Charles Melman : "Le petit Hans" - 5

EPhEP, Séminaire de Charles Melman, le 19 décembre 2013  

 

Charles Melman : Je vous propose que nous nous attachions à l'approche lacanienne du petit Hans avec cette remarquable leçon 11 – n'ayez pas peur si vous ne l'avez pas relue, je ne vous l'ai pas indiqué d'ailleurs – du séminaire sur La relation d'objet et les structures freudiennes (1957). C'est une leçon mémorable et dont vous allez voir que, effectivement, elle introduit les dimensions qui sont pour nous essentielles, à partir de ce fait que la dimension majeure, celle du Symbolique, ici abordée, n'est pas une dimension qui soit directement observable. Autrement dit ce n'est pas parce que je vais scruter avec des appareils subtils mon champ perceptif que j'y trouverai trace du Symbolique, et c'est évidemment contrairement aux dimensions de l'Imaginaire et du Réel qui se situent beaucoup mieux, c'est évidemment ce qui fait la difficulté de l'appréhension de cette dimension du Symbolique, qui n'est donc isolable qu'à partir de la lecture des énonciations d'un psychanalysant. Et ce sera une leçon d'autant plus, je dirais, surprenante qu'elle introduit de façon, on va dire, irruptive, dans un champ que pour ma part à l’époque je connaissais assez bien qui était celui des travaux classiques des psychanalystes, elle introduit cette dimension qui, je dirais, aussi bien à Freud qu'à ses suivants, était complètement opaque.

 

Le départ de cette leçon 11 nous permet d'aborder cette question du Symbolique par l'une de ses conséquences, théorisée classiquement par le terme de frustration, étant au principe de la théorisation de l'époque que les névroses sont liées à la frustration qu'un sujet est susceptible de rencontrer de la part de l'environnement, que celles-ci suscitent chez lui de l'agressivité et du même coup une régression. Là où on l'attendait adulte, la frustration rencontrée dans sa relation à l'environnement, va provoquer chez lui ces deux temps et donc l'amener à actualiser une névrose témoignant de sa stase à une époque infantile, à un âge infantile. Cette théorie de la frustration, agressivité, régression était une espèce de lieu commun, que vous retrouverez si vous allez chercher dans les articles, dans les travaux, dans les conférences des psychanalystes de l'époque.

 

Vous ferez comme moi c'est-à-dire qu'en relisant cette leçon vous allez tiquer sur le fait que ce qu'il va essayer d'articuler sera peut-être, dit-il, un peu plus algébrique que d'habitude, encore que vous ne verrez apparaître aucune mathématisation de l'affaire ; néanmoins retenons cette référence à l'algèbre. À cette triade frustration-agressivité-régression, Lacan substitut la suivante frustration-castration-privation, distinguant ainsi trois dimensions du rapport au manque d'objet : la frustration dans le champ imaginaire, la castration dans le champ symbolique et la privation dans le champ réel. Et rien qu'à faire ressurgir ces trois catégories, vous voyez aussitôt comment ce qui va être central dans l'observation du petit Hans, c'est-à-dire ce qu'il en est du rapport d'une femme au phallus, va se trouver, je dirais, distribué d'une façon utilisable, puisque vous avez pu voir de quelle manière on était sans cesse à voyager d'une dimension à l'autre, sans plus rien arriver à distinguer. La privation chez une femme elle est facile à repérer, elle est réelle ; c'est bien, je dirais, d'un organe dont elle serait supposée manquer, dont elle serait donc privée réellement. La castration, opération donc symbolique et qui l'introduit, comme tout parlêtre, à la dimension du manque. Et puis la frustration, c'est-à-dire la revendication, est-ce que l’on va dire tout de suite imaginaire ou de l'objet imaginaire, en tout cas la revendication que je dirais imaginaire, d'un objet imaginaire et qui viendrait lui faire défaut. Alors pour nous amuser à situer ces trois dimensions dans le champ des relations familiales… La privation, "l'anatomie c'est le destin" disait le professeur Freud, ce qui est faux puisque justement ce qui va prévaloir c'est la dimension symbolique qui, là, n'a plus rien à voir avec l'anatomie, mais sûrement a à voir avec un père, auquel, je dirais, elle se trouve référée, qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille ; quant à la frustration, elle concerne sûrement le rapport de cette femme, de cette jeune fille, avec le spectacle du frère qui, lui, se trouverait ainsi propriétaire de ce qui viendrait à elle lui manquer. La frustration traduit en français le mot allemand de Freud de Versagung. C'est un mot assez riche, la Versagung, qui est donc fait du mot sagung, sagen qui veut dire dire, versagen, le fameux ver- qui est toujours la déviation d'un verbe, on va dire normatif, hum ; par exemple brechen c'est casser, Verbrecher c'est le voleur, celui qui fait effraction, il casse mais avec de mauvaises intentions, par exemple. Versagen sera à entendre  comme la promesse, ce qui a été dit, ce qui a été promis et qui n'a pas été tenu, et c'est bien après tout le sort d'une fille, effectivement, de se trouver exposée à la Versagung, c'est-à-dire qu'avec sa naissance même et son investissement comme enfant il y a là une promesse en quelque sorte faite quant à la valeur de sa représentabilité. Et cette promesse s'avèrera non tenue, eu égard à l'investissement du frère, en général… on parle dans l'abstrait et en général, ce qui se produit le plus couramment dans nos sociétés hautement éduquées. Et donc inévitablement, bien sûr, le sentiment de cette promesse non tenue, d'une frustration, de naître sous le signe d'une étoile, je dirais, ternie ou obscurcie par cet effet.

