre de Signorelli –, là aussi ce ne sont que des jeux sur le signifiant et la lettre, c’est comme ça qu’il progresse Freud ; qu’il s’agisse de l’acte manqué, de la formation du mot d’esprit – le fameux « famillionnaire » – ou du symptôme.

Nous verrons cependant ensemble, cette année, que l’inconscient au sens strictement structural, identifiable à un ensemble d’éléments différentiels susceptibles de s’opposer entre eux, tel qu’il est à l’œuvre aussi bien dans la linguistique de Jakobson ou dans l’anthropologie de Lévi-Strauss, même s’il constitue, cet inconscient structural pur, un solide point d’appui pour orienter la pratique de la psychanalyse, ne suffit pas – je me permets d’insister sur ce point – ne suffit pas à résumer l’inconscient freudien. Soit l’inconscient comme concept fondamental de la psychanalyse, et ce dans la mesure où ce concept implique également, quoi ?, la prise en compte, ce concept implique la prise en compte de ce qui fut le désir de Freud. L’inconscient, l’inconscient freudien –, c’est pour ça que Lacan l’a appelé ainsi –, l’inconscient dépend de ce qui fut le désir de Freud et puis, par la suite, de ce que Lacan a appelé le désir de l’analyste. Voilà, l’inconscient ce n’est pas un concept n’est-ce pas qui se promène tout seul, comme les grands concepts de la philosophie, c’est un concept qui implique le désir de l’analyste. Je n’ai pas retrouvé la citation, mais je crois me souvenir que Lacan a même pu dire que le psychanalyste faisait partie intégrante du concept de l’inconscient. Je serai amené à y revenir cette année, mais avançons déjà, à la suite de Lacan, dans son séminaire de 1964-1965, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse que, je cite, « Un sujet est psychanalyste – autrement dit pour qu’un sujet soit psychanalyste – et non pas un savant rempardé derrière des catégories, au milieu desquelles il se débrouille pour faire des tiroirs dans lesquels il aura à ranger les symptômes qu’il enregistre de son patient psychotique, névrotique ou autre, un sujet est psychanalyste pour autant qu’il entre dans le jeu signifiant, c’est-à-dire dans ce qui détermine le désir. C’est en quoi un examen clinique – j’ai pris cette citation parce que vous serez amenés à participer à des présentations cliniques, je vois ici Alain Bellet qui dirige depuis de nombreuses années une présentation clinique à Ville-Évrard –, et c’est en quoi un examen clinique, une présentation de malade, ne peut absolument pas être la même au temps de la psychanalyse ou au temps qui précède[3]. »

