Claude Landman : Principales approches utilisées en psychothérapie - 2

Conférencier: 

EPhEP, MTh4-CM, le 19/03/2018

 

                Nous en étions restés la fois précédente, à partir de la prise compte du phénomène clinique essentiel que constitue l’hallucination psychotique, nous en étions restés à la question de savoir ce qui fonde la relation de la perception avec la réalité. Donc, se trouve subvertis dans ce cas,  les rapports entre le dehors que l’on désigne habituellement comme le monde extérieur ou le monde des objets et le dedans qui est identifié généralement au sujet ou encore au moi.

Prenons tout de suite, afin d’illustrer ce point, c’est-à-dire la subversion des rapports entre le dehors et le dedans, un exemple que je n’ai pas encore évoqué, celui de l’hallucination négative persécutrice du double, telle qu’elle a pu survenir, cette hallucination négative, chez Guy de Maupassant qui l’a décrite dans un livre auquel il a donné un titre évocateur puisque ce livre s’appelle Le Horla. C’est quand même assez formidable, il n’y a que les poètes pour faire ça : trouver en un mot ce que moi je vais être obligé de passer une heure à vous raconter. « Horla », c’est-à-dire à la fois là et pas là. Il y a sûrement d’autres lectures possibles de ce « Horla » mais cela en est une. C’est-à-dire qu’on ne sait pas trop, quand on entend « Horla », si c’est en dehors ou si c’est en dedans. Je vais citer un court passage de ce livre où il décrit cette hallucination négative. « On y voyait comme en plein jour. Et je ne me vis plus dans la glace. Elle était vide, claire, pleine de lumière. Mon image n’était pas dedans. Et j’étais en face. Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Je regardais cela avec des yeux affolés et je n’osais plus avancer, sentant qu’il se trouvait entre nous, lui, et qu’il m’échapperait encore, mais que son corps imperceptible… »  Vous voyez « imperceptible », on essaie d’aborder la question de la perception. « Que son corps imperceptible avait absorbé mon reflet ». Vous entendez, je pense, à la lecture de ce passage le statut ambigu, indéterminé dans l’espace, entre le dehors et le dedans de cette présence angoissante du Horla qui peut être à juste titre qualifié comme le fait Maupassant d’imperceptible. Car en effet, la question se pose de savoir ce qui est effectivement perçu par le sujet dans ce cas sinon… sinon quoi ? Cette présence sans corps qui avait absorbé son reflet.

 

                Pour ceux que cette question de la décomposition spéculaire, qui va ici jusqu’à ce terme puisqu’il n’y a plus d’image dans le miroir, intéresse dans la clinique des psychoses intéressent, je les renvoie au texte de Freud, L’ Inquiétante étrangeté,  mais également à l’ouvrage d’un des enseignants de notre école, le Professeur Stéphane Thibierge : Pathologie de l’image du corps :étude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie .

 

                Alors je vais vous poser une question. Quel est l’objet qui est mis en jeu dans cette description de l’hallucination négative par Maupassant ? Je vais vous souffler la réponse. Déjà, je vous ai demandé de lire un texte illisible : Lacan disait de ses Ecrits qu’ils n’étaient pas à lire. Je vais vous souffler la réponse. Puisque maintenant on va s’intéresser aux hallucinations verbales où l’objet qui se trouve mis en jeu c’est la voix. Est-ce que vous avez une idée de l’objet qui est mis en jeu dans l’hallucination négative ? C’est le regard. Vous voyez la voix et le regard sont des objets… Nous serons amenés à y revenir.

 

