Charles Melman : "Le petit Hans" - 6

Conférencier: 

EPhEP, Séminaire de Charles Melman, le 16/01/2014

 

L’axe général de cette leçon consiste à dire que les premières relations qu’a l’enfant avec ses parents et, en particulier sa mère, ses premières relations sont d’emblée organisées sur la question de l’appartenance et de la répartition phallique dans une relation qui se trouve réglée par l’imaginaire. Autrement dit relation en miroir impliquant donc la confrontation entre l’enfant et sa mère et l’exposition à un risque permanent qui est que son absence puisse être sans retour. Autrement dit, dans cette confrontation, non seulement la tension agressive liée à la concurrence mais encore le risque (interruption de Charles Melman qui reprend son texte)… donc une reprise de l’observation du petit Hans, une reprise de tout le départ du petit Hans sous le signe de la relation imaginaire et concurrentielle nouée entre le petit Hans et sa mère avec cette activité d’exploration chez elle, je veux dire le caractère intrigant du fait qu’il ne le voit pas chez elle mais dit-il : « Tu dois l’avoir aussi grande que celle d’un cheval. » Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il ne la voit pas que néanmoins il dénie son caractère phallique éminent « voire premier » dans l’économie familiale. Dans ce premier temps ce qui est tout de même là encore intrigant est que cette relation semble située dans l’axe qui lie le petit Hans avec sa mère mais, Lacan place cette relation sous le signe d’un tiers qu’il appelle « le grand Autre » et qui est là supposé être le témoin – c’est très étrange – le témoin de cette relation. Mais néanmoins, sans être capable d’apporter aucune garantie quant à la légitimité de l’enfant ou de la mère quant à cette appartenance phallique. Et donc, la façon de venir inscrire la frustration et la privation sous le signe de cette relation imaginaire. Et avec, je dis bien, le risque permanent que la victoire sur cette concurrente ne soit en même temps la pire des défaites puisqu’elle ferait disparaître celle dont la possession phallique a précisément légitimée cette concurrence.

Donc le caractère insoluble, l’absence de toute sortie possible de ce conflit duel malgré la présence de ce tiers. Je suppose que tous ceux d’entre vous qui fréquentent la clinique peuvent évidemment retenir combien ce type de relation imaginaire qui lie l’enfant à sa mère et donc précisément la question de la répartition phallique, de quelle manière ce type de relation peut s’avérer déterminant lorsqu’elle ne trouve pas de résolution dans l’étape suivante qui va être abordée. Combien cette situation peut être définitive et venir marquer à jamais les relations adultes avec autrui, c’est-à-dire les engager définitivement sous le signe d’une concurrence agressive d’un « Ou toi ou moi » qui s’avère ne jamais être satisfaisant quelque soit l’issue évidemment du conflit.

Et donc relecture souhaitable pour chacun d’entre vous du petit Hans avec cette clé pour déboucher comme ce qui va se présenter comme étant l’issue possible de cette impasse et sous la forme donc de l’acceptation, ou pas, du registre symbolique, puisque là nous n’avons affaire qu’à l’imaginaire et au réel. Le réel dans le cas est, là aussi la clinique est, fort-à-propos, étant constitué par le sein maternel.