Il n’y a pas de présentation de malade mais dialogue de deux personnes, et que sans cette seconde personne il n’y aurait pas de symptôme achevé, ce qui condamnerait à laisser la clinique psychiatrique stagner dans la voie d’où la doctrine freudienne devrait l’avoir sortie. Voyez l’enjeu, sortir la clinique psychiatrique, qui a toute sa valeur par ailleurs, vous serez amenés à entendre que cette clinique psychiatrique a toute sa valeur mais, après Freud, depuis Freud, eh bien du fait de l’engagement de l’analyste dans son rapport au signifiant, dans ce qui est un véritable dialogue dans la présentation clinique avec le patient en tant que sujet, eh bien l’analyste s’engage dans le jeu du signifiant. Alors vous voyez, Lacan dit que finalement – alors c’est là aussi où l’aurore tarde à se lever – est-ce que la doctrine freudienne aurait dû avoir sorti la clinique psychiatrique de son ornière, de sa stagnation ? Je dirais aujourd’hui de sa régression. Ce n’est même plus la grande clinique psychiatrique à laquelle il est fait référence aujourd’hui. Alors Lacan me semble-t-il lève un malentendu qui s’était installé notamment avec Michel Foucault – je reviens sur des débats qui peuvent vous paraître datés mais qui ont néanmoins, me semble-t-il, encore toute leur importance ˗, lorsque ce dernier Michel Foucault avançait au cours d’un entretien donné le 15 mai 1966 dans La Quinzaine Littéraire, alors qu’est-ce qu’il dit dans cet entretien ? « L’importance de Lacan vient de ce qu’il a montré comment à travers le discours du malade et les symptômes de sa névrose, ce sont les structures, le système même du langage et non pas le sujet, qui parlent. Avant toute existence humaine il y aurait déjà un savoir, un système que nous redécouvrons. Qu’est-ce que ce système anonyme, sans sujet, qu’est-ce qui pense ? ». Vous voyez l’ambiguïté, l’équivoque, alors que Lacan alors que Foucault parle de Lacan. Lors de la fameuse conférence prononcée par le même Michel Foucault, en février 1969 à la Société française de philosophie, conférence intitulée « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Lacan était présent et il prit la parole dans la discussion qui suivit l’intervention de Foucault pour faire la mise au point suivante – écoutez elle est importante – « Je voudrais faire remarquer que structuralisme ou pas, il n’est nulle part question dans le champ vaguement déterminé par cette étiquette de la négation du sujet, nulle part il n’est question de la négation du sujet. Il s’agit, poursuit Lacan, de la dépendance du sujet – ce qui est extrêmement différent et tout particulièrement au niveau du retour à Freud – de la dépendance du sujet par rapport à quelque chose de vraiment élémentaire que nous avons tenté d’isoler sous le terme de signifiant. » Dépendance du sujet à l’endroit du signifiant, élémentaire ! pas « mon cher Watson » [rires], mais c’est pour Lacan élémentaire, élémentaire. Alors évidemment, on répète maintenant tout ça mais est-ce qu’on en prend véritablement la mesure ? D’autant que cette dépendance du sujet à l’endroit du signifiant c’est aussi bien la dépendance du psychiatre, de l’analyste, à l’endroit du signifiant. J’évoquais tout à l’heure à propos de la présentation dite de malade, alors j’ai évoqué Alain Bellet mais Stéphane Thibierge qui est là à ma gauche a fait longtemps à l’hôpital Henri Ey aussi des présentations de cas et il va poursuivre je crois cette année, peut-être pas à Henri Ey, mais en tout cas il va poursuivre. Très instructif, et je ne pense pas qu’il me démentira ou qu’il démentira Lacan.

Le titre que j’ai choisi, « La psychopathologie depuis Freud », appelle un troisième sens sur lequel je souhaite m’arrêter. Malgré certaines constantes de la clinique, parfois plusieurs fois millénaire, comme c’est le cas pour ce qui concerne notamment le polymorphisme de l’hystérie ou les différentes modalités du discours délirant, un certain nombre de phénomènes psychopathologiques, individuels ou collectifs, se sont soit transformés, soit sont apparus sous le sceau de la nouveauté. C’est ce que nous constatons les uns et les autres pour ceux qui reçoivent des patients. Ils relèvent, ces phénomènes psychopathologiques nouveaux, de ce que nous appelons à la suite notamment du livre de Charles Melman dont je vous conseille vivement la lecture, La nouvelle économie psychique. Cette nouvelle économie psychique est susceptible en effet de rendre compte d’un certain nombre de faits cliniques – je dis bien de fait cliniques – qui sans être identifiables à la psychose ou à la perversion, ne sont pas non plus à rapporter au mécanisme du refoulement à l’œuvre dans la névrose. Refoulement que Freud considérait pourtant comme la pierre angulaire sur laquelle reposait l’ensemble de l’édifice de la psychanalyse. Nous serons ainsi amenés à reprendre, ensemble et à nouveaux frais, à partir de la prise en compte de la clinique contemporaine et de la mutation, de la formidable mutation culturelle et économique qui lui est intimement liée, la question que j’ai déjà évoquée : celle du statut de l’inconscient. Que dire aujourd’hui du statut de l’inconscient lorsqu’on est confronté à cette nouvelle clinique qui relève d’une nouvelle économie psychique, qui est liée elle-même à de nouvelles formes du fonctionnement économique et à des mutations culturelles sans précédent ?