 

Lacan, pour justifier sa façon de lire ce terme chez Freud, fait remarquer ceci c'est que on ne peut pas tenir la frustration comme refus d'un objet de satisfaction puisque, fait-il remarquer, un désir qui serait ainsi frustré, un besoin ainsi frustré, ne manquerait pas, c'est la réponse organique qu'il est légitime d'attendre, ne manquerait pas de s'éteindre. Or il se trouve, comme nous le savons, que le désir inconscient, lui, est indestructible. De telle sorte que l'on pourrait au contraire postuler que c'est du fait de se trouver frustré, ce désir, qu'il se trouve entretenu et engagé dans le processus de répétition. Il y a donc dans ce chapitre une critique qui est datée et qui ne vous concerne plus, puisque vous n'avez plus à faire à ce genre de trinité, une critique datée, je dis bien, de cette triade frustration-agressivité/agression-régression, mais en faisant remarquer que on pourrait aussi bien en envisager bien d'autres, de trinités, pour venir s'inscrire avec la frustration. Et alors on va rentrer partir de ce moment-là, dans un château enchanté puisque il va nous dire ceci, c'est une phrase assez longue que je vais lire à partir d'une virgule :

« […] la frustration en elle-même », il dira d'abord « La frustration donc, n'est pas un refus d'un objet de satisfaction et ce n'est pas à cela qu'elle tient. »  « […] la frustration en elle-même n'est pensable, non pas comme n'importe quelle frustration, mais comme une frustration utilisable dans notre dialectique, que comme le refus de don [d, o, n] en tant qu'il est lui-même symbole de quelque chose qui s'appelle l'amour. »

Le refus de don en tant qu'il est lui-même symbole de quelque chose qui s'appelle l'amour. Autrement dit il ne s'agit pas d'un refus d'un objet de satisfaction. Il s'agit du refus d'un signe, d'un don, symbole de quelque chose qui s'appelle l'amour. Nous disant que vous trouvez ça chez Freud en toutes lettres, ce qui n'est pas évident, mais ce n'est pas ce qui est important.

« Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela ne veut pas dire que l'enfant a fait la philosophie de l'amour, qu'il a fait la distinction de l'amour [et] du désir, cela veut dire qu'il est déjà dans un bain qui implique l'existence de cet ordre symbolique, et que nous pouvons déjà en trouver dans sa conduite des preuves, c'est à savoir que certaines choses passent, qui ne sont concevables que si cet ordre symbolique est présent. »

 

L'ordre symbolique, le don qui lui est attaché, c'est celui d'introduire à ce manque, moteur des désirs à venir ; le voilà le don, c'est le don d'amour. Si vous en voulez une preuve grossière, mais je dirais qui se vérifie très facilement en clinique, c'est évidemment ce qu'illustre le texte de Freud sur Un enfant est battu, c'est-à-dire d'envisager, pour un enfant, comme signe d'amour le fait que son frère est battu, est frappé, est marqué dans son corps, est forcé, contraint au manque. Le don donc, porté par l'ordre symbolique, ce signe d'amour en tant qu'il introduit le locuteur au manque générateur moteur du désir, et si j'ai évoqué tout à l'heure l'image du frère en tant que susceptible de susciter la frustration, c'est bien en ce fait que s'il est porteur d'un phallus, c'est en tant que signe, ce phallus, en tant que signe qu'il est propre à l'exercice du désir, rien de plus. Donc s'il paraît cet objet comme un don, un don d'amour, c'est en tant qu'il est pris dans cette affaire. Je ne vais pas… comme je souhaite au cours de cette soirée aller au bout de cet article, je laisse tomber certaines digressions, dont vous vous chargerez vous-mêmes, qui ne sont pas difficiles d'ailleurs.

 

Mais il va tout de suite développer la question du don qui d'ailleurs va inévitablement  nous amener à Lévi-Strauss quelques pages plus loin, pour dire que le don, la catégorie du don sur laquelle, comme vous le savez, les ethnologues se sont largement appesantis, et j'évoque pour vous Marcel Mauss, c'est toujours intéressant, ça ne se lit plus en dehors des cercles spécialisés ce qui est dommage :

«Le don lui-même implique tout le cycle de l'échange, il n'y a don que parce qu'il y a une immense circulation de dons qui prennent tout l'ensemble intersubjectif du point de vue du sujet qui y entre et qui s'y introduit aussi primitivement que vous pouvez le supposer. Le don…»,

et voilà qui…comment dirais-je, introduit une tempérance radicale dans notre relation à l'objet puisque le don, signe d'amour,

« Le don alors surgit d'un au-delà de la relation objectale, puisque justement il suppose derrière lui tout cet ordre de l'échange pour l'enfant qui va y entrer, et il ne va surgir de cet au-delà que dans son caractère qui est ce qui le constitue proprement symbolique […] »,

autrement dit il ne sert à rien, ce n'est pas lui qui va apaiser un quelconque besoin, il est seulement le signe, de l'amour, c'est-à-dire de  l'introduction à ce manque. Et donc,

« […] il ne va surgir de cet au-delà que dans son caractère qui est ce qui le constitue proprement symbolique, et qui fait que rien n'est don qui ne soit constitué par cet acte qu'il a préalablement annulé, révoqué. C'est sur un fond de révocation que le don surgit et est donné. »

Qu'est-ce qu'il a annulé et révoqué ? C'est justement le poids, le prix de l'objet.

