Charles Melman : "Le petit Hans" - 4

Conférencier: 

EPhEP, séminaire de Charles Melman, le 28/11/2013

 

Charles Melman : Comme j'espère que vous l'avez constaté, ces commentaires font 25 pages ; c'est ce que l'on peut appeler le gâteau cent fois bon. Vous savez ce que c'est, vous avez déjà mangé du gâteau cent fois bon. J'en suis sûr quand je vois vos mines, je suis sûr  que vous avez connu ce genre de délice. Le gâteau cent fois bon, c'est le gâteau où la maman, ne sachant pas trop comment faire pour assurer le dessert de qualité, le meilleur dessert pour ses enfants, eh bien met dans le gâteau tout ce qu'elle peut trouver sur ses étagères, les meilleures choses, et donc tout cet ensemble fait le gâteau cent fois bon de telle sorte [qu’]on ne voit pas comment l'enfant pourrait résister à cette générosité, hum.

Eh bien, le commentaire de Freud mérite notre admiration dans la mesure où tous les traits qu'il va retenir - nous sommes en 1909 ; [en] 1905 il a publié les Trois essais sur la sexualité et dont l'un des essais porte sur la sexualité infantile. 1909, il s'agit donc cette fois-ci d'illustrer ses thèses par l'examen direct, in vivo, de l'enfant et tout ce qu'il apporte, à propos de cette sexualité infantile, 1909 après 1905, est absolument un choc dans la culture, puisque personne n'a osé auparavant, et quel que soit le lieu, quel que soit le degré de culture, quelle que soit la religion, quel que soit le niveau de la science, personne n'a osé évoquer le fait qu'il y ait une sexualité infantile. Alors que, bien  évidemment, l'observation directe pouvait largement le justifier et il est évident d'autre part que ce n'était pas politiquement correct puisque vouloir ainsi polluer l'innocence propre à l'enfant est une opération qui ne pouvait paraître que dégradante aux gardiens de la culture. C'est pas beau quand même d'aligner ainsi l'innocence de l'enfant. Mais même faire pire, c'est-à-dire montrer que la sexualité se mettait en place dans l'enfance, et que c'est ensuite cette sexualité infantile qui allait commander la vie adulte, alors là, ça c'est quand même charrier. Ce qui veut dire tout simplement que ceux qui se pensent adultes oublient qu'ils vivent une sexualité infantile qui s'est mise en place dans l'enfance, et qu'elle est régie, que ça leur plaise ou pas, que ça leur convienne ou pas. Il y a donc bien toujours de l'enfant dans l'adulte, et il est bien évident que ce n'est pas le fonctionnement social qui permettrait d'en douter. Donc ce commentaire, c'est du gâteau cent fois bon puisqu'on va y retrouver tous ces ingrédients merveilleusement découverts par Freud et qu'il va nous servir sans aucun  égard pour notre appétit, voire notre rassasiement, et en même temps, en même temps qu'il opère ainsi pour le meilleur, il va opérer pour le pire puisque ce rassemblement va être la matrice de tous les malentendus et de toutes les erreurs à venir.

Ce qui, je suis persuadé, vous a ému, à la lecture de ces 25 pages, c'est le mal que se donne Freud pour organiser son commentaire en un récit qui soit cohérent et consistant. Autrement dit une mise en ligne d'une succession d'événements enchaînés les uns aux autres et qui furent les conditions de la névrose du petit Hans et qui aboutirent, je dirais, à son traitement et à sa guérison.