Nous nous demanderons, avec Charles Melman, jusqu’à quel point nous pouvons encore l’appeler l’inconscient freudien, c’est-à-dire – je le cite – « l’inconscient habité par un sujet, par le sujet d’un désir, d’un désir qui est lui-même inconscient et qui cherche à se faire reconnaître ». Cette question du statut actuel de l’inconscient conduit Charles Melman à avancer une hypothèse suffisamment – au départ j’avais dit, j’avais écrit iconoclaste puis j’ai retiré ce terme, je l’ai supprimé, pas vraiment puisque je vous en fais part, mais je l’avais passé dans les dessous, pourquoi ? Parce que je ne suis pas sûr que ce soit iconoclaste, j’ai préféré lui substituer le terme paradoxal  ̶  au sens étymologique c’est-à-dire qui va contre la doxa, contre ce que l’on croit savoir. Hypothèse suffisamment paradoxale pour que nous nous y arrêtions. Je cite toujours la page 110 de Melman « cet évènement – un évènement ! c’est vrai – qu’a constitué la découverte de l’inconscient – c’est un évènement la découverte de l’inconscient, c’est-à-dire quelque chose d’absolument inattendu et qui fait rupture –, cet évènement qu’a constitué la découverte de l’inconscient freudien n’a pas été la découverte d’une propriété physique dans la nature mais la découverte de ce qu’une circonstance culturelle donnée a produit ̶ d’où la naissance de la psychanalyse, c’est-à-dire la naissance de la psychanalyse n’est possible que dans une circonstance culturelle donnée, notamment, elle n’est pas pensable sans l’avènement du sujet de la science, mais pas seulement – j’y reviendrai sur le pas seulement – dans la mesure donc où l’inconscient freudien est venu à un moment de l’histoire, il est clair qu’il peut aussi se transformer ». Je reviendrai bien sûr dans le détail sur les perspectives ouvertes par cette hypothèse que Melman avance, à partir de ce que lui enseigne sa pratique. Alors je peux vous dire – certains le savent aussi – que quand il a commencé à parler de nouvelle économie psychique ça a été, justement dans la doxa lacanienne, des hauts cris ! Ça a été refusé, alors qu’aujourd’hui, aucun analyste ne peut se passer du constat que Melman avait fait il y a déjà une vingtaine d’années.

Oui, à partir de ce que lui enseigne sa pratique, notre pratique, mais arrivé à ce point il convient de s’interroger sur la question de savoir par quel privilège, dans sa rencontre avec l’hystérique, Freud a pu trouver la porte d’entrée dans ce qu’il désigne comme l’inconscient. Comment s’est produit cet évènement qu’a constitué la découverte de la psychanalyse, découverte de l’inconscient ? Pour répondre, tenter de répondre à cette question, je serai amené à reprendre avec vous certains textes de Freud qui ont présidé justement à la naissance de la psychanalyse et en particulier – je vous en conseille la lecture – un texte de 1893, publié dans le numéro 77 des Archives de neurologie, « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques », texte contemporain de la communication préliminaire aux études sur l’hystérie écrite en collaboration avec Joseph Breuer. Nous pouvons considérer que ces deux textes sont au fondement de la psychopathologie psychanalytique. Pourquoi ? Du fait de la subversion – c’est un point que je serai amené à développer – du principe de causalité qu’ils introduisent. Principe de causalité fondamental. Freud, notamment dans son approche de la nature des paralysies hystériques, ne se laisse pas arrêter – c’est formidable quand on lit ce texte, c’est vraiment formidable… Bon il y a l’apport de Charcot, il y a l’apport de Janet, mais lire ce texte, c’est d’une fraîcheur, on voit l’élan qui est celui de Freud, ̶ il ne se laisse pas arrêter par le dogme organiciste strict et intangible du parallélisme anatomo-clinique. Au contraire, il prend allègrement appui sur l’écart, l’intervalle, le hiatus même qu’il constate dans les paralysies hystériques, hiatus entre justement la cause – ce qu’il a appelé la lésion, à l’époque même pour Charcot – non pas d’une lésion organique mais d’une lésion fonctionnelle – Freud reviendra sur tout cela – mais en tout cas il ne s’est laissé arrêter par le hiatus entre la cause et l’effet : la paralysie. La cause : la lésion et l’effet : la paralysie, à la différence de ce qui se produit dans les paralysies organiques où il y a effectivement très clairement repérable un rapport anatomo-clinique. C’est d’un tel hiatus dans le principe de causalité, que Lacan qualifiera de « fantôme de la cause » – voilà il y a dans ce hiatus un fantôme, et qu’est-ce que c’est que ce fantôme ? Le fantôme de la cause qui hante toute l’histoire de la philosophie, d’Aristote à Kant – c’est là, dans ce hiatus, que va émerger avec la psychanalyse une approche de la cause absolument nouvelle, de la fonction de la cause absolument nouvelle, sans précédent.

