Claude Landman : Développement, fonctionnement et processus psychique -3

Conférencier: 

EPhEP, MTh1-CM 3, le 18/10/2018


Vous vous en souvenez peut-être, j’ai conclu notre dernier entretien en vous disant que je repartirais ce soir de ce constat décisif, qui est au fondement de la psychopathologie psychanalytique, de la psychopathologie depuis Freud, ce constat décisif qui est la surdétermination du symptôme, en ajoutant que je prendrais appui sur l’apport de l’enseignement de Lacan pour éclairer et préciser cette propriété essentielle du symptôme.

 

Souvenons-nous du cas de Lucie R. que j’ai essayé de déplier avec vous la dernière fois : Freud suppose que le symptôme qu’elle présente sous la forme d’hallucination olfactive relève d’une substitution, gardez ce terme en mémoire, relève d’une substitution de ce qui fut d’abord une perception objective par une perception subjective. « Cette hypothèse, écrit-il, se trouva bientôt confirmée lorsque je lui demandai quelle odeur la poursuivait partout. Elle me répondit que c’était celle d’un entremets brûlé. J’admis donc simplement qu’elle avait dû réellement sentir cette odeur lors de l’incident traumatisant et je résolus de prendre comme point de départ de l’analyse cette odeur d’entremets brûlé. » Cette hypothèse de la substitution comme mécanisme de formation du symptôme hystérique se retrouve dans tous les cas des études sur l’hystérie rapportés par Freud.

 

Celui d’Elisabeth Von R., notamment, cette patiente atteinte de troubles locomoteurs du type astasie-abasie : astasie, cela veut dire difficulté, voire une impossibilité de se tenir debout, de maintenir la position verticale, et l’abasie, c’est une difficulté, voire une impossibilité à marcher. Alors là, Freud va dire un certain nombre de petites choses intéressantes : la confession de cette malade causa d’abord une grosse déception au médecin – la confession, c’est-à-dire ce qu’elle a rapporté lors des premiers entretiens ; il s’agissait d’une banale histoire de secousse morale, la maladie, le décès de son père, la maladie, le décès de sa sœur, et cætera, et cætera, qui n’expliquait ni pourquoi l’intéressée devrait être atteinte d’hystérie, ni pour quelle raison l’hystérie avait justement la forme d’une abasie. La cause et la détermination de l’hystérie en question restaient obscures. Vous voyez, cette recherche qui est celle de Freud, c’est la recherche de la causalité ; or vous savez que pour Freud, cette causalité sera psychique. Peut-être pouvait-on admettre que la malade avait établi une association entre des souffrances morales et des douleurs physiques que le hasard avait fait coïncider dans le temps. Peut-être fallait-il supposer, il fait un pas de plus, qu’elle utilisait dans sa mémoire les sensations physiques comme symboles de faits psychiques, en l’occurrence, ainsi que nous l’avons vu ensemble, de l’évènement traumatique pathogène. Sensations physiques comme symboles du traumatisme psychique. Il n’était pas encore possible de savoir pour quel motif et à quel moment s’était effectuée cette substitution. Vous voyez, Freud emploie ce terme pour le symptôme de substitution. Il y insiste.

 