 

Donc faire en quelque sorte une observation clinique qui soit cohérente et trouvant dans sa cohérence même la justification des thèses, en particulier celles qui concernent le développement de l'enfant, les étapes successives et qui aboutiraient grâce au traitement analytique à la normalisation des symptômes du petit Hans. En même temps dans ce commentaire il doit écarter un certain nombre de préjugés qui concerneraient aussi bien les accusations de dégénérescence qui seraient les thèses avancées à l'époque, la dégénérescence c'était une thèse pour rendre compte de la maladie mentale, qui était soutenue en particulier par un psychiatre français du nom de Morel, je ne sais pas si c'est le premier à l'avoir fait ou s'il l'a repris des allemands, moi à mon idée ça devait sûrement venir d'Allemagne cette affaire de dégénérescence, mais enfin c'est évidemment un terme qui ne veut pas dire grand-chose si ce n'est que c'est mettre sur le dos des abus de boissons et des abus sexuels des ancêtres la cause du triste état dans lequel nous sommes ; et ça c'était donc la grande thèse pour rendre compte des affections névrotiques, donc Freud doit répondre à cette objection incontournable à l'époque pour dire que, manifestement, Hans était un petit garçon physiquement parfait, bien vivant, gai, joyeux, intelligent qui ne portait aucun stigmate de dégénérescence. Si ça vous amuse je vous amènerai un jour le livre des illustrations des tableaux de la dégénérescence. Vous verrez que ce sont des tableaux tout à fait sympathiques mais dont le… le petit Hans ne relevait en aucun cas. Il a également à se laver de la thèse de la suggestion autrement dit que le petit Hans aurait été entièrement influencé par le traitement qu'il subissait de la part de son père puisque son père est là en position d'analyste vis à vis de lui et c'est bien aussi comme ça que Freud le présente, et vous verrez d'ailleurs qu'à la fin il va quand même faire l'aveu de quelque chose qui pesait sur le petit Hans, « c'est vrai » dit-il à la fin « il avait quand même dans son hérédité quelque chose qui n'allait pas, c'est que sa mère était un peu tarée », dit-il, ce n'est pas l'adjectif qu'il emploie, mais il va dire à la fin que « il y a quand même une tare entre guillemets héréditaire "sa jolie mère" était en effet devenue la proie d'une névrose due à un conflit du temps ou elle était jeune fille. J'avais pu alors lui être de quelques secours et de là datait de fait mes rapports avec les parents de Hans. Ce n'est que timidement que j'oserai avancer quelque considérations en faveur de celui-ci » et il reprend le fait que malgré la névrose maternelle qui datait du temps ou elle était jeune fille, le petit Hans n'avait rien d'un petit taré. Mais quoiqu'il en soit il tente d'écrire le récit de la maladie. Alors le problème c'est que la phobie fait objection à tout récit. La phobie n'est pas une névrose, c'est à dire un dispositif qui se prête à une mise en histoire. La phobie précède les névroses, est un état pré‑névrotique, anté-névrotique, on aurait envie de dire que, précisément, ce qui lui manque, c'est le récit qui permettrait de rétablir une continuité qui apparaît constamment trouée et cependant bien sûr et dans un souci justement thérapeutique, Freud va force dans le sens d'une succession ordonnée des événements qui sont venus commander la phobie et cette succession d'événements étant ordonnée par une finalité qui sera celle du salvateur complexe d'œdipe, c'est à dire la révélation faite à Hans que sa tension libidinale cause d'angoisse, dit Freud, cause d'angoisse pour le petit Hans, il n'a qu'une seule chose à faire c'est à se la mettre dans un tiroir et à s'en passer ce qui il faut l'avouer, est quand même un curieux mode de traitement pour une tension libidinale, encore que, nous soyons bien obligé de reconnaître que la période de latence, c'est lui Freud qui l'a révélée chez les enfants, ça existe, pas toujours, il y a des enfants qui ne connaissent jamais la période de latence, des petits vicieux qui passent comme ça leur temps dans des coins obscurs, mais ordinairement il y a après cet émoi initial, quelque chose qui doit se passer qui doit se faire, on va mettre quelque chose entre guillemets puisque il faudrait quand même en dire un mot, quelque chose qui va se faire pour que ça se calme et que l'enfant oublie ce qu'a été pour lui ce premier cinéma en technicolor, et qui, pour lui, a mis en place la sexualité.