De quoi s’agit-il dans le travail de Freud sur les paralysies ? Une fois exclue la simulation, parce qu’à l’époque évidemment c’était la simulation qui était avancée pour expliquer les manifestations de l’hystérie, une fois cette simulation exclue, Freud affirme que la lésion des paralysies hystériques doit être tout à fait indépendante de l’anatomie du système nerveux, donc pas de corrélations anatomo-cliniques. Puisque l’hystérique se comporte, dans ses paralysies et autres manifestations, comme si l’anatomie n’existait pas. Comme si elle n’en avait nulle connaissance, l’hystérique, comme si elle n’avait pas connaissance de l’anatomie. J’y reviendrai dans la prochaine leçon, et nous examinerons ensemble à quelle détermination de nature langagière ˗ c’est ça, quand on lit ce texte ça ne peut pas ne pas sauter aux yeux – avec quelle détermination de nature langagière Freud fait appel pour rendre compte de ce hiatus, dans le principe de causalité. C’est ça ce qui est absolument nouveau, et dès 1893.

D’ores et déjà il convient de noter que dans le séminaire de Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964-1965), il donne une réponse à la question de savoir par quel privilège Freud a découvert l’inconscient. C’est vrai, pourquoi est-ce tombé sur Freud ? Il y a probablement une part de contingence, mais pas seulement. Qu’est-ce que nous dit Lacan ? « C’est dans ce mouvement même de parler que l’hystérique constitue son désir. » C’est extraordinaire ça, c’est-à-dire que c’est dans le moment où l’hystérique parle qu’elle, ou il, constitue son désir. « De sorte qu’il n’est pas étonnant que ce soit par cette porte que Freud soit entré dans ce qui était, en réalité, les rapports du désir au langage, à l’intérieur duquel, dans ce champ, il a découvert les mécanismes de l’inconscient. Que ce rapport du désir au langage comme tel ne lui soit pas resté voilé – ce qui a été le cas jusqu’à lui – est justement là un trait de son génie ; mais ce n’est pas encore dire qu’il ait été pleinement élucidé[4]. », ce rapport du désir au langage. Et plus loin il évoque ce qui serait « le péché originel de l’analyse » ̶ il emploie textuellement le terme de péché originel. Il n’hésite pas à employer des termes religieux. Voilà ce qu’il dit : « Le vrai n’est peut-être qu’une seule chose, c’est le désir de Freud lui-même, à savoir que quelque chose dans Freud n’a jamais été analysé. C’est exactement là où j’en étais au moment où, par une singulière coïncidence, j’ai été mis en position de devoir me démettre de mon séminaire, car ce que j’avais à dire sur les Noms-du-père ne visait à rien d’autre qu’à mettre en question l’origine, à savoir par quel privilège le désir de Freud avait pu trouver dans le champ de l’expérience, qu’il désigne comme l’inconscient, la porte d’entrée[5]. »

Lacan, semble-t-il – j’ai bientôt terminé donc on aura le temps d’en discuter si vous le voulez bien –, Lacan avance ici deux éléments essentiels concernant le désir de Freud. Le premier concerne son attention, celle de Freud et même sa docilité, il faut bien le dire, à l’endroit du discours de l’hystérique. Vous savez que la première grande hystérique que Freud a analysée lui a dit « non mais arrêtez de mettre votre main sur le front, laissez-moi parler ». Docilement Freud s’est exécuté, il l’a laissé parler, la talking cure, la fameuse talking cure, chère Anna O. Donc docilité à l’endroit du discours de l’hystérique à la place déterminante qui occupe la parole dans le champ du langage. Même lorsque ce discours se manifeste sous la forme d’un mutisme, c’est-à-dire là où il n’y a pas de parole, en apparence, d’une contracture ou d’une paralysie. C’est ça le génie de Freud, c’est ça la nouveauté de Freud, c’est qu’il a considéré que c’était là, du registre à entendre dans le registre du discours. C’est-à-dire que quelque chose se disait. Même si ce n’était pas par la parole. C’est ce que Lacan résumera dans la formule que nous connaissons : « L’inconscient est structuré comme un langage ».