Alors, qu’est-ce que c’est que la castration ? Puisque là nous sommes entre privation et frustration, qu’est-ce que c’est que la castration pour Lacan et dans sa façon d’interpréter le cas du petit Hans ? Eh bien, elle consiste dans le fait de l’acceptation du renoncement à la possession de l’insigne qu’entretenait la concurrence pour en déléguer la présence et le pouvoir dans le grand Autre et ensuite, dans un second temps, sa répartition et sa distribution au gré de l’engagement de chacun des partenaires vis-à-vis de lui ; cet engagement venant s’inscrire sous la forme d’une dette symbolique. Une dette symbolique dont vous regretterez évidemment comme moi que dans cette leçon le contenu de cette dette ne soit pas précisé. Quoiqu’il en soit, la castration passerait donc par le processus d’un renoncement pour en déléguer la délivrance à cette instance Une dans l’Autre et qui ensuite serait susceptible de la répartir sous la forme du don. Du don. Ça c’est vraiment une drôle d’affaire puisque ça consiste d’abord à reconnaître dans l’Autre, ou à instituer dans l’Autre, la présence d’un Un. C’est un acte arbitraire. C’est un acte arbitraire parce que dans l’Autre il n’y a rien qui fonde le Un. Il n’y a pas de zéro dans l’Autre. C’est un continu assurément ouvert, sans limite et sans rien qui vienne en quelque sorte par une procédure -qui logiquement n’est pas possible si l’on suit ce qu’il en est de la formation des nombres - il n’y a rien dans ce continuum qui se prête, je dirais, à individualiser ce qu’il en serait d’un Un et donc du même coup ce qui serait dans l’Autre. Il faut bien le dire, non plus lalangue en un seul mot, mais Une langue puisque Une langue se caractérise évidemment d’être organisée par des signifiants « uns » et, qui de se référer à l’au-moins-Un qui les justifie prennent le caractère d’être des signifiants maîtres. Maître, c’est-à-dire organisateur du réel sans toutefois épuiser ce réel puisque la propriété du Un est de laisser, d’ouvrir la place de ce qui justement échappe à la maîtrise du signifiant et qui est la place Autre. Mais dans l’Autre il n’y a pas, comme le répète à l’occasion Lacan, d’Autre de l’Autre. Est-ce que je suis clair jusque là ? Oui ? Je suis en train de vous donner en quelque sorte le schéma de ce qui organise ses arêtes, de ce qui organise le texte pour vous en faciliter une lecture qui ne me paraît pas évidente, pas commode.

Lacan pour rendre compte de ce Un dans l’Autre est brusquement passé de cette construction qui est purement logique au mythe, celui évoqué par Freud dans Totem et Tabou – c’est pour vous dire que c’est évidemment un mythe. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi il le discrédite comme si les autres mythes avaient plus de portée que celui-là mais en tout cas, il le discrédite et il inscrit ce Un dans l’Autre sous le signe du Père mort. Alors comme nous sommes ici tous très rationalistes, c’est bien connu, qu’est-ce que c’est que ce « Père mort » ? Et qu’est-ce que j’ai bien pu faire, évidemment, pour que dans l’Autre se situe ce Père mort – ce qui nous ramène bien entendu à cet autre mythe qui est celui d’Œdipe. On peut banalement répondre que ce père mort est le père supposé primitif de la lignée, sans avoir besoin d’aller jusqu’à la horde, et que donc se trouve pour chacun, bien entendu, dans sa lignée un ancêtre. Mais pourquoi cette mort serait-elle l’effet d’un meurtre ? Donc ce qui reste, ce qui subsiste en clinique et dans la vie psychique c’est évidemment la culpabilité. Je veux dire la trace la plus évidente que ce meurtre aurait été perpétré, c’est évidemment la culpabilité qui en subsiste et nous savons que l’obsessionnel se distingue par ce trait que je trouve à chaque fois magnifique tellement il est pur. C’est toujours très pur chez l’obsessionnel. La structure est dénudée de façon tellement remarquable qu’il a besoin toujours de se retourner en arrière voire de revenir sur ses pas, pour vérifier au cours de son trajet qu’il n’aurait pas par inadvertance zigouillé quelques passants, quelques cyclistes… J’ai le souvenir, toujours, des tourments de ce brave homme qui était médecin militaire, qui est arrivé chez moi épuisé – toujours très en retard évidemment – à cause des allers retours auxquels il se trouvait contraint pour vérifier et pour demander si une ambulance n’était pas passée et avait ramassé quelque cadavre sur la voie. Et, comme si justement – c’est étrange tout de même – ce trait de rétention propre à l’obsessionnel avait un lien, un rapport avec la crainte justement d’une séparation, d’une coupure, d’une exonération qui serait responsable de cette mort. C’est comme si donc il fallait sans cesse protéger le père du risque de cette mort.