Le pire, et qui va être la source de tout les malentendus à venir, et en particulier pour les élèves, c'est que cette tentative, donc, d'écrire une histoire, est entièrement dominée par l'imaginaire, même si sa conclusion est supposée être symbolique, dominée par l'imaginaire. Or comme j'essaierai de le montrer à la fin de cette heure, l'imaginaire, le développement de l'imaginaire, la tentative par l'enfant de résoudre ses difficultés, se fonde précisément sur une extension abusive de l'imaginaire, abusive je veux dire donc faussement interprétative, de la dimension propre à l'imaginaire. Autrement dit, Freud est fidèle à son cas en s'aidant lui-même à cette expansion de l'imaginaire, pour rendre compte de cette affaire, et à partir de ce moment là, de cette extension, nous nous trouvons donc devant des rassemblements d'arguments qui vont être tantôt réels, tantôt symboliques, tantôt imaginaires mais sans que nous puissions à aucun moment, par leur type de rassemblement, y introduire un petit peu d'ordre. Ordre qui n'est pas purement spéculatif mais qui est évidemment souhaitable pour essayer de comprendre ce qui va être constamment esquivé dans l'observation : qu'est ce qu'il en est de la spécificité d'une phobie puisque Freud va en faire une hystérie d'angoisse, une hystérie d'angoisse en tant qu'elle s'oppose à une hystérie de conversion, l'hystérie d'angoisse étant l'accumulation d'une libido qui ne trouve pas de localisation corporelle susceptible de s'écouler alors que l'hystérie de conversion est, bien entendu, la fixation sur l'organe que vous voulez en évitant plutôt l'organe génital, l'organe sexuel, la fixation sur cet organe de libido en souffrance puisque dans l'incapacité de s'écouler. Donc hystérie d'angoisse, transformée donc en angoisse, problème quantitatif puisqu'il n'y à pas d'organe susceptible de s’y prêter, de fixation corporelle sur un organe propre à lui assurer son écoulement. Ce qui fait donc que dans ce foisonnement de l'imaginaire, ce qu'il en est de la spécificité à l'espace et en particulier le fait que vont s'opposer tout de suite deux espaces très différents, mais j'ai déjà peut-être abordé ce thème avec vous, l'espace domestique et l'espace public, et bien ce problème de la constitution de l'espace pour le parlêtre, le problème de la localisation propre à l'espace domestique qui n'appartient donc pas à cet espace public, eh bien ces questions qui sont du point de vue clinique essentielles, vont se trouver, on va dire, définitivement évitées et contournées, or vous le verrez si vous reprenez la lecture de ce texte, tantôt la sortie hors de la maison puisqu'il s'agit sans cesse, dans son symptôme, il s'agit sans cesse de ça, il sort de la maison et c'est l'angoisse, alors au début on l'explique par le fait qu’il est séparé de sa maman et donc il est angoissé de la perdre et puis ensuite il sort avec sa maman et ça n'empêche absolument pas l'angoisse évidemment de surgir et le contraindre à rentrer à la maison. Alors puisque j'évoque là la question  de la séparation d'avec la maman, ça consiste en quoi la séparation d'avec la maman ? À quel moment peut-on dire qu'il y a eu séparation d’avec la maman ? Et ça consiste en quoi ? Ça consiste en quoi, puisque ça n'empêche absolument pas d'aller dans son lit de faire câlin toute chose après tout plutôt normale. L'accompagner au cabinet c'est un peu spécial, c'est un peu spécial, encore que ce ne soit pas exceptionnel, ça se voit et on se demande, mais il n'y a pas trop de spéculation là dessus, quel est l'intérêt pour une maman de conduire son enfant avec elle dans les waters, mais en tout cas ici je ne vais pas épiloguer sur ce point, ce n'est pas notre objet, mais on voit bien cette séparation d’avec la maman on ne voit pas très bien ou elle est d'autant plus que la maman voit son enfant malheureux : plus elle est proche de lui fort légitimement et plus elle essaye de le tenir rapproché et elle même n'a pas envie de s'écarter, mais ça veut dire quoi, ça veut dire quoi avoir peur de perdre sa maman ? Avoir peur de perdre sa maman on peut l'entendre comme le fait  de la crainte de perdre un monde positivé c'est à dire un type de relation qui n'est pas régi par les effets du langage mais où finalement, se trouve établi une communication que l'on pourrait dire réussie, que ce soit, par des signes langagiers ou conventionnels, spécifiques à telle ou telle relation à telle ou telle famille mais où en tout cas, je dirais, la relation du signe à l'objet n'est pas métaphorique ni métonymique, elle est directe, qu'est-ce que tu veux mon chéri, même si la réponse, elle, est métaphorique l'objet, lui, aura valeur de tuer la métaphore, et c'est même sans doute pour ça qu'il y a des bébés qui résistent, je dirais, à cette opération maternelle qui s'espère bienveillante, qui veut éviter à l'enfant les conséquences, je dirais, tellement pénibles de l'entrée dans le langage de n'avoir plus, je dirais, que des semblants, la maman ce n'est pas du semblant, elle n'est pas un semblant pour l'enfant, et l'enfant n'est pas un semblant pour elle, c'est pas un semblant d'enfant, ni un semblant de maman, et quand vous avez affaire bizarrement, comme dans les cas d'adoption, à ce type de semblant, eh bien ça tourne mal, ça ne se passe pas bien, c'est là une dimension où la catégorie du vrai est irréfutable, le bon lait c'est ça, alors évidemment ça fait du même coup qu’il y a des bébés qui sont rétifs et qui ne le tolèrent pas, ça ne va pas ça ne colle pas, c'est vraiment trop du bon lait donc il dégueule et les difficultés et les ennuis commencent mais en tout cas se séparer de sa maman c'est accepter de passer d'un régime régi par le signe à celui du signifiant.