« C'est donc sur ce fond, en tant que signe de l'amour, annulé d'abord pour reparaître comme pure présence […] »,

annulé, on le verra un petit peu plus loin à propos du sein, de la relation de l'enfant à la mère,

« […] en tant que signe de l'amour, annulé d'abord pour reparaître comme pure présence, que le don se donne ou non à l'appel. […] Mais l'appel, si nous le maintenons isolé, le premier temps de la parole ne peut pas être soutenu isolément. »

La notion même d'appel suppose ce qui a été perdu, il n'y aurait pas d'appel si l'enfant n'était confronté à quelque perte. Et il y aura là une reprise qui pourrait nous paraître déjà un peu usée tellement elle est utilisée mais, enfin, peu importe, c'est le petit enfant avec son fort-da, dont vous connaissez par cœur l'histoire, la petite fille de Freud qui joue avec sa bobine, et qui s'amuse donc à la faire partir au bout de sa ficelle, pour pouvoir la faire revenir. Il faut donc que la bobine se sépare pour être susceptible de revenir, il faut donc que l'ordre symbolique ait déjà institué ce qu'il en est d'un départ inaugural de l'objet, pour qu'il puisse y avoir appel à son retour. L'appel à Dieu n'est pensable qu'à poser que l'ordre symbolique l'a perdu, qu'à la place qui pourrait lui être ménagé il y a un vide, il y a un trou, et qu'il s'agit donc par cet appel même de le faire revenir. Et il y a là, dans ces pages, une dialectique vraiment très jolie, un peu philosophique en apparence, je dirais hégélienne en apparence, mais qui est extrêmement fine cliniquement et très jolie :

« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est quand il n'est pas là, […] »

Il faut que ce soit pas là pour être dans l'appel. Hein, si dieu était là, là gentiment avec nous, autour de cette table ça nous éviterait bien des adresses, hum.

« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est, […] »

et c'est de l'être dont il est question,

« […] de ce qui est quand il n'est pas là, et quand il est là se manifeste essentiellement comme seulement signe du don, c'est-à-dire en somme comme rien en tant qu'objet de satisfaction. »

Il ne s'agit nullement, avec sa présence, de quoi que ce soit qui le traite comme objet de satisfaction puisqu'il n'est que le signe de l'amour c'est-à-dire de cette réponse venue de l'Autre et qui, comme telle, est prise comme signe d'amour. Vous avez là, en ces quelques lignes, une clinique de la relation de l'enfant à sa mère… du bébé à sa mère, et de l'importance de l'appel, auquel elle répond ou ne répond pas ; parce que ce n'est qu'en tant qu'elle ne répond pas que, bien entendu, elle prend sa place ; mais d'autre part si elle ne répond jamais, il n'y a pas davantage le moindre signe de son amour. Alors vous voyez le travail d'une mère… comme c'est facile… puisqu'elle doit donc trouver le moyen d'exercer à la fois ce qu'il en est de son absence… Et vous voyez comment déjà rien que dans l'ordre symbolique que vous imaginez de quelle manière cette absence de la mère pourra être interprétée par un bébé précoce (et ils le sont souvent) comme étant liée au fait que… elle est avec un autre et que donc que le signe d'amour, c'est pas pour lui. Tout ça, ça ne met pas en cause le père, hein. C'est pas papa qui… c'est l'ordre du signifiant qui dispose les choses comme ça. Donc,

« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est quand il n'est pas là, et quand il est là se manifeste essentiellement comme seulement signe du don, c'est-à-dire en somme comme rien en tant qu'objet de satisfaction. Et quand il est là il est justement là pour pouvoir être repoussé en tant qu'il est ce rien. »

Faut pas non plus qu'il insiste trop, qu'il pèse.

« Le caractère donc fondamentalement décevant de ce jeu symbolique […] »

La déception, c'est un joli mot déception, c'est bien construit, ça veut dire que c'est vraiment ce que je ne peux pas saisir.

« Le caractère […] fondamentalement décevant de ce jeu symbolique, c'est cela qui est l'articulation essentielle autour de laquelle et à partir de laquelle la satisfaction elle-même se situe et prend […] sens. »

Il n'y a pas de satisfaction brute, naturelle, à l'endroit de l'environnement ou à l'endroit de l'objet.

« Je ne veux pas dire naturellement qu'il n'y ait pas chez l'enfant, à l'occasion, cette satisfaction accordée où il y aurait pur rythme vital […] »

Autrement dit… il a ses besoins, il faut au début que, toutes les trois heures, il ait son biberon, pur rythme vital,

« […] mais je dis que toute satisfaction mise en cause dans la frustration y vient sur ce fond de caractère fondamentalement décevant de l'ordre symbolique, et qu'ici la satisfaction n'est que substitut, compensation, et ce sur quoi l'enfant, si je puis dire, écrase ce qu'a de décevant en lui-même ce jeu symbolique dans la saisie orale de l'objet de satisfaction, le sein en l'occasion, […] l'objet réel. »

Je dirais que toutes les mamans ont pu s'étonner du type de complexité qui, souvent très tôt, est manifesté par le bébé dans sa relation au sein, à l'objet oral, en tant qu'à la fois il le veut et ne le veut pas, qu'il le veut en tant que, après tout, il est le signe de l'amour, mais que en même temps par la satisfaction même qu'il procure, il abolit ce caractère de don, et qu'il devient un pur objet réel de satisfaction, autrement dit à vomir.

« Et en effet ce qui l'endort [, ce bébé,] dans cette satisfaction, c'est justement sa déception, sa frustration, le refus qu’à l’occasion il a éprouvé, cette douloureuse dialectique de l'objet à la fois là et jamais là [puisque pour être là il faut qu'il ne soit pas], et à laquelle il s'exerce dans cette chose qui nous est symbolisée dans cet exercice généralement saisi par Freud comme étant l'aboutissement comme étant le jeu pur de ce qui est le fond de la relation du sujet au couple présence-absence. […] L'enfant donc, dans la satisfaction, écrase l'inassouvissement fondamental de cette relation […] »

Il a l'un ou l'autre, comment avoir les deux ? S'il a l'objet il n'a pas le don, s'il n'a pas l'objet, il n'a pas la satisfaction, débrouillez-vous avec ça, hum… Mais enfin, ça doit vous rappelez des choses quand même.