Alors là, là c’est intéressant : « C’était là d’ailleurs des questions – c’est-à-dire les questions qu’il se posait, lui, Freud, concernant le déterminisme de l’hystérie, sa causalité, le déterminisme des symptômes – dont les médecins ne se souciaient ordinairement pas jusqu’à ce jour. » Jusqu’à ce jour, autrement dit, jusqu’à ce que lui, Freud, s’y intéresse. « On se contentait de dire que la malade était affectée d’une constitution hystérique et que sous la pression intense d’excitations quelconques – peu importe de quelles excitations il s’agissait, c’était des excitations quelconques, eh bien - sous la pression intense d’excitations quelconques, elle pouvait selon son tempérament développer des symptômes hystériques. » Voilà comment les médecins considéraient la question jusqu’à ce jour, jusqu’à ce que Freud s’y intéresse. Freud sait ici qu’il innove. Clairement. Et il avance lui-même, presque mot pour mot, lorsqu’il utilise ce terme jusqu’à ce jour, jusqu’à lui autrement dit, il avance presque mot pour mot le titre que je mets au travail avec vous cette année : La psychopathologie depuis Freud. Il le dit, là : il va s’intéresser au déterminisme du symptôme hystérique et de l’hystérie en général. En quoi innove-t-il ? Eh bien en transformant, il faut bien le dire, le statut psychopathologique qui était celui du symptôme jusqu’à lui. Depuis Freud, le symptôme n’a plus seulement, et je dirais même d’abord, le statut qu’il a en médecine, c’est-à-dire celui d’un indice diagnostique, d’un signe typique, dans le meilleur des cas, d’une maladie avec laquelle il coïncide. Il y a même des symptômes qu’on appelle en médecine pathognomoniques, c’est-à-dire que quand vous rencontrez tel symptôme, vous savez que ça signifie telle maladie ; c’est un signe typique d’une maladie avec laquelle il coïncide, ce symptôme. Ceci est d’ailleurs conforme à l’étymologie du mot symptôme, sumptoma, qui signifie en grec « ce qui tombe ensemble » et dont la traduction latine puis française est « coïncidence ». Cela tombe ensemble, ça tombe en même temps. En tant que signe, le symptôme médical représente quelque chose, une maladie par exemple, pour quelqu’un, en l’occurrence le médecin et la connaissance, le savoir de la sémiologie qui est le sien. Le signe représente quelque chose pour quelqu’un : c’est la définition, n’est ce pas, qu’en donnera Lacan. On y reviendra tout à l’heure.

 

Avec Freud et la psychanalyse, le symptôme acquiert également, en plus de celui du signe, un autre statut. Ce qui ne veut pas dire que le statut de signe du symptôme disparaisse avec la psychanalyse. Il y a des références à la sémiologie, ne serait-ce que pour des repérages de structure. Mais en plus de celui du signe, il acquiert, le symptôme, un autre statut. Alors quel statut acquiert-il ? Eh bien Lacan va dire ceci : il y acquiert, le symptôme, outre le statut de signe, celui d’une vérité, d’une vérité qui vient troubler l’harmonie attendue de l’ordre établi, témoigner selon Lacan de ce qui ne va pas dans le réel. Voilà. L’hystérique, les manifestations de l’hystérie, viennent troubler l’harmonie attendue, c’est-à-dire qu’une femme ne se mette pas à produire des manifestations qui sont celles de l’hystérie, qui viennent manifestement déranger, qui viennent témoigner de ce quelque chose qui ne va pas dans le réel, en l’occurrence, clairement, de ce qui ne va pas entre homme et femme, ce qui ne va pas, pour elle, dans son rapport à la féminité - rapport éminemment difficile d’ailleurs, pour une femme, que celui de son rapport à la féminité.

 

Donc c’est cette vérité dont témoigne le symptôme et qui vient déranger l’harmonie de l’ordre soi-disant établi. Sur la question du rapport du statut du symptôme avec celui de la vérité, vous trouverez quelques précisions importantes dans un petit texte d’introduction d’une partie des Écrits qui s’intitule « Du sujet enfin en question » dans lequel Lacan évoque ce qu’il appelle « le saut de l’opération freudienne ». L’opération freudienne est un saut. C’est intéressant, ça. Vous voyez, l’opération freudienne est un saut. C’est comme dans l’expression « par l’opération du Saint-Esprit. » C’est vrai. Quand on dit « par l’opération du Saint-Esprit », ça veut dire qu’il y a un saut, qu’on passe d’une explication à une autre, ou qu’on donne une explication qui a la dimension d’un saut. Sauf que comme nous allons le voir, cette opération du Saint-Esprit, qui existe bel et bien contrairement à ce que vous pouvez penser, c’est l’opération du signifiant. Du symbolique du signifiant en tant qu’il peut être créateur de sens. C’est-à-dire qu’à partir de rien, il va se produire quelque chose. Voilà un saut.