Deuxième élément sur lequel Lacan insiste, lorsqu’il rapporte ici le désir de Freud en tant qu’inanalysé, lorsqu’il rapporte ce désir de Freud aux Noms-du-père de la religion, Lacan l’écrit « noms tiret du tiret père », Noms-du-père de la religion ; le deuxième élément sur lequel Lacan insiste est la nécessité de laïciser la psychanalyse. Là encore j’y reviendrai. Mais est-ce qu’il est possible d’avancer ? Je conclurais ce point, c’est que si la référence collectivement partagée aux Noms-du-père, à la fonction paternelle, permet au sujet d’accéder à une position sexuée et à l’exercice de la jouissance commune, dite phallique, celle que le travail et la sexualité procurent, c’est au prix du refoulement de son désir singulier à ce sujet, qui fait retour sur un mode symptomatique dans la psychopathologie névrotique.

À l’échelle collective, les effets de ce refoulement du désir ont été identifiés par Freud au titre de ce qu’il a appelé le malaise dans la civilisation. Lacan ira plus loin en qualifiant ce malaise, ce symptôme dans la civilisation, d’une formule sur laquelle il conviendra de revenir : « il n’y a pas de rapport sexuel ». C’est-à-dire qu’il n’existe pas de rapport harmonieux au sens mathématique, arithmétique du terme harmonie, entre homme et femme. La laïcisation de la psychanalyse que Lacan n’hésite pas à entreprendre en exorcisant – parce que ce n’est rien d’autre que cela, c’est un exorcisme – la dimension religieuse qui était et est encore à l’œuvre dans l’économie psychique. Cette laïcisation est rendue d’autant plus nécessaire aujourd’hui que nous rencontrons de plus en plus souvent des manifestations psychopathologiques qui témoignent, de quoi ?, eh bien justement, d’une mise en suspens ou d’une annulation – je ne sais pas quel terme il conviendrait d’employer – de la référence paternelle.

Je ne vais pas en faire un catalogue mais, qu’il s’agisse des addictions, entre autres, des addictions multiples, des nouvelles formes que revêt aujourd’hui la dépression dans son rapport au travail et aux mutations du monde du travail, considérables – il ne suffit pas de parler de burn out à propos de cette nouvelle forme de la dépression –, de la montée en puissance de ce que l’on appelle le transgenrisme – je pense que nous aurons l’occasion d’aborder cette question, le transgenre, c’est une question clinique formidable, d’un intérêt incroyable –, de l’absentéisme scolaire, évidemment, massif, avec inversion du rythme de sommeil. La psychopathologie psychanalytique, dont nous verrons comment elle a été fondée par Freud, est confrontée aujourd’hui à de nouveaux défis. Grâce à Lacan, il me semble qu’elle possède les instruments pour répondre à ces défis. Tant sur le plan individuel que sur le plan social et collectif.

L’ensemble des enseignants de l’école, ses responsables, les responsables de TD et des présentations de cas, se situent sur cette brèche. Ils vous aideront à travailler les textes fondamentaux et à vous orienter dans le repérage des diverses manifestations de la psychopathologie.

Je vous souhaite à tous une excellente année de travail, merci.

[Applaudissements]

Comme je vous le disais, pour une fois je n’ai pas parlé trop longtemps, est-ce que vous avez des questions ? Ce peut être aussi des critiques…

Oui voilà, il y a quelqu’un là, dans la salle à gauche…

Étudiant : Bonsoir, vous avez, au regard de votre sujet effectivement parlé de Freud et de la découverte de Freud par Lacan, vous avez bien insisté sur la question d’inconscient ; est-ce qu’il y a une différence entre l’inconscient de Freud et de Lacan et l’inconscient de Jung ?

CL : Oui, oui il y a une différence majeure, oui.

Étudiant : Et en quoi consiste-t-elle s’il vous plaît ?