Mais là je suis dans une digression clinique qui ne figure pas dans la leçon et qui nous ramène à ceci que Lacan isole ce père mort également sous les traits du surmoi dont il note dans l’histoire du petit Hans la manifestation, la présence. Ensuite, ce serait donc aussi une question de dette. La dette, remarquez-le avec ce que je viens de raconter, nous commençons à saisir mieux en quoi elle consiste. Elle consiste tout simplement à renoncer à la possession de ce trait puisque on le lui délègue. Et c’est sans doute cette délégation, de ce trait qui vient constituer dans l’Autre ce Un. Lorsque Lacan a été interrogé à l’occasion de Vatican II – vous vous en souvenez tous bien sûr, je pense que vous étiez tous nés au moment de Vatican II, eh bien lorsqu’il a été interrogé sur la question du mariage des prêtres, Lacan a mis son beau chapeau. Il avait un chapeau qui le faisait tout à fait ressembler au traître de la comédie italienne, à trois bords, un tricorne, c’était très étrange. Et il est allé à Rome (au Vatican) pour expliquer qu’il ne fallait surtout pas autoriser le mariage des prêtres puisqu’il fallait bien qu’il y en ait pour qui le sacrifice est explicite et définitif, pour que dans l’Autre il y ait du Un paternel, du Un phallique, du surmoi. C’est aussi bête que ça d’un côté. C’est un marchandage élémentaire. Mais en tout cas donc la castration comme vous le voyez c’est ça pour ensuite, je dirais, se livrer au caprice supposé de ce Un dans l’Autre et du don qu’il voudra ou ne voudra pas faire. Et comme vous le savez, il y a des églises qui se séparent sur ce point, puisque le protestantisme s’est distingué dès son origine matricielle par justement l’affirmation que Dieu accordait la grâce à ceux qu’il voulait. C’était son libre arbitre. Autrement dit, il ne pouvait pas être contraint, Dieu, par la nécessité de la donner à tous parce que donner à tous cela aurait été, je dirais, le lier à une contrainte incompatible avec son statut. Et que donc finalement, il le donnait à qui il voulait, la donnait à qui il voulait et quelles que soient les œuvres. Vous savez tous, je dirais, les conséquences pratiques dans la vie sociale et familiale évidemment. Une petite disposition qui à l’air comme ça de pas grand chose, de petits détails. C’est comme dans la religion orthodoxe où est refusée la consubstantialité du père et du fils. C’est ce qui distingue la religion orthodoxe de la religion catholique romaine. Ça n’a l’air de rien ça aussi, la consubstantialité du père et du fils, pour dire qu’il y a une inégalité définitive entre le père et le fils. Et là aussi, vous réfléchirez sur les conséquences politiques et les modalités du rapport au pouvoir que peuvent entraîner ce qui a l’air de simples spéculations, un parti pris de théologien, et les modalités que ça va induire et du rapport de ceux qui vont être définitivement condamnés à être des fils et donc livrés en quelque sorte à ceux qui occuperaient la position injoignable des pères.