« L'enfant donc, dans la satisfaction, écrase l'inassouvissement fondamental de cette relation, dans la saisie orale avec laquelle il endort le jeu. Il étouffe ce qui ressort de cette relation fondamentalement symbolique, et rien dès lors pour nous étonner que ce soit justement dans le sommeil qu'à ce moment-là se manifeste la persistance de son désir sur le plan symbolique, car je vous le souligne à cette occasion, même le désir de l'enfant dans ce rêve […] archi-simple qu'est le rêve infantile, le rêve de la petite Anna Freud, ce n'est pas ce désir lié à la pure et simple satisfaction naturelle. […] »

Vous savez que la petite Anna Freud rêve de framboise, de flan, etc. Elle a eu son repas, elle a parfaitement mangé, pourquoi elle rêve de framboise et de flan, si ce n’est justement… Qu'est-ce que cela veut dire ?

« Tous ces objets-là [dit Lacan] sont des objets transcendants, […] »

Ça c'est un mot étrange qu'il ne va pas utiliser souvent, hein, ça va pas revenir, ça, le transcendantal.

« Tous ces objets-là sont des objets transcendants, voire d'ores et déjà tellement entrés dans l'ordre symbolique que ce sont justement tous les objets interdits en tant qu'interdits. »

La petite Anna Freud elle n'a nullement été inassouvie ce soir-là, bien au contraire.

« Ce qui se maintient dans le rêve comme un désir sans doute exprimé sans déguisement, […] c'est le désir de l'impossible ; et […] si la petite Anna Freud [ne l'avait] pas articulé […] en paroles, nous n'en aurions jamais rien su. »

Désir de l'impossible, c'est-à-dire de faire coïncider la satisfaction avec la conservation de ce don d'amour que représente la perte de l'objet.

 

« Mais alors que se passe-t-il au moment où la satisfaction en tant que satisfaction du besoin entre ici pour se substituer à la satisfaction symbolique ? »

Voyez il ne lâche pas, il poursuit.

« Puisqu'elle est là justement pour s'y substituer […] »

… la satisfaction du besoin, se substituer à la satisfaction symbolique. La satisfaction du besoin, l'objet, pour se substituer à la satisfaction symbolique, le manque radical d'objet,

« Puisqu'elle est là justement [cette satisfaction du besoin] pour s'y substituer, de ce fait même elle subit une transformation. Si cet objet réel devient lui-même signe dans l'exigence d'amour, c'est-à-dire dans la requête symbolique, il entraîne immédiatement une transformation. Je dis que l'objet réel prend ici valeur de symbole. Ce serait un pur et simple tour de passe-passe que de vous dire que de ce fait il est devenu symbole ou presque, mais ce qui prend accent et valeur symbolique, c'est l'activité qui met l'enfant en possession de cet objet, c'est son mode d'appréhension, et c'est ainsi que  l'oralité devient non seulement ce qu'elle est, à savoir mode instinctuel de la faim porteuse d'une libido conservatrice du corps propre [mais elle n'est pas que cela, et c'est] ce sur quoi Freud s'interroge. »

Cette libido du corps propre, est-elle libido de la conservation ou libido sexuelle ? Donc vous voyez, petit tour de passe-passe qui va faire de cet objet réel lui-même le symbole de ce don d'amour, et qui donc va en quelque sorte substituer à la libido de conservation, la libido sexuelle.

« Bien sûr elle est [cela en] elle-même [la libido sexuelle, cette libido elle est libido sexuelle], c'est même cela qui implique  la destrudo […] »

C'est parce qu'elle est sexuelle qu'elle implique le désir de mort. Beeerk ! Ça s'arrange pas, hein. Puisque… bon, je ne vais pas reprendre ça, c'est un bateau.

« […] mais c'est précisément parce qu'elle est entrée dans cette dialectique de substitution de la satisfaction à l'exigence d'amour [il y a maintenant substitution de la satisfaction à l'exigence d'amour], qu'elle est bien une activité érotisée,  libido au sens propre, et libido sexuelle. »

 

Et, un petit mot, Lacan a rarement parlé de l'anorexie mentale, mais c'est au moins à cet endroit  qu'il va la faire intervenir :

« Je vous fais également remarquer au passage que cela va si loin, qu'il y a possibilité pour jouer le même rôle [le rôle essentiel de l'objet] qu'il n'y ait pas d'objet réel du tout, puisqu'il s'agit en cette occasion de ce qui donne lieu à cette satisfaction substitutive de la satisfaction symbolique. »

S'il s'agit avec l'objet d'une satisfaction substitutive de la satisfaction symbolique,  il peut même ne pas y avoir d'objet du tout.

« C'est ceci qui peut, et qui peut seul expliquer la véritable fonction de symptômes tels que ceux de l'anorexie mentale. »

 

Alors, il y a dans ce passage l'isolement d'un objet qui s'appelle le rien ; pourquoi d'un objet, comment peut-on appeler un objet rien ?  Eh bien dans la mesure où il fonctionne comme support d'une satisfaction libidinale, c'est un objet. Si le rien est susceptible de venir satisfaire la libido, il se présente dans la catégorie de l'objet ; et c'est pourquoi beaucoup plus tard Lacan dira, dans une formule expéditive que vous connaissez sûrement, que l'anorexique est celle qui mange du rien. Ce n'est pas si simple que ça, mais ça ne fait rien, c'est le cas de le dire. Hein, c’est joli quand même. Ça nous sort, en tout cas, des facilités de l'évidence. Il y a dans tout ce passage une complexification, qui n'est pas seulement stimulante mais qui est très proche, pour rendre compte d'un certain nombre des manifestations du nourrissage chez le bébé qui sont forts complexes, beaucoup plus complexes qu'elles n'ont l'air.