Je passe évidemment bien entendu sur les histoires de langage babisch enfin je veux dire, tout le système de complicité et de connivence qui peut s'établir et qui est      toujours merveilleux d'ailleurs, parce que c'est fascinant évidemment cette parfaite entente, une maman déchiffre parfaitement, peut déchiffrer parfaitement les signes qui viennent de son enfant et réciproquement bien sûr, ça constitue un duopole dont les tiers ne font pas partie si ce n'est à titre intrusif bien sûr, et la maman, très bonne maman, c'est clair, non seulement jolie jeune fille mais maman aimant son petit garçon, elle veut son bien, elle a bien raison, on ne va pas le lui reprocher, et le petit, il ne veut pas se séparer de sa maman parce qu'il perçoit bien il y a là une menace. Alors d'où elle vient cette menace ? Elle vient justement sans qu'il situe très bien l'auteur je dirais, de cette menace, elle vient cette menace, justement de son entrée croissante dans un langage qui n'est plus celui de la complicité, du patois, on va le dire comme ça, du patois qu'il parlait avec la maman, le patois, le patois et pas moi, le patois c'est un langage positivé, c'est la structure des patois, donc il y a une menace qui est liée à quoi ? Mais qui est liée à sa socialisation, c'est à dire que la mère n'est pas son unique interlocuteur, interlocutrice, il y en a d'autres et avec les autres ce n'est pas la même chose, on entre dans un autre système de communication, qui est celui du langage, et qui implique qu'il renonce à sa maman enfin à cette maman là, ce qu'on appelle La Maman. Alors pourquoi chez le petit Hans, ce passage d'un langage des signes à celui du signifiant pourquoi ça fait problème? Eh bien parce que pour passer de ce réel du signe à un langage symbolique – je vais m'expliquer, hein, je ne vous laisserai pas simplement, moi je suis très positiviste avec vous, j'explique tous les termes, je ne veux pas que vous ayez l'impression que vous manquez ici de bonne maman, j'explique tout – eh bien pour passer à l'ordre symbolique qui implique donc une perte de l'objet, il y faut, je dirais, le représentant, le réfèrent, le référent qui, je ne peux pas le dire autrement, qui en assure la police, il faut un policier, c'est à dire il faut une autorité, sinon c'est pas obligé, c'est tout le problème des enfants qui à la maison n'ont pas trouvé justement une autorité de ce type, et ce passage se supporte, je dirais, d'une mise en scène théâtrale et qui est celui de l'intervention entière du père qui sépare la mère de son enfant et qui signifie à son enfant : « elle est peut être ta mère mais elle est ma femme » et qui donc du même coup a la grossièreté, la vulgarité, l'obscénité d'y introduire la dimension sexuelle.