Alors si je vous donne là donc la strate de ce texte qui se conclut d’une façon qui est à la fois occasionnelle, autrement dit qui répond à ce qui était à l’époque un bateau des théories analytiques et qui était donc le souci, l’encouragement au bonheur conjugal, à la complétude de la relation conjugale. Et donc pour faire valoir le type de dysharmonie qui se trouve d’abord introduit par justement le fait que ce don venu du père n’est évidemment pas le même dans les deux cas, dans les deux sexes. Il va entraîner, par exemple, pour une femme une revendication narcissique originale, d’un côté. Et puis également  – mais ça on a déjà eu l’occasion d’en parler – une exigence à la monogamie puisque le fait d’être distinguée comme Une, autrement dit comme marquée par ce trait, néanmoins ce trait ne lui permet pas de venir s’inscrire dans un ensemble des femmes dont elle serait l’une des représentantes comme si « les femmes » ça existait. Si « les femmes » ça existait, elle pourrait bien sûr se vivre une parmi les autres. Mais si « les femmes » ça n’existe pas, à ce moment-là elle ne peut se soutenir, se réaliser dans la possession de ce trait que comme étant l’exception, c’est-à-dire « La femme ». Et alors, comme je l’évoquais tout à l’heure, cette fin ébouriffante qui consiste à dire qu’à partir du moment où le conjugo a été décidée par un amour réciproque, il est incestueux. Je pense – moi je n’y étais pas à cette époque-là – je pense que ça a dû faire pas mal de bruit dans les chaumières quand même. Car, il est évident que le mythe standard du bonheur conjugal est quand même l’une des premières exigences qui puisse être mise en circulation dans notre culture, le bonheur conjugal comme une promesse, comme une exigence, comme une dette, comme un devoir.  Quelque chose qui vient s’inscrire sous le signe du surmoi puisque ce ne serait quand même pas le bon père dans l’Autre qui serait capable de manigancer un truc qui viendrait décompléter la bonté de son don, la qualité de son don quand même ! Donc la discorde conjugale serait en quelque sorte une injure, une offense faite à celui qui a été généreux avec chacun des deux partenaires. C’est vraiment savoir profiter de sa générosité. Et alors pourquoi est-ce que cela rendrait du même coup l’union conjugale incestueuse ? Alors là, Lacan avance sur des pattes de velours, il a rentré les griffes pour faire valoir que l’amour c’est primordialement ce qui se porte pour l’enfant originellement sur la mère avec le souci justement de la faire valoir comme Une phalliquement marquée. Et dès lors que c’est, je dirais, chez le partenaire qu’est exigé qu’il soit le support de l’amour, c’est s’engager sur la voie que je viens de dire.

Ceci donc, ce que je viens donc là pour vous de dessiner à grands traits, pour vous guider dans la lecture de cette leçon 12 qui assurément mériterait que dans l’Ecole ou que dans l’Association on consacre – puisque l’on se sert de terme de « castration » sans savoir en général de quoi on parle – mériterait que l’on passe au moins une journée pour débattre de cette leçon. C’est vraiment un coup de force et dont comme vous le voyez, les résonnances vont très loin.

Si je reprends maintenant avec vous, pour situer un modèle de la lecture qu’il y a à faire de ce texte, je pense que nous avons encore plusieurs rencontres devant nous consacrées au petit Hans, j’en assurerai peut-être avec vous justement une lecture partagée. Si vous prenez ce tableau que j’évoquais à l’instant et dont je vous ai spécifié la combinatoire, vous voyez quelle était sa façon d’enseigner tout de même. Ça devrait avoir eu un rôle stimulant sur les ménages, que ça n’a pas forcément eu. Vous voyez que cela part de ce qui est le père symbolique inscrit donc dans le langage.