 

Et nous débouchons là sur un chapitre qui va beaucoup vous plaire puisqu'il concerne la relation  primitive à la mère. Alors à l'époque, en 56, on pouvait encore en parler. Et donc il y va, et en disant ceci :

« […] la mère, qui devient au même moment un être réel [comme l'objet… qui est devenu… qui, dans son caractère réel, est devenu signe d'amour, et donc la mère qui devient au même moment elle-même un être réel], précisément en ceci que pouvant refuser indéfiniment [autrement dit être celle qui en tant que réel se dérobe], elle peut littéralement tout, et comme je vous l'ai dit, c'est à son niveau et non pas au niveau de je ne sais quelle espèce d'hypothèse d'une sorte de mégalomanie qui projetterait sur l'enfant ce qui n'est que l'esprit de l'analyste, qu'apparaît pour la première fois la dimension de la toute-puissance, la Wirklichkeit qui en allemand signifie efficacité et réalité [le wirklich, c'est l'efficace], l'efficace essentiel qui se présente d'abord à ce niveau comme la toute-puissance de l'être réel, dont dépend absolument et sans recours, le don ou le non-don. »

Soit en effet elle joue d'une absence, je dirais, sans remède, soit d'une présence étouffante, soit je dirais elle collabore à cette dimension de présence sur fond d'absence ; c'est difficile pour une mère, cette présence sur fond d'absence, puisque ça voudrait dire déjà qu'elle n'est pas-toute justement, ce n'est donc pas du tout évident. Mais c'est elle qui se trouve là, alors que nous parlions de l'effet de l'ordre du Symbolique, c'est elle qui en tant que réel incarné, c'est d'elle dont va dépendre absolument et sans retour le don et le non-don. Le père, encore, dans tout ça, n'a rien à foutre.

« Je suis en train de vous dire que la mère est primordialement toute-puissante, et que dans cette dialectique nous ne pouvons pas l'éliminer pour comprendre quoi que ce soit qui vaille. »

Alors il y a un chapitre sur Melanie Klein qui, effectivement, situe bien la mère comme toute-puissante mais, fait remarquer Lacan à ce propos, qu'elle n'est toute-puissante que parce que justement l'ordre symbolique est venu enclore, je dirais, dans son corps toute la lyre des objets que l'enfant pourrait rêver ; et que c'est de son bon ou mauvais vouloir que dépend, justement, cette satisfaction si délicate, qui a à jouer entre présence et absence. Je vous passe là les digressions sur Melanie Klein dont la lecture est très intéressante, toujours, et il se trouve que les Kleiniens sont des gens qui par leur formation, sans que j'aie jamais pu comprendre pourquoi, comprennent tout de suite Lacan, contrairement aux Freudiens. Ils sont tout de suite de plain pied avec Lacan. Et donc, le fait que cette mère soit toute-puissante, engendre un effet dépressif chez le bébé, vous vous en souvenez de cet effet dépressif, chacun, non ? Vous ne vous en souvenez pas ?

« […] engendre un effet dépressif, il faut que le sujet puisse réfléchir sur lui-même et sur le contraste de son impuissance. »

Et c'est là que Lacan va introduire l'expérience clinique du miroir, c'est-à-dire dans cette impuissance… vous savez ses textes, ses agencements sont faits avec une rigueur algébrique, une intelligence diabolique ; le fil que vous pouvez suivre dans tout ça, c'est assez admirable. Puisque… c'est dans cet état dépressif face à la mère toute-puissante, il est là sur le dos n’est-ce pas, à gigoter comme il peut, il ne connaît même pas les limites de son corps. Et ça, chez les enfants autistes, c'est toujours remarquable, ils ne connaissent pas les limites de leurs corps… et la maman ne sait pas ce qu'elle fait quand elle passe son temps à le modeler, à le caresser, à le bisouiller, c'est-à-dire justement à lui tracer, à lui rendre sensible les limites de son  corps… jusqu'à ce moment où, dit Lacan, dès le sixième mois, se produit le phénomène du stade du miroir, c'est-à-dire cette expérience de maîtrise, justement, par le bébé, de l'image de son corps… avec cet effet de splitting, nous dira Lacan.

Il est remarquable que, dans ce texte, il situe le stade du miroir à l'époque de six mois, alors que dans l'article originel qu'il avait repris en 47 (exposé en 36 à Marienbad, repris en 47), et puis maintenant en 57, c'est à l’âge de six mois… et c'est vrai, on voit chez le bébé dès l’âge de 6 mois sa capture, sa captivation par son image dans le miroir, et les sourires et la motricité qu'il va échanger avec cette image, le fait aussi d'aller la chercher en frappant le miroir.

Pourquoi fait-il intervenir, à cet endroit-là, la maîtrise par le bébé de son image, parce que nous en sommes, nous en étions à la toute-puissance maternelle ?