 

Je poursuis. « Elle se distingue - cette opération freudienne, elle se distingue - d’articuler en clair le statut du symptôme avec le sien ». Autrement dit, le statut du symptôme et le statut de l’opération freudienne sont identiques. C’est énigmatique. Pourquoi est-ce que le statut de l’opération freudienne serait identique au statut du symptôme ? Si ce n’est, comme nous allons le voir, par la référence au signifiant. À partir du moment où Freud a pris appui sur la référence au signifiant, en effet, nous verrons que le statut du symptôme est celui de l’opération freudienne, autrement dit que le symptôme est fait de signifiants. On va préciser selon quelles modalités.

 

Et c’est ce qu’il dit immédiatement après dans ce petit texte que je vous cite : « Car elle est – cette opération freudienne, l’opération propre du symptôme. Et il poursuit : « A la différence du signe, de la fumée qui n’est pas sans feu, feu qu’elle indique - c’est donc un indice, la fumée, l’indice d’une chose, le feu - avec appel éventuellement à l’éteindre - ce feu, à la différence du signe - le symptôme ne s’interprète que dans l’ordre du signifiant. Le signifiant n’a de sens que dans sa relation à un autre signifiant. » Donc nous sommes dans cette dimension qui est celle du signifiant et qui a ses lois, et le symptôme va obéir aux lois du signifiant. De même que l’opération freudienne est une opération qui a consisté à repérer cette dimension des lois du signifiant qui nous régissent. Cette précision - le signifiant n’a de sens que dans sa relation à un autre signifiant et le symptôme ne s’interprète que dans l’ordre du signifiant - cette précision permet de mieux saisir ce que Freud situe comme étant la condition nécessaire pour que se constitue le symptôme au sens psychanalytique, condition nécessaire sur laquelle j’insiste, et qu’il appelle la surdétermination du symptôme. Surdétermination qui implique un saut, en effet, et que Lacan traduit de la manière suivante dans le texte des Écrits de 1957 « La psychanalyse et son enseignement » : « qu’un élément mnésique - un souvenir autrement dit - d’une situation antérieure privilégiée soit repris - par le sujet - pour articuler la situation actuelle, c’est-à-dire qu’il […] soit employé - cet élément mnésique - inconsciemment comme élément signifiant avec l’effet de modeler l’indétermination du vécu en une signification tendancieuse. » Autrement dit, l’indétermination du vécu va avoir une signification tendancieuse du fait qu’un élément mnésique refoulé va être utilisé comme signifiant, inconsciemment, dans une situation actuelle.

 

Quelques mois plus tard, dans « L’Instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Lacan apportera une précision essentielle concernant cette surdétermination du symptôme exigée par Freud. Je le cite : « Le mécanisme à double détente de la métaphore ». Alors vous voyez, double détente, là aussi il faudra que vous voyiez ensemble ce que ça signifie, pourquoi est ce que la métaphore est un mécanisme à double détente ? En tout cas, vous entendez, à partir de cette référence à la double détente, vous entendez encore la dimension du saut. « Le mécanisme à double détente de la métaphore est celui-là même où se détermine le symptôme au sens analytique. Entre le signifiant énigmatique du trauma sexuel et le terme à quoi il vient se substituer dans une chaîne signifiante actuelle, passe, nous dit Lacan, l’étincelle, qui fixe dans un symptôme, - métaphore où la chair ou bien la fonction sont prises comme éléments signifiants, - fixe donc dans un symptôme - la signification inaccessible au sujet conscient où il peut se résoudre. » Où il peut se résoudre quoi ? Qui ? Le symptôme. Autrement dit, Lacan identifie strictement le mécanisme par lequel se détermine le symptôme, spécialement le symptôme hystérique, à celui qui est à l’œuvre dans la métaphore. Seul le mécanisme de la métaphore permettrait selon lui en effet de rendre compte de cette condition que Freud exige comme nécessaire pour que se constitue le symptôme au sens analytique et qu’il appelle, je vous le répète, la surdétermination.