                C’est également vrai pour le regard, ce sont des objets qui échappent précisément à cette séparation entre le dedans et le dehors. On va en venir maintenant à ce que j’ai évoqué la dernière fois, le fait que certains psychiatres classiques de la fin du XIXème siècle avaient déjà repéré que les hallucinations dites auditives étaient en réalité le plus souvent des hallucinations verbales psycho-motrices. On va revenir sur cette question d’autant que je vais vous citer des passages qui reprennent cette définition de l’hallucination verbale psycho-motrice. Dans son grand ouvrage des troubles du langage chez les aliénés, Séglas avance, à la page 125 : « Dans les hallucinations que nous avons proposé d’appeler verbales psycho-motrices, les malades qui disent avoir des voix de ce genre ne les entendent plus par l’oreille à l’aide des images auditives du mot mais les perçoivent à l’aide des images motrices d’articulation verbale. C’est ce qu’exprimait fort justement une de nos malades en disant : « je n’entends pas, je sens parler ». Un peu plus loin, à la page 133 : « Une autre de nos malades qui a des voix intérieures nous dit qu’elle ne les entend pas dans l’oreille mais que  ce sont des mouvements qui se font en elle et qui lui disent tout cela tantôt dans la tête, tantôt dans la poitrine. Elle dit ne rien sentir dans la langue, les lèvres, la gorge quand elle entend la voix intérieure mais par moment on la voit l’œil fixe, attentive, remuer les lèvres et prononcer des mots indistincts. Elle les répète ensuite tout haut, en disant que c’est la voix intérieure qui vient de parler ». Je vous ai rappelé également la dernière fois que Seglas avait remarqué aussi « qu’au moment où certains patients psychotiques se mettaient dans cette attitude caractéristique dite d’écoute tendue et orientée vers une certaine direction de l’espace d’où paraissaient leur venir les voix qu’ils disaient entendre, ils présentaient en même temps que cette attitude d’écoute, des mouvements de la bouche et des lèvres plus ou moins manifestes, et parfois audibles, quoique le plus souvent prononcés à voix basse témoignant par là, qu’ils articulaient eux-mêmes les propos qu’ils entendaient et qu’ils attribuaient à tel ou tel persécuteur. Autrement dit, non seulement, ils ne reconnaissaient pas que c’était eux qui articulaient les voix qu’ils disaient entendre mais ils ne s’y reconnaissaient pas. Ainsi cette patiente, qui, je cite, croit avoir autour d’elle derrière le cou, dans la gorge, dans la poitrine des personnes ».

 

                Cela c’est important : des personnes. On va y revenir. « Des personnes qui ne cessent de lui parler. Autrement dit, ces voix ne sont pas attribuées le plus souvent à un seul sujet. Ces voix sont attribuées à différents sujets, à des personnes. Souvent si l’on se tient près de son lit et qu’on ne fixe plus son attention, on entend bientôt un bruit très faible qui se produit dans sa gorge, dans sa poitrine. Si on approche de plus près et si on écoute, on distingue des mots, des phrases même. Or ces mots, ces phrases, l’hallucinée prétend que ce sont ces interlocuteurs invisibles qui les prononcent et c’est en réalité ce qu’elle entend. On peut d’ailleurs mieux s’assurer de ce phénomène en priant cette femme d’adresser une question à ces interlocuteurs invisibles ».

 

                J’insiste sur ce point :la question de l’unité du sujet.  « On entend alors la réponse qui se fait dans sa gorge et sans qu’elle soit consciente que c’est elle qui l’a faite. Il ne saurait dans tous les cas analogues y avoir de doutes. Les hallucinations consistent évidemment à entendre des paroles que les malades prononcent très bas à leur insu, la bouche fermée et qui semblent en effet sortir de la poitrine et de l’épigastre. Les aliénés méconnaissent alors leurs propres voix comme on la méconnaît dans les rêves ». Un peu plus loin, c’est à la page 151, Seglas avance encore ceci en faisant état d’un exemple clinique particulièrement frappant : « l’absence d’hallucinations auditives devient absolument indiscutable lorsque la parole involontaire et inconsciente est articulée à voix haute ». C’est évidemment plus que surprenant. « Devenant ainsi perceptible pour l’observateur, quelque singulier que cela puisse paraître au premier abord qu’un individu puisse parler à haute voix malgré lui et sans en avoir conscience, et attribuer à d’autres personnes, les paroles qu’il vient de prononcer lui-même et qui ont frappé son oreille ; le fait n’en existe pas moins ». Vous voyez encore : attribuer à d’autres personnes au pluriel. « Nous avons pu pour notre part observer fréquemment ce fait chez une jeune fille internée à la Salpétrière. Elle se tient ainsi une conversation à elle-même, répondant à des personnages imaginaires qu’elle est persuadée d’avoir entendu. Alors que c’est elle-même qui a parlé à haute voix sans en avoir aucune conscience. On a beau lui assurer qu’on a entendu sa voix, qu’on a vu ses lèvres remuer, elle se défend énergiquement d’avoir parlé autrement que pour répondre à ce qu’elle a entendu. Ces paroles involontaires et inconscientes sont souvent assez décousues. Voici un exemple. Paroles inconscientes et involontaires à voix haute : « Prêtre, votre père, une femme ensorcelée pour la jeter au fumier ». Pendant qu’elle parle ainsi, la malade qui est assise se détourne et paraît écouter comme si on parlait derrière elle. Puis elle se lève, se penche du côté où elle écoutait puis dit, à voix haute mais sur un autre ton : «  Moi je ne comprends rien, je suis innocente ». A mon interrogatoire, elle affirme n’avoir prononcé que cette dernière phrase. Elle a répondu à ce qu’elle avait entendu. Les autres phrases, elle les avait entendues, mais elle soutient que ce n’est pas elle qui les a prononcées ».