« C'est bien parce qu'en effet la forme de la maîtrise lui est donnée sous la forme d'une totalité à lui-même aliénée, […] »

La forme de la maîtrise lui est donnée sous la forme d'une totalité à lui-même aliénée,

« […] mais de quelque façon étroitement liée à lui et dépendante, mais que, cette forme une fois donnée, c'est justement devant cette forme dans la réalité du maître, c'est à savoir si le moment de son triomphe est aussi le truchement de sa défaite et si c'est à ce moment que cette totalité, en présence de laquelle il est cette fois, sous la forme du corps maternel ne lui obéit pas. »

Nous en étions dans la relation de dépendance et de dépression, nous passons par l'état de maîtrise acquis par le stade du miroir : mais est-ce que ce moment de triomphe est aussi le truchement de sa défaite, si c'est à ce moment que cette autre totalité qu'est la forme du corps maternel ne lui obéit pas ?

« C'est très précisément donc, en tant que la structure spéculaire réfléchie du stade du miroir entre en jeu, que nous pouvons concevoir que la toute-puissance maternelle n'est alors réfléchie qu'en position nettement dépressive, c'est à savoir le sentiment d'impuissance de l'enfant. C'est là que peut s'insérer ce quelque chose à quoi je faisais allusion tout à l'heure, quand je vous ai parlé de l'anorexie mentale. »

Qui est évidemment l'engagement dans un conflit de maîtrise et d'annulation de cet objet réel qu'est devenue la mère.

« On pourrait là aussi aller un peu vite et dire que le seul pouvoir que le sujet a contre la toute-puissance, c'est de dire non au niveau de l'action et faire introduire là la dimension du négativisme, qui bien entendu n'est pas sans rapport avec le moment que je vise. »

Le moment du négativisme qui est toujours un moment admirable chez le bébé, celui où il découvre qu'il peut dire non, et il s'emploie à le faire, avec un plaisir... Là on peut y aller, hum.

« Néanmoins […] »

Je vous le lis, là, ce passage ligne à ligne parce que… peu importe là encore la totalité du contenu de ce texte que vous pouvez, chez vous (c'est la leçon 11), reprendre etc., mais pour vous rendre sensible à sa démarche et donc vous habituez un peu au déchiffrage de son énonciation,

« Néanmoins je ferai remarquer que l'expérience nous montre, et non sans doute sans raison, que ce n'est pas au niveau de l'action et sous la forme du négativisme que la résistance à la toute-puissance dans la relation de dépendance s'élabore, c'est au niveau de l'objet en tant qu'il nous est apparu  sous le signe  du rien, de l'objet annulé en tant que symbolique, c'est au niveau de l'objet que l'enfant met en échec sa dépendance, et justement en se nourrissant de rien, c'est même là qu'il renverse sa relation de dépendance en se faisant par ce moyen maître de la toute-puissance avide de le faire vivre, lui qui dépend d'elle, et dont dès lors c'est elle qui dépend par son désir, qui est à la merci par une manifestation de son caprice, à savoir de sa toute-puissance à lui. »

C’est sympa ? C'est sympa, hein, et si vous avez approché des enfants, ou si vous vous souvenez de votre propre enfance, ce qui n'est pas impossible, eh bien voilà, il raconte votre vie là, hein. Ce qui est fou c'est que tout ça est resté… on n'a pas le sentiment que beaucoup de personnels attachés à l'éducation, à l'élevage des bébés etc. aient beaucoup développé tout ça, qui était cependant tellement vif, tellement observable ; ça c'est observable, ça c'est pas déductible. On le voit sans le comprendre d'ailleurs. Bon.

 

Nous avons… bon. Alors, je vous épargne l'intentionnalité de l'amour… l'intentionnalité de l'amour, l'intentionnalité c'est un terme jaspersien, ça vient de la philosophie de Jaspers, et de la psychologie de  Jaspers. Alors il le reprend, il ne s'en servira plus beaucoup ; de même que vous trouverez beaucoup dans ce texte l'intersubjectivité, alors cela aussi il laissera tomber, l'intersubjectivité, parce que l'intersubjectivité c'est pour évoquer l'échange de paroles, autrement dit ce qui plus tard sera écrit sous le terme de discours, or le discours ne va pas d'un sujet à un autre. Alors l'intersubjectivité c'était également une tarte à la crème, c'est comme l'intentionnalité, c'était une tarte à la crème de la psychologie, je ne saurais pas dire exactement d'où ça sort, l'intersubjectivité, je ne sais plus d'où ça sort… mais la moindre expérience viendra nous rappeler que nous ne parlons jamais dans nos échanges de sujet à sujet. Moi je ne vous parle pas de sujet à sujet, je vous parle du sujet que je suis aux objets que vous êtes. L'inverse est aussi vrai puisque c'est une question de place dans le discours, et que d'autre part dans le discours ce n'est pas le sujet qui parle sauf… sauf bien entendu si c'est le discours hystérique. Donc le terme d'intersubjectivité va choir.

Une petite remarque amusante :

« Avant la parole, un enfant ne réagit pas […] »

Pourquoi il dit avant la parole ?

« Avant la parole, un enfant ne réagit pas de la même façon à un heurt et à une gifle. Je vous laisse méditer ce que ceci implique. »