Qu’est-ce que ça veut dire inscrit dans le langage ? Là encore, est-ce que c’est une formule passe-partout ou est-ce que ça correspond à quelques simplifications de l’écriture ? Qu’est-ce que ça veut dire le père symbolique comme inscrit dans le langage ? Ça veut dire que lorsque nous parlons, autrement dit dialoguons – il ne s’agit pas du soliloque, le soliloque ça ne mène jamais bien loin. Lorsque nous nous adressons à autrui, c’est-à-dire que nous mettons en œuvre un discours, les places de chacun des partenaires, des interlocuteurs, se trouvent réglées par leurs rapports dissymétriques à l’autorité dont se réclament les signifiants qui vont être actionnés à l’occasion de ce dialogue. Pour qu’il y ait un dialogue, vous ne pouvez pas vous dispenser de ce tiers qui est là présent par son absence même entre les deux et qui règle, je dirais, leurs places et qui règle également les possibilités signifiantes qui leur sont données pour entrer en relation l’un avec l’autre. Et, quelque soit cette relation, qu’elle soit de l’amour, qu’elle soit sexuelle, qu’elle soit de haine, etc. Et comme vous le voyez, on peut être aussi abstrait que je le fais sans avoir à spécifier le type de discours puisque là aussi il y a une combinatoire qui fait que ces discours ne peuvent être que quatre et peut-être cinq mais pas plus. Si l’on se dispense du passage par le discours, est-ce que deux interlocuteurs ne peuvent pas néanmoins s’apostropher ? Bien sûr, ils le font. Ça fonctionne et même ça fonctionne de plus en plus et c’est ce que l’on appelle le contrat. Non plus la loi, c’est-à-dire la référence à celui qui… je ne vais pas tout reprendre mais le contrat c’est-à-dire la façon pour les deux partenaires, cette fois-ci, soit de se reconnaître dans leur similitude. Ils sont frères, ils sont semblables, ils ont les mêmes goûts, ils font les mêmes voyages, ils ont la même musique, etc. Et, comme cette mêmeté finit évidemment, je dirais, par réaliser l’entropie du système, c’est-à-dire qu’il n’y a plus rien à moudre, à ce moment-là, vont surgir les différences qui très facilement et même nécessairement mènent à la séparation. Au conflit et à la séparation. Là aussi, je suis en train de vous faire de la clinique parce que là aussi vous connaissez parfaitement ce type de relations. Arriver à être semblables entre partenaires pour pouvoir devant la réussite finir par se détester et donc à tout prix forcer la mise en place d’une différence qui ne sera pas moins, je dirais, insupportable puisqu’il y a là divorce. Donc vous voyez, il y a là quand même une petite morale qui est cachée là derrière. C’est que l’accord des différences et qui commencent bien entendu par la différence sexuelle ne peut se faire que par la référence commune, partagée à ce père mort et en tant que justement par la différenciation des dons qu’il opère – celui que reçoit le garçon n’est pas le même que celui que reçoit la fille, eh bien, par là même met la différence sous le signe de l’espoir d’une possible jouissance partagée.

Je dis ça parce qu’il est évident de plus en plus, ce qui circule sur internet et qui est considérable se dispense du discours. C’est sûrement l’un des traits de ce qui circule sur internet, c’est-à-dire la recherche justement d’un type de communauté ou la mêmeté des participants, leurs identités, leurs égalités, leurs partages des mêmes goûts, etc. serait susceptible enfin de guérir le mal qui vient de la différence. Avec le discours, elle n’est jamais parfaitement soluble. Elle n’est jamais parfaitement heureuse. Et donc cette tentative de dépasser cette impossibilité par la constitution de communautés homogènes et qui donc se dispensent de discours et fonctionnent, je dirais, par une approche signifiante sans cesse exposée bien évidemment aux risques que le signifié ne soit pas forcément partagé par les deux partenaires. Pas forcément. La signification n’est pas forcément commune. Mais en tout cas, ça introduit une modernité et une diversité des possibilités de relations qui est sûrement très intéressante d’observer et de suivre, y compris dans ses effets qui d’ailleurs ne s’accomplissent parfaitement que lorsque le langage cède à sa fonction purement musicale ; puisqu’il y a dans toute parole une partie incluse qui est une partie chantée. Il y a même actuellement des travaux assez surprenants, je dois dire, qui tendent à montrer qu’il manquerait dans la voix des mères de bébés autistes la musique qu’il faudrait. Hein, c’est fort quand même ! Il y a des phonogrammes impressionnants puisque ça fait très scientifique, très rigoureux et donc que les mamans de bébés autistes ne leur chanteraient pas la parole comme il faut. Et nous savons tous comment justement les mamans ont cette particularité. Elles ne parlent pas au bébé, elles lui chantent les paroles. Il y aurait une chanson là qui devrait aller de soi alors qu’elle mérite une interrogation…