 

                C’est une observation unique, très fine, très remarquable, il faut bien le dire qui a été repérée par ce grand aliéniste que fut Seglas. Si on veut accorder l’intérêt qu’il mérite à l’ensemble de ces exemples cliniques qui, quelles que soient leurs différences, leurs nuances, relèvent tous de la catégorie de l’hallucination verbale psycho-motrice, c’est-à-dire à quoi ? A l’évidence, de faits de langage ; il devient bien difficile de ne pas remettre en question la nature de la dimension perceptive qui se trouve mise en jeu dans ce type de phénomènes. Voyez ce qui paraît finalement relativement évident concernant la perception, et on va voir ça, c’est dans le texte que je vous ai demandé de lire et dont je vous ai déjà parlé la dernière fois. On va voir comment habituellement la perception est analysée. On voit bien que cette appréhension spontanée que nous avons de la perception est remise en cause par ce type de phénomènes cliniques.

Il n’a jamais été prouvé que la psychose est un déficit, une déstructuration, une désorganisation, un trouble organique. Evidemment ça ne remet pas en question notre appréhension de la perception. Mais si on est attentif à ce que peut nous apprendre ce type de clinique, jamais Séglas n’a pensé que ces patients et ces patientes, qui présentaient ces hallucinations verbales, trichaient. Il a vraiment pris en compte ce que disaient, ce que rapportaient ces patientes. Car, là, pour l’essentiel, c’était des patientes. C’est une indication éthique que la manière dont on il se situe à l’endroit de patients psychotiques et en particulier du patient psychotique halluciné. Dans le texte de Lacan que je vous avais demandé de lire c’est dans le paragraphe immédiatement suivant, le 3ème, que Lacan fait référence justement au fait qu’il avait, lors d’une présentation de malade, repéré un phénomène hallucinatoire qui n’était pas évident à repérer comme tel. Cela rejoint ce que je vous disais concernant la position éthique qui est celle que nous devons avoir à l’endroit des patients. Lacan parle de cette trouvaille qu’il a faite. Il l’a faite parce que il nous le dit : « Disons que semblable trouvaille ne peut être que le prix d’une soumission entière, même si elle est avertie, aux positions proprement subjectives du malade, positions qu’on force trop souvent à réduire dans le dialogue aux processus morbides ». Nous avons à apprendre, je le disais la dernière fois, je me répète, de la clinique de la psychose. « On force trop souvent ces positions subjectives, à les réduire dans le dialogue aux processus morbides, renforçant alors la possibilité de les pénétrer, à une réticence provoquée non sans fondement chez le sujet ». Lacan le dira d’une autre façon. Il rejoint ce qu’était la position de ces grands psychiatres de la fin du XIXème dont Séglas, dont il considérait qu’il était « le secrétaire de l’aliéné ». C’est-à-dire, il se faisait le secrétaire. Donc remise en question dans l’hallucination verbale, mais c’est vrai aussi de l’hallucination négative du double. Remise en question de la nature de la dimension perceptive qui bouscule comme je vous le disais ce que nous retenons habituellement comme relevant de la perception.

 

                Alors, nous allons maintenant nous aider de la lecture et du commentaire détaillé des deux premiers paragraphes de la première partie (du texte de Lacan D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose) intitulée  Vers Freud , texte de Lacan rédigé en 1958.