Bon c'est vrai, puisque le heurt est un accident et la gifle est un signe de désamour. Alors évidemment il est pas étonnant que l'on puisse aussi prendre le heurt comme un signe de désamour, hein. C'est le mur qui vous est rentré dedans… bien sûr, bien sûr. Alors il y a une petite remarque amusante, c'est que chez l'animal domestique, ça marche aussi ça. Mais ça ne va pas plus loin ; qu'est-ce que ce serait aller plus loin d'ailleurs ? Et puis une évocation sur le fait que la psychanalyse officielle à l'époque, en 56, commence à s'intéresser au problème du langage, il y a un article de Löwenstein (qui était donc son analyste à Lacan) – il faudrait que vous retrouviez pour l'anecdote, ça a été publié, ça doit se trouver sur Internet – la lettre que Lacan a adressé à Löwenstein au moment où il a demandé l'intégration de son nouveau groupe – qui avait quitté la société psychanalytique de Paris – l'intégration de son nouveau groupe, la Société Française de Psychanalyse, à l'International Psychanalytic, et donc il avait adressé une lettre à Löwenstein qui avait été son analyste à Paris juste avant la guerre, c'est-à-dire au moment où ces braves gens avaient quitté Berlin, c'est-à-dire à partir de 1933, et avaient fait étape à Paris avant de se diriger vers New York où ils se sont perdus, où New York les a absorbés. C'est une lettre… elle mériterait une analyse pour elle-même, la lettre qu'un ancien analysant adresse à son analyste. Vous pourriez Marie-Charlotte essayer de la retrouver ? Ornicar l'a publié en son temps. Elle est sûrement sur le site. Car c'est l'appel à une honnêteté intellectuelle qui, je dois dire, dans notre milieu, n'est pas forcément la règle. C'est même ce qui est frappant d'ailleurs. Et donc je vais vous dire encore un mot puisque… il évoquera un second article, qui parle lui de la théorie de la communication, et qui évoque le cri. La relation de l'enfant à la mère marquée par ce mode d'expression qu'est le cri. L'enfant crie, la mère reçoit son cri comme un signal. Alors donc communication qui court-circuite le signifiant puisqu'il s'agit là d'une onomatopée, d'un son, et que celui-ci s'avèrerait tenir une place importante dans la relation de l'enfant à la mère. Et Lacan dira :

« Le fait est […] absolument essentiel, c'est un cri, mais le cri dont il s'agit, celui dont nous tenons compte dans la frustration, c'est un cri en tant qu'il s'insère dans un monde synchronique de cris organisés en système symbolique. Il y a d'ores et déjà, ici et virtuellement, de ces cris organisés en un système symbolique. Le sujet humain n'est pas seulement averti comme de quelque chose qui, à chaque fois, signale un objet. Il est absolument vicieux, fallacieux, erroné de poser la question du signe quand il s'agit du système symbolique, par son rapport avec l'objet du signal, avec l'objet de l'ensemble des autres cris. »

Toute la question qui est là soulevée à propos du cri, et je m'arrêterai là-dessus ce soir, c'est donc de savoir s'il existe dans la communication de l'enfant avec sa mère un système de signes, et non pas de signifiants. Est-ce qu'il y a entre la mère et son enfant une communication qui s'établit soutenue par un système de signes ? C'est indubitable. Mais, oui. Une mère attentive déchiffre tout un ensemble de signaux que son enfant est capable de lui transmettre, des signes. Et lui-même d'ailleurs, l'enfant, perçoit bien, ne serait-ce que dans le visage de sa mère, qui joue un rôle si essentiel pour lui… il perçoit parfaitement sa tristesse par exemple, ça c’est avéré. Et j'ai vu là-dessus des films absolument admirables où on voyait l'enfant essayer de traiter la tristesse de sa mère, vraiment en thérapeute, essayer de la relancer, de l'intéresser… assez impressionnant. C’est indiscutable. Et le fameux parlé babisch relève lui aussi évidemment d'un langage de signes. Et dira Lacan,

« […] l'enfant se nourrit de paroles autant que de pain, car il périt de mots et que, comme le dit l'Evangile, l'homme ne périt pas seulement par ce qui entre dans sa bouche mais aussi par ce qui en sort.

Il s'agit alors de faire l'étape suivante. Vous vous êtes bien aperçus de ceci, ou plus exactement vous ne vous en êtes pas aperçus, mais je tiens à vous signaler, à vous souligner [pardon] que le terme de régression peut prendre ici pour vous une application, vous apparaître sous une incidence sous laquelle il ne vous apparaît pas d'ordinaire à tous les titres. Le terme de régression est applicable à ce qui se passe quand l'objet réel, et du même coup l'activité qui est faite pour le saisir, vient se substituer à l'exigence symbolique. »

C'est-à-dire quand c'est justement la relation, la communication par le signe qui vient se substituer à l'exigence symbolique.

« Quand je vous ai dit l'enfant écrase sa déception dans sa saturation et son assouvissement au contact du sein ou de tout autre objet, il s'agit à proprement parler là ce qui va lui permettre d'entrer dans la nécessité du mécanisme qui fait qu'à une frustration symbolique peut toujours succéder, s'ouvrir la porte de la régression. »

Autrement dit à la frustration symbolique peut s'opérer la régression et le passage à la communication par le signe. Mais ce n'est pas un langage naturel premier, la communication par le signe ; ici en tout cas pour Lacan. Ça se présente comme l'enfant pris d'abord dans un bain de langage et, à partir de là, cette régression qui va le faire entrer dans un langage de signes.

Voilà, je suis désolé, ça a sûrement été un peu difficile pour vous parce que je ne vous ai pas averti que je prendrai la leçon 11, mais j'espère que les éléments que je vous ai donnés vous faciliteront l’accès à la totalité de cette leçon, qui va donc être la leçon introductrice au petit Hans, et qui se conclura donc en annonçant l'abord de la question du petit Hans ; et donc en janvier, je ne me souviens plus à quelle date, nous allons nous revoir. Voyons, voyons, voyons… nous allons nous revoir le jeudi 16 janvier. Très brièvement, je terminerai cette première leçon avec juste les éléments qui nous conviennent pour aborder la douzième, c'est-à-dire entrer dans l'examen par Lacan du petit Hans.

Est-ce que vous avez quelques questions ? Stéphane ?