Donc pour revenir à notre légitimation d cette présence du Un dans l’Autre, en tant qu’il s’avère dans sa position de surmoi, de père, de phallus. J’ai hésité parce que vous verrez dans ce texte quelque chose d’étrange, parce que finalement Lacan dit que un père qui peut dire ce que c’est ? C’est même impossible à dire. Ce sont des formules que je reprendrais avec vous la prochaine fois et qui sont très intéressantes. Ne serait-ce d’ailleurs que par, si j’ose m’exprimer ainsi, par relent de théologie puisqu’on est au Centre Sèvres, je veux dire finalement le caractère inconnaissable de celui dont l’unique trait finalement c’est qu’il est un trait. Donc voyez Lacan n’est pas gnostique. Alors quoiqu’il en soit pour déjà ce soir regarder ce tableau ternaire qui est exposé agressivement à notre vue éberluée, le père symbolique celui-là il est là. Il est là dans le langage. Pas de discours sans lui et également pas d’homme et de femme. Ce qui vous amène directement à cette conclusion très simple, c’est qu’à vouloir supprimer homme/femme, c’est-à-dire à réclamer l’égalité, l’abolition des différences consiste très exactement à supprimer celui qui dans l’Autre est l’agent supposé responsable en tant que père, en tant que phallus. On ne sait pas qui c’est mais on lui attribue quand même une jouissance à ce père. C’est cela qui est étrange. On ne peut pas dire quel est son être sauf : « Tu es ce que tu es » ce que Lacan détournera en : « Tu es ce que TU… boum… ce que TU es. » Mais en tout cas, on lui prête une jouissance, ça c’est la religion. On lui prête une jouissance puisque le langage ce n’est pas toujours forcément un donateur de partenaires religieux. La religion lui suppose une jouissance, c’est que son geste donateur du phallus et de la reproduction est supposé lui plaire et lui faire plaisir quand on fait usage de son cadeau.