 

Ce que Freud entend par surdétermination peut être ainsi précisé : le fait qu’un élément mnésique refoulé d’une situation antérieure privilégiée est employé inconsciemment dans une situation actuelle avec pour effet de modeler le vécu de cette situation actuelle sur un mode symptomatique. Alors je vais, parce que ça peut paraître un petit peu difficile, je vais tout de suite vous donner, à nouveau, un exemple clinique de cette surdétermination du symptôme telle qu’elle se trouve ainsi définie.

 

Il s’agit du cas paradigmatique de la jeune Emma que vous trouverez dans L’Esquisse au chapitre « Le proton pseudos hystérique », c’est-à-dire « le premier mensonge hystérique ». De quoi s’agit-il ? Emma, nous dit Freud, se trouve actuellement sous la contrainte de ne pas pouvoir aller seule dans un magasin. Voici donc son symptôme, une phobie de se rendre seule dans un magasin. Je poursuis la citation de Feud : Pour justifier cela, Freud lui demande comment elle l’explique, ce à quoi cela lui fait penser ; pour justifier cela un souvenir lui vient, remontant à sa douzième année, peu après la puberté. Alors qu’elle faisait des courses dans un magasin, elle vit deux commis - elle se souvient de l’un d’eu - qui riaient ensemble, et saisie d’une sorte d’affect d’effroi, prit la fuite. À ce propos peuvent être éveillées les pensées suivantes – Freud continue à lui poser la question de savoir à quoi ça lui fait penser : ils avaient tous les deux ri de sa robe et l’un d’eux lui avait plu sexuellement. La relation entre ces éléments, nous dit Freud, tout comme l’effet de l’expérience vécue, c’est-à-dire le fait qu’elle ait pris la fuite, sont incompréhensibles. Incompréhensibles aussi bien pour la jeune Emma que pour Freud. Et le souvenir éveillé, c’est-à-dire la scène avec les commis dans le magasin, n’explique donc ni la contrainte à fuir, ni la détermination du symptôme. Or, poursuit Freud, une nouvelle recherche met à découvert un second souvenir qu’elle conteste avoir eu au moment de la scène I – la scène I, c’est la scène dans le magasin, avec les commis dont elle avait le sentiment qu’ils riaient de sa robe. Alors qu’est-ce que c’est, ce second souvenir ? Enfant, à l’âge de huit ans, elle est allée deux fois seule dans le magasin d’un épicier pour acheter des friandises ; le patron lui agrippa les organes génitaux à travers ses vêtements. Malgré cette première expérience, elle s’y rendit une seconde fois. Après la seconde fois, elle ne s’y montra plus. Elle se fait alors des reproches pour s’y être rendue une seconde fois comme si elle avait voulu par là provoquer l’attentat. De fait, c’est à cette expérience vécue que peut être ramené un état de mauvaise conscience oppressante. Nous comprenons maintenant, nous dit Freud, la scène I, c’est-à-dire la scène des commis, si nous y ajoutons la scène II, celle de l’épicier. Nous avons seulement besoin, ajoute-t-il, ça, c’est un point essentiel, d’une liaison associative entre les deux - entre les deux scènes. Et vous allez voir quelle est cette liaison associative. Elle indique elle-même que cette liaison est fournie par le rire. Le rire des commis, dit-elle, lui a rappelé le rictus dont l’épicier avait accompagné son attentat.