Cet exercice de lecture, ne croyez pas que cet exercice m’est facile, cet exercice devrait nous permettre de tirer quelques conséquences sur la nature de la perception, justement dans son rapport à la sensation d’une part et au statut du sujet qui perçoit d’autre part, à partir de l’étude de ces hallucinations verbales. Pourquoi, en effet, Lacan intitule-t-il la première partie de son texte  Vers Freud  ? La réponse que je propose, parce que ce n’est pas forcément la bonne, mais je la propose : il intitule cette première partie  Vers Freud  et ensuite il intitulera une autre partie  Avec Freud  et puis une autre partie  Après Freud ? . Alors pourquoi « vers Freud » ? Dans la mesure où les travaux de Séglas, notamment, anticipent ce que Freud s’attachera quelques années plus tard à mettre en évidence, à savoir que ce qu’on appelle la psychopathologie est à rapporter à des faits de langage et pourrait être rebaptisée, je vous le disais lors de ma conférence d’introduction « la logo-pathologie ». Vous allez voir pourquoi c’est intéressant, même si personne ne retiendra ce terme de logo-pathologie. On en restera à la psychopathologie, c’est-à-dire à une référence à la psyché parce que ce dont nous pâtissons, ce dont nous souffrons quel que soit la structure clinique qui est la nôtre, y compris celle qu’on appellerait avec des guillemets « la structure normale », quelle que soit notre structure, nous souffrons, nous pâtissons, nous sommes les patients de notre rapport au logos, au langage. J’y reviendrai tout à l’heure. Mais le sujet n’est pas celui qui maîtrise ni le langage, ni la perception, le sujet c’est celui qui est le produit, qui est l’effet du langage. Alors la logo-pathologie, à savoir que les souffrances psychiques, et je reprends le terme psychique tout de suite pour essayer de me faire comprendre (Lacan n’aurait jamais utilisé ce terme. il était beaucoup plus rigoureux que nous ne le sommes) alors la logo-pathologie signifie que nos souffrances relèvent de notre rapport aux lois du langage et aux difficultés pour chaque sujet que nous sommes de nouer ce qui est du registre de ces lois dans lesquelles chaque sujet a à s’inscrire avec ce qui est du registre de l’image d’une part, de notre image, et avec ce qui est du registre du réel du corps propre d’autre part. Evidemment si vous êtes un peu avertis des théories lacaniennes, vous entendez bien que ce nouage entre les lois du langage dans lesquelles nous avons à nous inscrire comme sujet relève de la dimension du symbolique, que l’image du corps, l’image spéculaire relève de la dimension de la catégorie de l’imaginaire, le corps propre relève de la catégorie du réel. « Malgré l’avancée de Freud », le texte commence comme ceci, « un demi-siècle de freudisme appliquée à la psychose laisse son problème à repenser. Autrement dit, au statut quo ante ». C’est énorme de dire ça. On est en 1958. C’est éminemment polémique, bien entendu. « Un demi-siècle de freudisme appliqué à la psychose laisse son problème à repenser. Autrement dit, au statut quo ante ». Comme si finalement, nous en étions dans les années 50 à avant Freud. C’est pour cela que le « Vers Freud », on peut entendre aussi, non seulement comme je vous le disais, qu’un certain nombre de psychiatres avaient anticipé ce que Freud aller dégager, mais que Lacan est obligé de revenir vers Freud parce que, au point où nous en étions en 1958, c’est comme si Freud n’avait pas existé.

La question se pose aujourd’hui de savoir si ce n’est pas encore le cas. Comme si dans la psychanalyse, il fallait à chaque fois nous réinventer et que l’effort de chaque psychanalyste, c’est de commencer par, d’aller vers Freud. C’est un peu excessif ce que je dis mais je vous assure que ce n’est pas de l’humilité mal placée, c’est simplement que vous pouvez avoir un savoir académique sur la psychanalyse, sur Freud, sur Lacan et en être encore au  statut quo ante , et pas seulement concernant les problèmes de la psychose.

Là aussi, je pense que c’est une position éthique que de rappeler que le psychanalyste a à redécouvrir ce que fut l’avancée, le pas, l’apport de Freud. Alors, cela passe, bien entendu, par des lectures mais ça n’est pas suffisant. Encore une fois, on peut avoir lu Freud, plus ou moins bien digéré, néanmoins continuer parallèlement à faire comme si ce n’était pas le cas, c’est-à-dire à n’en pas tirer les conséquences cliniques, dans l’approche de la clinique mais aussi bien à n’en pas tirer les conséquences dans sa propre vie dans la manière d’aborder le lien avec autrui, le lien social.