À propos de ce cadeau, si j’ose dire, il y a un paragraphe, nous le verrons également de façon plus précise, très intéressant sur la problématique du jeu. Pas du jeu de cartes, ni du jeu du bilboquet. Non, mais du jeu de hasard, autrement dit la mise qui est faite dans l’attente d’un retour qui serait un cadeau avec, comme vous le savez, l’existence de cette catégorie très intéressante – moi, il y a longtemps que je n’en ai plus vu – c’est une catégorie passionnante, il y en a peut-être parmi vous d’ailleurs, cette catégorie des joueurs. Intéressante puisqu’il s’agit, comme nous le savons, et c’est énigmatique, d’une addiction, avec la question qui surgit aussitôt : mais quel est l’objet de cette addiction ? Quand il s’agit, je ne sais pas moi, du golf ou du hash, bon ça va, on comprend. Mais quand il s’agit d’une addiction au jeu, au casino, quel est l’objet de cette addiction ? Et, le plus beau texte clinique sur cette addiction, vous le connaissez, c’est évidemment le texte de Dostoïevski. C’est d’une justesse… Du jeu, c’est-à-dire donc voilà, non pas je paie ma dette mais je t’offre une mise et qu’est-ce qui va arriver en retour ? Vous reconnaissez là la spéculation qui a intéressée cet esprit extraordinaire qui était Pascal. Avec cette discussion chez Pascal formidable, c’est-à-dire la répartition des gains quand la partie s’arrête parce que normalement chez le joueur, la partie s’arrête quand il va se jeter du haut d’un pont. Ce n’est pas n’importe quoi non plus. Mais là, si la partie s’arrête en cours de route, comment faut-il répartir les gains ? Et, est-ce qu’au cours d’une vie, au cours d’une existence, il n’y a pas justement si facilement en permanence cette question de la part de jouissance qui revient à chacun ou bien de celle qu’il doit et dont le sacrifice est dû.
Alors vous avez remarqué, je vais m’arrêter là-dessus ce soir, que ce sacrifice c’est un sacrifice symbolique. Qu’est-ce que c’est qu’un sacrifice symbolique ? Comment est-ce possible ? Alors vous arrivez immanquablement au premier des sacrifices symboliques inscrit dans l’Histoire de notre culture et à propos duquel on continue inlassablement, il faudrait voir les milliers de pages consacrés à ce qu’est ce sacrifice quand même, alors qu’on ne sait pas dire si c’est le sacrifice d’Abraham ou d’Isaac. Qu’est-ce qu’il faut dire ? Alors on dit la ligature comme on ne sait pas qui fait le sacrifice et le supposé sacrifié dans l’affaire. On dit la ligature d’Isaac ce qui n’est pas très joli hein… la ligature… Moi, j’ai déjà entendu là-dessus tout et n’importe quoi. Le sacrifice chez les Grecs et à l’époque je dirais « gentille » eh bien comme dirait Lacan, ils n’étaient pas si gentils que ça parce que le sacrifice était bien réel. Et même, comme vous le savez, on prenait les plus beaux jeunes gens et jeunes filles – je crois que nous serions ici sûrement très concernés – on les mettait sur un bateau et… bon. Sacrifice réel. Et voilà quelque chose qui se passe, c’est que c’est un sacrifice symbolique. Il y a quand même un animal qui est sacrifié dans l’affaire, bon il peut se dire que bien entendu plus tard c’est une corne de bélier qui va venir rappeler l’affaire et qu’il rentre dans l’Histoire mais enfin le bélier, il n’est pas content quand même. Ça c’est clair. Mais, il est clair que ce bélier est symbolique de la part d’animalité qui est évidemment présente en chacun de nous et dont il s’agissait de faire le sacrifice pour plaire à ce Dieu et afin d’accomplir son humanité. Et que ce soit un bélier c’est-à-dire le représentant, je dirais, évident du facteur de reproduction, du facteur génésique, on peut très bien voir dans ce bélier justement le sacrifice symbolique attendu. Là en l’occurrence, par exemple, de l’enfant dans ce qui va être sa formation, c’est-à-dire le renoncement à ce trait phallique que, au demeurant, il n’a pas. Imaginairement, il peut plus ou moins se l’attribuer, s’en habiller, l’endosser, affirmer l’être ce phallus, être un phallus pour sa mère, c’est quand même une opération qui n’a rien d’exceptionnel dans la relation de l’enfant avec sa mère, c’est même très souvent ce qu’elle attend, ce qu’elle exige. Eh bien donc, il s’agit du sacrifice symbolique. Autrement dit, on ne lui demande pas de passer chez le chirurgien même s’il y a symboliquement une opération qui s’appelle la circoncision et qui elle aussi est éminemment symbolique puisqu’elle est supposée au contraire autoriser l’usage, je veux dire marquer l’autorisation de l’usage de l’instrument. Donc la castration symbolique, c’est-à-dire le renoncement à ce qui finalement n’est que imaginaire et non pas réel et qui est donc fait pour l’Autre. Je crois que nous saisissons mieux en cette occasion ce que cela peut signifier.

Je suis un peu effrayé d’avoir abordé mais ce n’est pas de ma faute c’est Lacan le responsable. Remuer comme ça tant de viscères en si peu de temps, en une soirée. Mais c’est une leçon trop importante, je dirais, pour qu’après cet abstract que je vous ai proposé et afin je l’espère de faciliter votre lecture eh bien la prochaine fois, on pourra reprendre le détail et j’espère que vous pourrez manifester votre étonnement devant des assertions qui sûrement le méritent. Je veux dire, un type qui dit des choses comme ça, moi je suis surpris qu’il n’ait pas été pendu. Ce n’est pas possible. Non seulement ce n’est pas politiquement correct mais c’est incorrect partout.
Alors est-ce que ce soir vous avez quelques remarques ? Prenez votre temps.

 

Sophie Angosto Melman : Qu’est-ce qui a amené Lacan à dire à la fin de sa vie que la castration il ne savait plus ce que c’était ?