CL : Eh bien justement, Jung, précisément, c’est ce que j’ai dit, mais c’est élémentaire justement, c’est que Jung ne fait pas référence au jeu du signifiant dans son approche de l’inconscient, l’inconscient n’est pas constitué d’éléments signifiants ou littéraux pour Jung. L’inconscient est constitué d’archétypes, transculturel, archétypal, donc il fait une place à l’imaginaire, du mythe notamment, considérable. Alors que l’approche de Freud, et de Lacan bien sûr, est plus une approche structurale qui prend en compte la dépendance, notre dépendance, à l’endroit du signifiant, symbolique si vous voulez. Ça c’est une très bonne question, car c’est une question qui revient régulièrement. Pour Freud, Jung c’était le mysticisme, c’est-à-dire l’obscurantisme, répudiation de la rationalité issue des Lumières. Il a été extrêmement ferme avec Jung, et même dur. Il a avancé, bon il y a eu une observation, un cas très célèbre de Freud qui est une réponse à Jung, entre autres mais pas seulement à Jung, c’est le cas dit de L’homme aux loups, où il y fait explicitement référence. Justement sur la question de l’inconscient. Mais après la question de la séparation d’avec Freud, qui a d’ailleurs été extrêmement coûteuse pour Freud, mais surtout pour Jung, il suffit de lire sa biographie, Ma vie, pour voir ce que ça a représenté pour lui cette séparation d’avec Freud. Comment il a tenté de se soigner de l’épisode délirant et mélancolique qui était le sien. Mais après cette séparation il a commencé à produire d’une manière prolifique sur les mythes, essayant de faire des liens entre tous les archétypes de toutes les cultures. Non, c’est une différence majeure. Mais vous avez raison de poser la question, parce qu’on peut se demander jusqu’à quel point cette question n’est pas encore d’actualité. Justement à propos de la psychopathologie et de l’orientation de la psychothérapie, de certaines psychothérapies. C’est une bonne question, vraiment ; elle a l’air d’être comme ça… un peu datée, mais c’est une vraie question. Alors je ne sais pas si j’y ai apporté une réponse…

Étudiante : Il me semble bien avoir entendu que vous disiez qu’il n’y avait pas de présentation de malade, mais rencontre de deux personnes, la seconde donc le soignant « parachevant le symptôme », enfin c’est ce que j’ai reporté sur mon…

CL : « achevant » … « achèvement du symptôme » …

Étudiante : Ça m’intrigue, est-ce que vous pourriez expliciter un peu cela ?

CL : Oui vous avez raison ce n’est pas évident, merci pour la question. Cela paraît un peu énigmatique, en quoi cette seconde personne, celle de l’analyste, celui qui présente un cas, dans un dialogue, en quoi est-ce qu’il achève le symptôme ? Vous avez raison, je vous ferais la réponse suivante : c’est que le symptôme il est adressé et qu’il va représenter le sujet… Pour qui ? Pour quoi ? Donc, l’analyste a à prendre en charge on va dire… la moitié du symptôme, pour que le symptôme puisse se dénouer, sinon il reste le symptôme et il continue à être adressé, à représenter le sujet, sans qu’aucune réponse ne puisse être fournie. C’est dans ce sens-là, enfin c’est comme cela que je l’entends. Alors ça fait référence, c’est un petit peu plus compliqué, à cette fameuse définition du sujet par Lacan : « un signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant » ; le symptôme, si c’est un signifiant, ou un nœud de signifiants, il représente le sujet pour un autre signifiant qu’incarne effectivement l’analyste. Enfin c’est la réponse que je me donne… mais bonne question, bonne acuité parce que c’est vrai, en quoi cela achève le symptôme ?… l’achever au sens de le compléter, il ne s’agit pas de le zigouiller, pas une interprétation sauvage mais… de le compléter, le symptôme, il se complète dans une analyse. C’est comme cela que je l’entends.

Stéphane… ?

Stéphane Thibierge : Oui Claude, tu as amené les choses et ouvert l’année d’une manière que je trouve vraiment très pertinente et qui a bien entendu je crois parce que, effectivement, les deux questions qui ont été posées sont des questions qui viennent, je trouve, vraiment bien ponctuer ce que tu as toi-même apporté, et de façon très juste. Il y a d’ailleurs quelque chose qui résonne, aussi bien dans ton propos que dans les deux questions qui ont été posées, c’est-à-dire que je trouve que tu as amené de façon très bienvenue la difficulté qui est à la fois la nôtre en tant que praticiens et quand nous essayons de réfléchir un peu à ce que nous faisons, et la difficulté qui est celle des étudiants qui viennent à la psychopathologie et à la psychanalyse, à la psychopathologie telle que l’éclaire d’une manière que tu as vraiment très bien soulignée, telle que l’éclaire la psychanalyse.