Vous voyez, ce n’est pas la dimension sexuelle qui fait l’association ; elle éprouve une sensation sexuelle à l’endroit d’un des deux commis plus âgé, et puis elle se fait agripper les organes sexuels lorsqu’elle avait huit ans. Non, ce qui va venir faire que ces deux scènes s’associent pour la patiente, c’est le rire. Le rire qui lui rappelle le rictus. L’épisode peut maintenant être reconstruit comme suit : dans le magasin, les deux commis rient ; ce rire éveille inconsciemment le souvenir de l’épicier. La situation présente une autre similitude : elle est de nouveau seule dans le magasin. Avec l’épicier, ce qui est rappelé au souvenir, c’est qu’il l’a agrippée à travers ses vêtements. Mais entre-temps, elle est devenue pubère. Le souvenir éveille ce qu’il ne pouvait assurément pas faire à l’époque, la déliaison sexuelle qui se transpose en angoisse. Avec cette angoisse, elle a peur que les commis ne répètent l’attentat et elle prend la fuite. Alors là, évidemment, c’est problématique parce qu’à huit ans, est-ce qu’elle était à ce point ignorante, n’est ce pas, de la dimension sexuelle du geste de l’épicier ? En tout cas, ce que Freud dit, c’est que ça ne pouvait pas provoquer une déliaison sexuelle, c’est-à-dire que ça ne pouvait pas provoquer, ce qui reste d’ailleurs aussi problématique, une excitation sexuelle. Ça reste problématique parce que c’est vrai qu’elle y est retournée donc là, la question se pose. En tout cas, c’est comme ça qu’il explique le fait que cette déliaison sexuelle, cette excitation sexuelle, n’avait pas pu se transformer en angoisse, et donc n’avait pas pu entraîner, avec l’angoisse, cet affect d’effroi et la fuite.

 

En tout cas… avant de dire ce que je vais vous dire maintenant, vous vous souvenez que je vous avais parlé du traumatisme sexuel, de la mauvaise rencontre, de ce premier traumatisme : et là, on voit que c’est une rencontre qui est une mauvaise rencontre pour cette petite fille de huit ans. Et puis ce terme de rictus, c’est-à-dire cette figure assez obscène, figure de l’Autre avec un grand A, de l’Autre traumatique, obscène, animé avec la figure d’un rictus, c’est une imaginarisation de ce dont je vous ai parlé – je ne sais pas si c’est la dernière fois ou la fois d’avant, ou les deux fois précédentes, je ne sais plus – de cette première rencontre traumatique avec un Autre qui a cette dimension d’étrangeté et qui est source de surprise.

 

En tout cas, cet exemple montre à mon avis, mais vous pouvez ne pas être d’accord, très clairement qu’un élément mnésique refoulé d’une situation antérieure privilégiée pour son caractère sexuel, la scène de l’épicier - c’est ça l’évènement traumatique refoulé, l’évènement mnésique refoulé, de la situation antérieure privilégiée - que cet élément mnésique refoulé est utilisé inconsciemment dans une situation actuelle - quand elle se rend au magasin et qu’elle pense que les deux commis rient de ses vêtements - cet élément mnésique refoulé est utilisé inconsciemment dans une situation actuelle avec pour effet d’en modeler le vécu sur un mode symptomatique : c’est la scène des commis avec cet affect d’effroi qui lui fait prendre la fuite, c’est ça le mode symptomatique, et plus tard, la phobie de se rendre seule dans un magasin. La surdétermination du symptôme… c’est-à-dire que si on ne reconstitue pas, comme le fait Freud, tous les chaînons intermédiaires, ça apparaît évidemment d’une part comme incompréhensible, inaccessible à la conscience du sujet, et cela témoigne d’un saut.

 

La surdétermination du symptôme est ici repérable et c’est cette surdétermination du symptôme au sens freudien du terme que Lacan identifie, c’est quand même extrêmement important, il identifie cette surdétermination du symptôme, Lacan, au mécanisme spécifique par lequel se produit la figure de style, connue et répertoriée depuis longtemps par la rhétorique et qui s’appelle la métaphore.

 

Le symptôme est une métaphore. Autrement dit le symptôme répond, renvoie à la dimension signifiante, parce qu’une métaphore, cette figure de rhétorique telle qu’elle sera reprise notamment par Jakobson, cette formule de rhétorique, cette métaphore est déterminée par un mécanisme de substitution signifiante. C’est cela qui va produire l’effet de sens dans la métaphore. Pour Lacan, le symptôme est une métaphore et il ajoutera : « Ce n’est pas une métaphore de le dire. » Vous voyez, c’est-à-dire que ce n’est pas par comparaison, ce n’est pas « Le symptôme est comme une métaphore » : le symptôme est une métaphore. De la même manière qu’il dira que le saut de l’opération freudienne que le statut de l’opération freudienne est identique au statut du symptôme. Vous voyez, cela n’a l’air de rien mais quand on essaie de déplier un petit peu précisément ces petits textes de Lacan – qu’on lit, comme ça, on les comprend vaguement, on ne s’y attarde pas - je veux dire que ça va assez loin, ce sont des prises de position comme d’ailleurs Freud avait pris position, qui sont des prises de position véritables, ce sont des thèses, pas des hypothèses.

