C.Landman : Introduction à la clinique psychanalytique des névroses - 2

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Lundi 24 mars 2014

Leçon 3

 

 

…........Reprenons en effet ce que Freud avançait avant que je n’ouvre cette parenthèse :

Mon explication commença bien entendu, par n’être pas agréée par le malade. Il dit ne pouvoir reconnaître une pareille influence à ce projet de mariage, qui ne lui fit, à l’époque, pas le moindre effet. Au cours du traitement, il dut cependant se convaincre, par une voie singulière, de la justesse de ma supposition. Il revécut comme une chose nouvelle et actuelle, grâce à un fantasme de transfert, ce qu’il avait oublié de son passé ou ce qui ne s’était déroulé en lui qu’inconsciemment. D’une période du traitement, obscure et difficile, il résulta qu’il avait pris pour ma fille une jeune fille rencontrée un jour dans l’escalier de ma maison. Elle lui plut, il s’imagina que j’étais si aimable et si extraordinairement patient avec lui parce que je souhaitais la lui voir épouser, et il éleva au niveau qui lui convenait la richesse et la distinction de ma famille… Après m’avoir adressé les pires injures et surmonté nombre de résistances les plus opiniâtres, il ne put se soustraire à l’effet convaincant de l’analogie complète entre les imaginations de transfert et la réalité de naguère. Je reproduis ici un des rêves de cette période du traitement, pour montrer dans quel style ses sentiments s’exprimaient : Il voit ma fille devant lui, mais elle a deux sous en crotte à la place des yeux (deux plaques de merde  dans la nouvelle traduction)...

 

Mais revenons un instant sur le rêve de la fille de Freud que rapporte L’Homme aux rats. Dans le Journal d’une analyse, d’après le contexte, il semble s’agir moins d’un rêve que d’une rêverie. Quoiqu’il en soit, les propos exacts du patient rapportés par Freud sont les suivants:

Une autre fois, il voit ma fille qui, à la place des yeux, a « zwei Dreckplatzen », ce qui est traduit ici en français par deux plaques de saleté.

Dans Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Lacan va donner une autre interprétation de ce rêve. Freud interprète en effet ce rêve à partir de l’équivalence fécès=argent, à savoir que, je cite :

Pour tous ceux qui connaissent le langage du rêve, la traduction de celui-ci sera facile : il épouse ma fille, non pas pour ses beaux yeux, mais pour son argent.

Lacan, quant à lui, ne retient pas la signification de « crotte » ou de « merde » pour le mot Dreck, ni celui de « sous » pour celui de Platzen auquel il s’associe, c’est-à-dire l’expression « sous en crotte » pour Dreckplatzen. Ce qui l’autorise à avancer, page 243, se fondant sur d’autres ressources sémantiques du mot composé allemand Dreckplatzen, ce qui suit :

Car c’est ainsi que L’Homme aux rats arrive à introduire dans sa subjectivité sa médiation véritable sous la forme transférentielle de la fille imaginaire qu’il donne à Freud pour en recevoir de lui l’alliance, et qui dans un rêve-clef lui dévoile son vrai visage : celui de la mort qui le regarde de ses yeux de bitume. Aussi bien si c’est avec ce pacte symbolique que sont tombées chez le sujet les ruses de sa servitude, la réalité ne lui aura pas fait défaut pour combler ces épousailles, et la note en guise d’épitaphe qu’en 1923 Freud dédie à ce jeune homme qui, dans le risque de la guerre, a trouvé « la fin de tant de jeunes gens de valeurs sur lesquels on pouvait fonder tant d’espoir », concluant le cas avec la rigueur du destin, l’élève à la beauté tragique.

Pour conclure et surtout pour ouvrir la discussion, il convient de noter que si Freud et Lacan sont d’accord pour considérer que la psychanalyse de L’Homme aux rats n’a pas été jusqu’à son terme, c’est loin d’être pour les mêmes raisons.

Dans ses Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle, Freud, dans une note, écrit en effet ce qui suit :

Je ne réussis pas à défaire, fil à fil, tout ce tissu de revêtement imaginatif (tissu qu’il nommera complexe d’Œdipe à partir de 1910). Et il ajoute immédiatement :

C’est précisément le succès thérapeutique qui s’y opposa. Le patient était rétabli, et il fallait qu’il s’attaquât aux nombreux que lui posait la vie, problèmes trop longtemps restés en suspens, et dont la solution n’était pas compatible avec la continuation du traitement.

Pour Lacan, Freud, ainsi que nous l’avons vu, grâce à son intuition et au mépris de l’exactitude des faits, a donné à son patient l’interprétation qui, en l’introduisant à la dimension symbolique du Père comme élément quatrième, a permis la résolution du symptôme. En revanche, il a selon lui méconnu la signification mortifère de l’image représentant sa fille dans le rêve transférentiel que lui apporte le sujet. C’est ce qui fait dire à Lacan, qu’au-delà du mariage qui a réellement eu lieu entre L’Homme aux rats et sa Dame, les épousailles que le rêve met en scène s’accompliront à l’occasion de la mort d’Ernst Lanzer pendant la Grande Guerre, en 1917, des suites du typhus  contracté derrière les lignes russes où il était prisonnier.