Je ne vais pas redire ce que tu as dit très bien, je voudrais juste peut-être dire à l’intention des étudiants, qui arrivent ou tous ceux qui sont déjà là, la difficulté, telle que tu l’as très bien marquée par plusieurs points c’est que l’objet auquel nous avons affaire, justement, que toute notre tradition, que toutes nos habitudes nous dissuadent de percevoir, l’objet auquel nous avons affaire, c’est-à-dire comme tu l’as rappelé très très bien, l’inconscient freudien, eh bien cet objet – je voudrais le souligner après toi pour les étudiants qui commencent à travailler avec nous –, cet objet, tout nous détourne de l’apercevoir pour une raison très simple c’est que nous sommes habitués, et notre tradition nous habitue à considérer par exemple – pour reprendre les deux questions qui ont été posées – qu’il y a toujours un dedans et un dehors, qu’il y a toujours un contenu et un contenant. Jung par exemple c’est quelqu’un qui n’a jamais ˗ votre question était très bienvenue ˗ qui n’a jamais pu accepter l’idée que l’inconscient ce ne sont pas des contenus, il n’y a aucun espoir de faire de l’inconscient un réservoir de contenus. C’est-à-dire exactement ce qu’a essayé de faire Jung. De la même manière quand nous recevons un patient, ou quand nous recevons un malade comme on dit – c’est l’objet de la deuxième question, elle est très juste – nous ne sommes pas en dehors par rapport à ce que le malade ou le patient apporte, nous y participons, nous y sommes impliqués dès lors que nous acceptons d’entendre ce qui vient nous être dit. Voyez nous ne sommes pas dans une extériorité où on pourrait dire « oui voilà, le patient c’est lui et puis celui qui sait c’est moi », ou bien « le malade c’est lui et puis le non-malade qui va juger le malade c’est moi », non. Comme tu l’as rappelé très bien Claude, celui qui fait la présentation de malade vient compléter le symptôme, c’est-à-dire qu’il est impliqué lui aussi. Ce dont parle le patient, ce dont pâtit le patient ce dont il souffre, ce dont il témoigne, eh bien de l’autre côté le praticien peut aussi bien en témoigner. Pas de la même façon mais aussi bien en témoigner, c’est-à-dire qu’aucun des deux ne va définir un dehors et un dedans, un contenu ou un contenant. Voilà, et je trouve que dans ta conférence, dans ton exposé, tu as très bien rappelé de différentes manières par la référence que tu as prise à la lettre, par la façon dont tu as rappelé l’objection que Lacan a portée à Michel Foucault sur le fait que le sujet en psychanalyse c’est justement ce qui se trouve ni dedans ni dehors, mais entre deux, la façon dont tu as rappelé ce texte de Freud, que je conseille à chacun de reprendre, de lire, sur la différence entre la conception anatomo-clinique de la paralysie et la conception que Freud relève, c’est-à-dire celle qu’on trouve dans l’hystérie, et la manière – tu l’as aussi dit très bien et je pense que pour les étudiants c’est important d’avoir les repères que tu as donnés ce soir –dont encore une fois l’objet qui nous intéresse, la cause qui nous intéresse, ne sont pas l’objet et la cause que nous sommes habitués à vouloir trouver, c’est-à-dire ne sont pas substantiels, on ne peut pas mettre la main dessus, ce ne sont pas des entités. Enfin voilà, ne serait-ce que pour cela je trouve que tu as très bien amené les choses.

CL : Alain… ? Voilà… très bien… Alain Bellet…

Alain Bellet : Oui, Claude Landman, je ne peux que …en rajouter là sur les compliments qui ont été faits là sur ton intervention, mais je voudrais toujours dans ce même esprit de considérer la position des étudiants qui arrivent et qui ont effectivement, comment dire, déjà été inscrits dans une certaine culture, inéluctablement, qui ont donc un certain nombre de repérages peut-être un peu disparates mais qui existent, et qui donc amènent et de façon tout à fait légitime, à poser ces questions-là hein « est-ce que l’inconscient jungien est celui de Freud ? », etc. Et alors je voudrais te demander si tu serais d’accord pour considérer que justement ça a le mérite de poser la question de la psychopathologie, est-ce qu’il y a une psychopathologie ? Puisque justement là cette année on va aussi, à l’ALI en tout cas, travailler sur le séminaire de La relation d’objet, l’époque de Lacan de la relation d’objet, c’est aussi l’époque pour Lacan d’amener une discussion sur une certaine psychopathologie qui est celle de la relation d’objet de Bouvet, etc. On est là confronté à différents discours ne serait-ce que même proches de Freud, les mécanismes de défenses d’Anna Freud, on peut se demander si ce n’est pas aussi une psychopathologie qui a trouvé un certain développement d’ailleurs, dans certaines écoles. Donc, ce qui est là tout à fait bien orienté, que tu nous as bien amené, c’est précisément de préciser les repères qui vont un peu canaliser notre psychopathologie, en tout cas la psychopathologie freudo-lacanienne. Donc voilà déjà cette question : la psychopathologie, comment peut-on la travailler, la remettre en question ? J’avais aussi envie de dire un mot sur les présentations effectivement, sur cette question de comment l’analyste ou le psychiatre, celui qui va diriger l’entretien dans une présentation de malade, va effectivement être amené à compléter le symptôme en quelque sorte, je me disais que peut-être un certain nombre d’entre vous avez assisté à des présentations de malades dans différents lieux et ont donc entendu différents cliniciens mener des entretiens, et ont été sensibles au fait que, précisément, d’un analyste à l’autre, cette façon de compléter le symptôme sera différente, il n’y a pas là non plus de doxa. Voilà, c’était juste ces remarques-là.