 

Alors si vous voulez, on va rapidement reprendre à partir du cas d’Emma la définition que Lacan donne du symptôme comme métaphore et voir ensemble comment elle peut s’appliquer, cette définition. « Le mécanisme à double détente de la métaphore est celui-là même… Alors pourquoi à double détente : je vous le dirai un peu plus tard. Peut-être que vous avez des idées, ce serait bien. Pourquoi est ce que Lacan dit que c’est un mécanisme à double détente ? Alors moi, j’essaierai de vous le dire mais j’aimerais bien que vous ayez des idées ; voire que vous contestiez, après tout, cette définition de Lacan.

 

Le mécanisme à double détente de la métaphore est celui-là même où se détermine le symptôme au sens analytique. Sens analytique, c’est-à-dire, dans la psychanalyse, le symptôme est une métaphore, pour la psychanalyse, le symptôme est une métaphore et Lacan donnera au symptôme une dimension assez extensive. Il dira : « Le symptôme, c’est tout ce qui est analysable comme tel » c’est-à-dire tout ce qui relève de la psychanalyse : un rêve, un mot d’esprit, un lapsus, l’oubli d’un nom propre, symptôme, source d’inhibition… Tous ces éléments, il va en faire des symptômes au sens analytique, c’est-à-dire analysables, et analysables en référence au signifiant. Au jeu, du signifiant. C’est comme cela qu’il est entré dans la psychanalyse, c’est comme cela qu’il a produit ce qu’on a appelé son retour à Freud. Entre le signifiant énigmatique du trauma sexuel - c’est vrai que c’est énigmatique, c’est cette mauvaise rencontre avec l’Autre qui laisse en chacun cette énigme de l’émergence du sexuel – entre le signifiant énigmatique du trauma sexuel et le terme à quoi il vient se substituer dans une chaîne signifiante actuelle - comme cela se produit dans le cas de la jeune Emma, nous l’avons vu - passe l’étincelle, nous dit Lacan, qui fixe dans un symptôme, métaphore où la chair ou bien la fonction sont prises comme éléments signifiants… Alors qu’est-ce que c’est dans le cas d’Emma ? Quelle est la fonction qui est prise comme métaphore qui se fixe dans un symptôme ? Quel élément ? La chair ou bien la fonction ? Ici c’est la fonction, la fonction locomotrice qui va être l’élément signifiant du symptôme. Vous voyez, c’est là où une fonction est prise comme un élément signifiant, là, la fonction locomotrice, autrement dit le fait qu’elle fuit ou qu’elle est paralysée à l’idée de se rendre dans un magasin seule, et c’est sa phobie. Vous voyez comment, dans ce cas clinique qui est celui d’Emma, un élément, une fonction, en l’occurrence la fonction locomotrice va être prise comme signifiant. C’est ce que je vous disais lors d’une fois précédente, ce sont des éléments du corps qui sont souvent pris comme signifiants. Ce sont des signifiants primordiaux. Là, il n’y a pas un membre, comme dans les paralysies ; c’est une fonction, la fonction locomotrice. Vous voyez, « la chair ou la fonction ». Sont prises comme éléments signifiants la chair ou la fonction, qui fixent, nous dit Lacan, - cette métaphore fixe – qui fixe dans un symptôme la signification inaccessible au sujet conscient. Voilà. À partir du moment où se fixe le symptôme, où se produit l’étincelle de la métaphore qui substitue un signifiant à un autre, se fixe dans le symptôme une signification inaccessible au sujet conscient.