Aujourd’hui, on le voit bien, ça prend une ampleur assez démesurée. Je pense, je ne veux pas faire une critique trop simpliste mais je pense à ce qui est en train de se mettre en place au ministère de l’Education Nationale où à l’évidence il n’est pas question de se référer à notre dépendance à l’endroit des lois du langage mais aux neurosciences et à l’imagerie cérébrale. Autrement dit quand Lacan écrit ce que je viens de vous lire, il va s’attacher dans son article à repenser le problème de la psychose, en tirant, lui, les conséquences de l’apport freudien. Apport freudien qui situe le statut du sujet dans son rapport au signifiant. Conséquences qui n’ont pas été tirées avant les années 50, et ce que Lacan a appelé son retour à Freud. Mais je suis un peu embarrassé car peu de personnes ont lu ce texte, donc je vais m’arranger pour faire en sorte que quelques autres l’aient lu la prochaine fois.

 Je vais juste introduire le texte de Lacan. Dans ce texte, Lacan distingue trois termes, trois termes repris du vocabulaire scholastique, la psychologie scholastique. Vous savez que c’est une grande tradition la psychologie scholastique. Vous ne le savez peut-être pas, mais Saint Thomas d’Aquin y a consacré un volume de 1000 ou 1200 pages. Alors quels sont ces différents termes que Lacan distingue ? Tout d’abord les Sensorium. Voyez, que ça peut faire un peu prétentieux. Pourquoi du latin ? Après tout, sensorium, pourquoi pas les sensations ? Pourquoi est-ce qu’il reprend les termes de la psychologie scholastique ? Parce que ça va être la meilleure façon pour lui de montrer en quoi l’hallucination verbale subvertit, pas tant ces termes, que les rapports qu’ils entretiennent entre eux : leur hiérarchisation. Alors les Sensorium ? Il était quand même hardi, dire ça en 1958, alors que les collègues qui étaient les siens ne s’intéressaient absolument pas à ce qu’avait été la psychologie scholastique. Vous voyez, c’est une façon pour Lacan, comme toujours, de ré-intégrer, en la subvertissant ce qu’il y a de meilleur dans la tradition, que ce soit la psychiatrie classique ou ce qu’il appelle dans ce texte l’Ecole avec un grand E,  c’est-à-dire justement la scholastique.

Les Sensorium, donc les sensations qui nous viennent d’organes sensoriels. Le Perceptum, c’est-à-dire ce qui est perçu et à qui on  doit l’unité dans cette psychologie scholastique et à tout ce qui en a découlé. On est encore pour une part dans cette problématique. Le Perceptum, c’est-à-dire ce qui est perçu, à quoi doit-il son unité en tant que Perceptum, en tant que perception ? Le Perceptum doit son unité au Percipiens, soit à ce qui perçoit et qui est habituellement attribué à une instance de synthèse, un sujet, celui de la connaissance. Celui-ci qui se caractérise par la propriété d’être à la fois unifiant et non divisé. Quel que soit le nom que l’on donnera à ce sujet, on le rendra toujours responsable de l’unité de la perception et de la synthèse des sensations. Pour le dire simplement, et l’appeler par son nom, il s’agit de l’âme dans la tradition, dans la grande tradition. Pas seulement la tradition religieuse, monothéiste mais également dans la tradition antique, de philosophie antique. Il s’agit de l’âme pour l’appeler par le nom qui était le sien dans ce que Lacan appelle l’Ecole avec un grand E, celle qui se référait pour l’essentiel à la philosophie d’Aristote. Ame qui serait la parcelle du divin présente en chacun d’entre nous, quelles que soient nos différences. Le Percipiens, le sujet qui perçoit et qui donne son unité à la perception.

Ces trois termes se trouvent subvertis par la prise en compte de l’hallucination verbale. Là, cela devient très compliqué de maintenir cette hiérarchie des rapports entre ces trois termes à partir du moment où on prend en compte l’hallucination verbale. Et Lacan va avancer une thèse qui réfute l’ensemble des théories psychopathologiques qui, à l’exception de la psychanalyse, échouent à rendre compte de manière satisfaisante de l’hallucination. Il va prendre appui pour soutenir sa thèse sur la conception d’un sujet qui ne soit pas de synthèse, qui ne se réduise pas à l’unité d’un percipens auquel correspondrait l’unité d’un Perceptum, dans le cas présent, hallucinatoire.