Claude Landman : Merci aussi bien à Stéphane qu’à Alain pour toutes ces remarques. Lacan évoque le préjugé qui est à l’œuvre dans la psychopathologie, mais ce préjugé a été et est encore, il peut être encore tout à fait à l’œuvre dans la psychopathologie psychanalytique. Tu évoquais la relation d’objet mais qu’est-ce que ça voulait dire cette évolution vers un rapport à l’objet harmonieux ? Il est clair que chacun sait qu’un rapport harmonieux entre homme et femme est éminemment problématique, donc on avait affaire à la résurgence du même préjugé qui était à l’œuvre dans la psychopathologie pré analytique. Donc il ne faut pas croire que nous soyons à l’abri de retomber dans ce préjugé. C’est une façon de reprendre ce que tu viens de souligner.

Pour ce qui concerne la remarque de Stéphane, cela mériterait des développements et il est un peu tard, mais c’est vrai qu’il faudrait essayer de travailler ce que je disais, c’est-à-dire ce qu’apporte de nouveau, ce que la psychanalyse apporte de nouveau sur la question et la fonction de la cause. Qui a été un problème philosophique extrêmement problématique, enfin difficile. Pourquoi est-ce qu’Aristote est allé chercher quatre causes ? Ça veut dire que ça n’est pas évident… il en fallait quatre. Et pas la cause et l’effet, il fallait quatre causes. De la même façon, dans l’essai sur les grandeurs négatives, Kant se demandait ce que c’était que la cause. Vous voyez bien que les grands philosophes ont buté ̶ enfin Marie-Charlotte me démentira peut-être ̶ mais de grands philosophes ont buté sur la fonction de la cause, et je dois dire que la remise en question du principe de causalité classique, on va dire, par Freud et puis les avancées de Lacan, qui datent d’ailleurs des années 1940 puisque l’un de ses grands textes, le premier grand texte qui est publié après la guerre c’est Remarques sur la causalité psychique – d’ailleurs grand débat à Bonneval avec ce maître de la psychiatrie française qui était Henri Ey, qui était sur des positions organicistes –, eh bien donc la causalité psychique, la question de la cause, c’est une question que Lacan n’a jamais cessé de traiter, il a fini cette cause par l’écrire avec une toute petite lettre minimale, petit a, voilà, alors là évidemment… mais c’est ce petit a qui fait qu’il y a ce hiatus entre ce qu’on appelle la cause et l’effet.

Alors écoutez est-ce qu’il y a d’autres questions, il y a peut-être la place pour encore une question… sinon… Bon… il n’y a plus de question ? Alors à la prochaine.

[Applaudissements]

Retranscription réalisée sous la responsabilité des étudiants de l’EPhEP

Retranscription faite par : Gaillard David

Relecture faite par : Gautier Nadine




[1] « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, — le nouvel amour !

« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux » on t’en prie.

Arrivée de toujours, qui t’en iras partout. »

Arthur Rimbaud, À une raison, in Illuminations [note du transcripteur].

[2] Jacques LACAN, Écrits, Le Seuil, 1966, quatrième de couverture.

[3] Jacques Lacan, Séminaire – Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, séance du 5 mai 1965.

[4] Jacques Lacan, Séminaire – Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, séance du 15 janvier 1964.

[5] Idem.