 

Là, c’est ce qui se produit pour Emma. Emma ne comprenait ni pourquoi elle ne pouvait se rendre seule dans un magasin, ni pourquoi elle avait fui dans la scène des commis. Autrement dit, le symptôme a une signification pour elle, incontestablement elle le repère bien, c’est son symptôme, ça la concerne, ça signifie quelque chose d’être à ce point dans sa vie empêchée. C’est son symptôme elle le repère bien, et ce symptôme a une signification pour elle mais cette signification lui échappe complètement. Cette signification du symptôme lui est inaccessible, comme dit Lacan. Mais encore une fois, elle le reconnaît comme étant son symptôme. C’est-à-dire qu’il a une signification même si elle reste inconnue et énigmatique. Je vous ai parlé du masque du symptôme. C’est une signification énigmatique. Le symptôme a une signification pour le sujet mais cette signification est énigmatique.

 

Alors je reprends et je termine la citation : « la signification inaccessible au sujet conscient où il peut se résoudre. » Vraiment c’est le style de Lacan. On va tout de suite expliquer ce qu’il veut dire par là. Qu’est ce qui peut se résoudre ? À quoi renvoie le pronom personnel « il » dans « il peut se résoudre » ? Eh bien cela renvoie au symptôme. Autrement dit, pour nous en tenir toujours au même exemple, dès qu’Emma, grâce au transfert sur Freud – c’est évidemment déterminant – met en rapport grâce au signifiant « rire » la scène des commis et celle de l’épicier, elle accède à la signification sexuelle de cette dernière qui ne lui était pas apparue compte tenu de son jeune âge et le symptôme se résout ; pfuitt, soufflé. Voilà une jeune fille qui n’arrivait pas à aller seule, qui avait toujours besoin d’être accompagnée pour aller dans un magasin et après avoir rencontré Freud, c’est fini, la phobie est levée.

 

Alors bien sûr, nous sommes avec le cas Emma ou avec le cas de Lucie R. dont je vous parlais la dernière fois, au temps de la naissance de la psychanalyse. Au temps où le symptôme pouvait se résoudre avec autant de facilité et de simplicité. C’est ce que disait Lacan, « ça a la beauté des œuvres des primitifs ». Vous vous souvenez de ça ? Eh bien oui. Alors maintenant, ce n’est plus tout à fait comme cela, en effet. À tel point que le symptôme va pouvoir avoir une autre fonction dans l’économie subjective du sujet. Mais, de toute façon, il va se transformer. Et d’une certaine façon, nous allons le voir, il est susceptible de se résoudre, de se compléter. Vous verrez comment Lacan encore en 1975 définit ce que peut apporter une psychanalyse. Même si ce n’était  plus le temps de la naissance de la psychanalyse, Lacan maintiendra jusqu’à la fin de son enseignement que le symptôme est une métaphore. Que la formation du symptôme – Freud parlait de formation substitutive, et le terme de substitution est le terme qui vaut dans la définition structurale de la métaphore, c’est la substitution d’un signifiant par un autre signifiant - que la formation du symptôme est identifiable à un mécanisme de substitution signifiante qui produit une signification. Il y a une étincelle qui se produit du fait de cette substitution et qui donne une signification, et même produit un effet de sens, pas seulement une signification, un effet de sens en plus de la signification. Mais une signification qui, dans le symptôme, reste inaccessible au sujet et que l’analyse permet de lui restituer.

 

Alors pourquoi à double détente ? Vous avez eu le temps de réfléchir, alors ? Maintenant vous allez répondre ? Ou vous allez objecter ? Pourquoi à double détente ?

 

Alors voilà, si vous voulez, c’est un peu ce que j’essaie de dire : différencier ce qui est du registre de la signification et ce qui est du registre de l’effet de sens. Alors on va prendre une métaphore simple : c’est un enfant, un petit mignon qui doit avoir quatre ou cinq ans, et puis il est là, devant ses parents, voire même devant ses frères et sœurs un peu plus âgés, voire aussi devant des amis de ses parents, enfin en société, voilà que ce gamin de cinq ans dit la phrase suivante : Le chien fait… - alors tout le monde attend whoua whoua, évidemment ; donc ça, ce serait ce qui est attendu. Alors qu’est-ce qu’il va dire ? C’est là où il va faire une métaphore parce qu’il va substituer un signifiant à un autre signifiant et il va dire « Le chien fait miaou. » Cela va éventuellement faire rire les parents, cela va éventuellement un peu les gêner, mais on entend bien qu’il y a une double détente : il y a la signification qui est attendue et puis il y a la signification, l’effet de sens qui est complètement inattendu.