 

Charles Melman : Alors évidemment, il n’est plus tellement là pour que nous puissions l’interroger et… je n’en sais rien. Je n’en sais rien du tout… ce qui a pu l’amener à dire ça. Est-ce que c’est un effet de l’âge ? Alors, je peux quand même vous proposer une interprétation qui est que ce qui le heurtait considérablement c’est que dans notre culture le comportement de chacun continue d’être réglé par des sacrifices bien réels, non pas symboliques mais bien réels et qu’il y a une police des mœurs qui est à l’œuvre pour faire que chacun contribue à ce sacrifice, des plages de débordements étant bien entendu entretenues, tolérées, favorisées, etc. mais que néanmoins la vie des couples est placée volontiers sous le signe d’une castration bien réelle et non pas symbolique. Autrement dit que nous entretenions parmi nous des rites païens. On peut dire ça comme ça. Comme si c’était nécessaire et comme si ça plaisait à Dieu. Ce qui est certain c’est que cet aspect de notre vie sociale l’agaçait terriblement, cette espèce d’inconfort mis au centre des échanges sociaux et comme s’il y avait sans cesse une dette bien réelle dont il fallait s’acquitter. Voilà ce que je dirais là-dessus.

 

Intervenant : Oui excusez-moi. C’est à propos de la position du père, j’ai une mauvaise version, j’en rougis un peu mais dans cette leçon 12 dans ma version il n’y justement rien de marqué au niveau du père et plus tard dans les leçons d’après à cet endroit du père il y aura marqué que c’est le père réel et que toute la question – si j’ai bon souvenir parce que je l’ai un peu travaillé – et que ce passage du père réel, du père symbolique et du père imaginaire m’avait toujours paru toujours très compliqué et que là vous avez tranché : la castration, l’agent ça serait le père symbolique donc ma version est fausse…

 

Charles Melman : Non, non. Votre version me paraît excellente.

Intervenant : C’est moi qui ai mal compris ce que vous avez dit ?

 

Charles Melman : La dimension du réel ne prend place qu’à partir de l’ordre symbolique donc finalement un père réel, celui qui est dans ses pantoufles et dans son fauteuil. Il ne tient, je dirais, son existence que de sa référence, que de l’autorisation qui lui vient d’un père symbolique. Et, c’est pourquoi dans ce très étrange tableau que vous avez au début de cette leçon, vous avez à gauche isolé tout seul, le pauvre, le père symbolique et puis vous avez ensuite les conséquences, la tripartition qui s’opère à partir de cette ex-sistence du père symbolique. Mais on expliquera chacun… nous allons être très stupides, bornés, positivistes. On va à chaque fois expliquer ce qu’il en est de chacun de ces pères car, après tout, le père symbolique, il est symbolique de quoi le père symbolique ? Donc il faudra que l’on explique, enfin que l’on commente au moins tout ça. D’accord ? Est-ce que vous avez avant d’aller rêver chacun…

 

Intervenant : Est-ce que vous pouvez revenir au début de ce que vous avez dit ? Vous avez parlé au début de la relation de la mère et de l’enfant… Vous avez dit que l’enfant pouvait être marqué à jamais par le type de relation entretenue avec la mère au départ. Moi, je m’interroge sur cette constance, qu’est-ce qui assure cette constance ? Parce qu’effectivement c’est vrai. Je me demandais pourquoi c’est aussi immuable.

 

Charles Melman : Parce qu’il peut refuser cet acte de foi qui consiste au sacrifice de ce trait que son échange imaginaire, que sa relation imaginaire autorise. Pourquoi il ferait confiance après tout ? Tout ça repose sur un acte de foi. Faut faire confiance là, que le fait, que la condition d’y renoncer eh bien c’est comme ça que ce sera donné en retour. Est-ce que ce n’est pas un partenaire trompeur voire crapuleux voire avaricieux. Il y en a qui le pensent qu’on est volé dans l’échange, que ce dieu là est un voleur. Tout ça a des conséquences assez désagréables.
Bon et bien écoutez, là je crois vraiment que chacun peut aller rêver chez soi et donc à bientôt.

 

Charles Melman