 

Stéphane Clément : Je me posais une question du côté de la mère par rapport au don d'amour et par rapport, en particulier, à ses enfants qui ne semblent pas appelés. Je me posais la question s’il ne fallait pas déjà chez la mère… alors, est-ce que c’est symbolique, est-ce que c’est imaginaire ? Mais qu’elle doit voir quelque chose chez l'enfant pour que lui puisse appeler ? 

 

Charles Melman : Oui, on peut tout à fait dire ça, bien sûr. S'il s'agit d'un enfant purement réel, il est certain que nous ne sommes pas ici dans le domaine ni de l'adresse, ni de l'appel. Mais, en tout cas, de cette leçon-là se dégage très clairement de quelle manière il est dans la toute-puissance de la mère de ne pas faire entrer son… de faire que l’enfant ne soit pas pris pour elle dans un ordre symbolique. Et avec euh… Moi c'est ce que j'essaie à chaque fois de faire valoir aux spécialistes de la question qui s'égarent du côté de l'anatomie, du thalamus et de je ne sais quoi, ce qui est toujours hautement comique, parce qu'ils ne savent pas que l'histoire du thalamus c'est un vieux cheval de retour pour ceux qui ont fait de la neurologie et de la psychiatrie de ma génération, ce sont des éléments qui paraissent introduire quelque nouveauté alors qu'il s'agit de vieux machins, de vieilles resucées, mais que donc c'est bien par le fait que la mère, au moment de la naissance de son bébé, ne se trouve pas en mesure, soit pour une raison qui lui est personnelle et qui tient à son état, soit qui est une raison purement de circonstance, elle a le droit d'avoir des circonstances qui rendent que… elle n’est pas disponible, elle peut être indisponible au moment de la naissante du bébé, eh bien on aura systématiquement un bébé autiste, ça c'est clair. Est-ce qu'il y a des causes organiques ? C'est possible, mais en tous cas… elles sont peu probables pour une raison très simple, c'est que les réseaux sollicités dans la relation à autrui, ce ne sont pas comme les diverses fonctions sensorielles ou motrices, ces fonctions mettent en jeu tous les centres, corticaux et sous-corticaux, l'ensemble des centres. Et il assez difficile d'imaginer qu'il puisse y avoir une atteinte de l'ensemble de ces centres qui n'aurait pas une traduction neurologique, c'est difficile à penser ; si ça existe, on en attend la démonstration, mais en tout cas elle n'est pas là.

 

Intervenant : Vous tenez au mot « systématiquement » dans votre phrase « la mère indisponible au moment de la naissance aura systématiquement un bébé autiste » ?

 

Charles Melman : Ah oui, ah oui, bien sûr ; s'il n'est pas pris dans son adresse, s'il n'est pas pris dans la parole, et ça, ça s'est déjà passé quand il était intra-utérin. Puisque nous savons maintenant, et ça c'est sûrement un progrès de l'échographie, nous savons maintenant de quelle façon l'enfant… nous ne savons pas exactement avec les déformations ce qu'il entend, mais nous savons qu'il entend et qu'il réagit à ce qu'il entend, et quand il naît, il connaît les voix de son entourage, il connaît la voix du chien, il connaît la sonnerie du téléphone.

 

Stéphane Clément : Mais même… Ils ont fait des études très récemment, il connaît la grammaire. Ils ont fait écouter à des bébés, des prématurés, et s'il y a des fautes de grammaire, ils le notent.

 

Charles Melman : La grammaire ? J'aimerais voir ces travaux-là, mais nous connaissons très…

 

Stéphane Clément : Ils font entendre à un bébé des phrases in utero, je crois que c’est 5 mots, et après ils le font entendre quand le bébé est né, et si la phrase a une erreur, il réagit.

 

Charles Melman : Mais écoutez… Dans la mesure où ce qu’une mère sait quand elle se met devant son clavier que le bébé in utero va réagir aux diverses musiques qu'elle joue ; il ne réagit pas de la même façon aux diverses musiques, donc nous ne savons pas jusqu'où va la formation chez le bébé… enfin, le développement chez lui des circuits intra cérébraux en fonction justement des perceptions qu’il peut avoir alors qu’il encore... Ce que l'on sait, ce que l'on a vu, ce sont des bébés qui se masturbent, des fœtus qui se masturbent. Vicieux déjà, hein.

 

Stéphane Clément : Quand vous aviez posé la question sur l’autisme chez les animaux, j’avais beaucoup regardé, et en fait ce qui est très frappant… la différence entre l'animal et l'homme, c'est en fait les capacités sensorielles. Chez les animaux nidifuges (qui vont partir du nid), qui ont des capacités motrices, les capacités sensorielles sont acquises in utero, mais chez les animaux nidicoles pas du tout, ils sont sourds, aveugles, en général, et ça c’est une énorme différence.

 

Charles Melman : Ah oui ? Formidable. Bon.

 

Stéphane Renard : Est-ce que je peux vous poser une petite question ?

 

Charles Melman : Oui.

 

Stéphane Renard : A propos du don, il me semblait qu'on était dans notre petite fenêtre du fantasme, et qu'on n'en sortait pas beaucoup, et je me demandais, si comme le don provenait d'un champ qui était au-delà de l'objet, est-ce que le fait de recevoir un don, avec ce qu'il pouvait avoir d'inattendu, n'était pas une manière de sortir, d'agrandir, d'élargir… enfin de sortir du fantasme ?

 

Charles Melman : C'est une question originale. Il faudrait que j'y réfléchisse, je n'y ai jamais pensé, mais il faudrait y réfléchir. A suivre. Bon eh bien bonnes fêtes, et à bientôt.

 

Transcription : S. Renard