 

-Pourquoi c’est une métaphore, Le chien fait miaou ? Parce que c’est un signifiant qui se substitue au signifiant attendu. La métaphore, Jakobson et Lacan à la suite en ont donné une formule très précise, de la substitution signifiante et de la création d’un effet de sens. Et c’est une formule. Donc ce n’est pas la métaphore seulement au sens littéraire, c’est la métaphore au sens linguistique mais qui vaut quand même pour la métaphore au sens littéraire.

 

Alors le symptôme comme métaphore n’a pas cet effet de produire un effet de sens comme dans la métaphore poétique. Ce n’est pas tout à fait une métaphore poétique, le symptôme. Cela pourrait éventuellement le devenir. C’est cela, la découverte de Freud. À partir de cette signification inaccessible, de cette énigme que constitue le symptôme et grâce à la règle de la libre association, le jeu du signifiant peut se développer. C’est ce qu’on voit avec la jeune Emma. Il lui dit « allez-y, dites ce qui vous passe par la tête », eh bien tout de suite vous voyez comme le jeu des signifiants va se développer. Et en particulier, il y a un signifiant qui va venir faire nœud, nouage, lien entre les deux scènes, c’est le rire. Le rire qui renvoie au rictus et donc à la scène de l’épicier. Vous voyez, mais la règle de la libre association, c’est ça : c’est qu’à partir du moment où vous demandez au sujet d’associer, le jeu du signifiant se développe. Et à partir du développement du jeu du signifiant, vous pourrez éventuellement produire une interprétation.

 

C’est ce qui permet, ce jeu du signifiant - du signifiant : on n’est pas dans le signifié, dans la signification, on est dans le registre du signifiant - c’est ce qui permet, autorise un déchiffrage, déchiffrage qui permet au sujet de réintégrer la signification de son symptôme, en l’occurrence là, c’est quand même souvent le cas, son sens sexuel. Comme le soulignait Lacan en 1975, c’est-à-dire quasiment à la fin de son enseignement, dans sa préface à l’édition allemande du premier volume des Écrits, et je terminerai là-dessus : « L’expérience d’une analyse livre à celui que j’appelle l’analysant le sens de ses symptômes. » Voilà ce que Lacan pouvait dire en 1975 de ce à quoi correspondait l’expérience d’une analyse. Vous voyez, c’est simple, au fond. Eh bien oui, vous pouvez imaginer que ça peut être pour le sujet un soulagement. Alors il ne dit pas que du même coup le symptôme est soufflé, tombe. Mais il dit : c’est ce qui permet, c’est ce qui livre à celui que j’appelle l’analysant le sens de ses symptômes. C’est-à-dire un certain savoir sur son symptôme. Vous ne trouvez pas que c’est bien, ce qu’il dit Lacan, là ? On dit toujours, ah, Lacan, qu’est-ce que c’est difficile ! mais là, franchement… c’est accessible, non ? Voilà ce qu’on est en droit d’attendre d’une psychanalyse. Voilà ce qu’un analysant est en droit d’attendre d’une psychanalyse : qu’elle lui livre, grâce à celui qu’on appelle le ou la psychanalyste, qu’elle lui livre le sens de ses symptômes. Ce n’est pas très loin, ce n’est pas très éloigné de la perspective de Freud. C’est à la fin de son enseignement, c’est-à-dire à l’époque où il développe le nœud borroméen, où il fait référence, au synthôme, quand même, quand il s’adresse aux lecteurs allemands, de l’expérience d’une analyse et de ce que celui qui s’y soumet peut en attendre, il n’est pas loin de donner une définition freudienne.

 

Alors voilà, j’ai terminé.