 

Vous le présenter comme ça de façon aussi élémentaire, j'allais dire alimentaire, toujours à cause du gâteau, pour vous le présenter comme ça vous voyez bien tout de suite de quelle manière effectivement dans l'histoire familiale eh bien, le papa, il n'est pas en mesure d'être là l'agent de police, autrement dit pour imposer l'ordre symbolique, il faut une autorité réelle, pas imaginaire, réelle, autrement dit une autorité dans le réel, et ce papa très gentil et cette maman très gentille eh bien la maman d'abord, elle ne reconnaît pas, c'est clair, les tentatives du papa de mettre un peu de champ entre les deux, alors l'alibi du papa, c'est ça le problème, l'alibi du papa il est thérapeutique : « comme tu l'excites, ça fait monter la libido et donc l'angoisse ». Voilà, autrement dit toutes les interventions dans cette affaire sont en réalité celles d'un thérapeute, d'un docteur, et tous ceux qui ont eu pour papa des docteurs qui agissaient comme tels dans leur famille doivent savoir que c'est pas terrible, s'il agissent comme docteur autrement dit pour le bien de l'enfant. Un papa ça n'agit pas à la maison pour le bien de l'enfant, ça agit parce que c'est la maison et qu'il a là une fonction à occuper, si ça fait du bien c'est un bénéfice secondaire, mais ce n'est pas ce qui est recherché, ce n'est pas ce qui est visé, « c'est pas parce que je recherche ton bien que je t'engueule, je t'engueule parce que c'est ma fonction de t'engueuler, c'est tout, c'est comme ça, ça ne te fait pas plaisir, évidemment c'est désagréable, moi ça m'enroue, tout ça d'accord, mais c'est comme ça ». Eh bien toute cette observation comme je vous l'ai fait remarquer la dernière fois, elle est dominée par le fait que, premièrement, dans la mesure où le papa qui travaille pour Freud, le petit Hans a deux ans quand paraissent les trois essais sur la sexualité, Freud demande que l'un de ses proches observe directement son enfant pour vérifier directement ses thèses, le papa s'y emploie c'est à dire qu’à partir de ce moment là il a les yeux fixés sur son zizi, de telle sorte que pour ce pauvre chou, son zizi cesse éventuellement d'être symbolique pour devenir bien réel. Symbolique, ça veut dire, j'explique à chaque fois, symbolique, ça veut dire qu'il est l'insigne de ce qui ne prend valeur que d'une perte, ça veut dire ça, symbolique, il prend sa valeur et sa fonction que d'être le représentant d'une perte, le signe représentant d'une perte, il est symbolique de cette perte et donc du même coup apte au désir, à endosser le désir, à le servir, et si il est réel c'est comme si il devenait l'objet d'une étude médicale, et j'ai l'audace, qui ne me coûte pas cher, pour une fois, d'affirmer que c'est cette attitude là de ce gentil papa et de ce gentil Freud vis à vis de cette enfant, qui l'a rendu phobique, autrement dit qui l'a protégé de l'accès à un ordre symbolique possible et qu'à partir de ce moment là on est entré, je ne sais pas si vous avez été sensible au cours de cette opération, dans un monde qui semble constamment positivé, sauf pour ce qui ressemble à de l'imaginaire. On a l'impression de pénétrer dans un intérieur un peu étouffant comme ça, chaud, tiède, étouffant, où rien ne manque, où tout défaut semblerait immédiatement comblé, c'est pas rare comme situation, et donc le petit Hans se trouve par l'opération même qui commande son histoire, se trouve exposé à ne plus avoir à faire qu'à un monde positivé, autrement dit, à faire que le phallus, et vous trouvez ce terme de phallus dans l'observation dans une note en bas de page – vous vous demandez si phallus est un terme exclusivement introduit par Lacan, eh bien vous verrez, voyez dans cette observation et en particulier dans le commentaire, que le terme de phallus est en bas de page – eh bien donc du même coup que le phallus qui aurait à n'être perçu que symbolisé c'est-à-dire représenté par les signifiants, va se trouver émerger dans le champ du réel sous la forme de ce dada sous la forme du cheval, et dans la mesure où cette présence dans le réel n'est plus garantie par quoi que ce soit, la crainte que ce référent essentiel ne puisse venir à disparaître, ne tombe, alors là vous verrez dans le commentaire, des termes allemands qui sont très embarrassants et il faudra que je vérifie, je ne l'ai pas fait encore je le ferai pour la prochaine fois, niederkommen pour tomber, le cheval niederkommt ; niederkommen c'est accoucher aussi bien, c'est mettre bas, enfin je vérifierai pour nous la prochaine fois, si Freud se sert du terme de « Dummheit » pour bêtise ou si c'est un autre terme, qui se réfère plus explicitement à la bête, puisque « dumm » c'est l'idiot, ce n'est pas spécifiquement animal "Dummheit". Et puis également des termes comme niederkommen et vous retrouverez également dans ce commentaire pour spécifier l'histoire de la baignoire  et du plombier qui vient percer le ventre avec un perçoir, l'usage des termes « bohren » qui veut dire donc percer, et « geboren » qui veut dire naître, donc vous voyez comment les signifiants qui interviennent dans le rêve témoignent de la parfaite connaissance que le petit Hans a du mécanisme de la fécondation et quelque chose qui rentre dans le ventre vient percer le ventre. Il s'y livrera lui même sur une poupée, à l'aide d'un canif, autrement dit il a parfaitement compris. Avec une question majeure qui surgit à ce moment là, c'est que toute l'observation est régie par l'évocation de la série d'expériences, d'expérimentations auquel le petit Hans s'est livré. C’est à dire que c'est un monde d'expériences et de sensations qui vient asseoir son savoir, alors que rien de cette expérimentation ne pourrait justifier un certain nombre de symptômes, comme la crainte d'être mordu. Un jour il a entendu un papa qui disait à sa fille « ne met pas ta main tu pourrais être mordue », ça ne suffit pas pour être retenu et constituer un événement, ça. Si ça constitue un événement, c'est pour d'autres raisons, puisque, en outre, il nie la différence des sexes, et vous pouvez voir tout du long qu’en réalité la série de ces expériences est entièrement commandée par, justement, le rapport de ce petit parlêtre aux signifiants, et que c'est de là, dans la mesure où il a quitté le langage de signes qu'il avait avec sa mère, que c'est de ce rapport au signifiants que naissent non seulement les problèmes mais toute une série d'images qui vont être décisives. Alors je ne vais pas reprendre le Pferd et son rapport avec le PFreud, je ne vais pas reprendre la girafe avec son patronyme c'est à dire Graf, je ne vais pas reprendre la question de ces wagons chargés que tire le cheval. Qu'un cheval tombe ça ne le fait pas disparaître pour autant, mais au fond et c'est là un élément propre à la phobie et que Freud escamote, la grande crainte c'est celle de se trouver face à un trou dans la sémiologie. L’élément phobogène majeur c'est le trou, la rencontre dans l'espace d'un trou, la rencontre d'un espace troué et qui, à partir de là, se défait comme espace, de sorte qu'il ne peut plus bouger parce que pour bouger, il faut être dans un espace plan. Si on n’a pas l'assurance de se déplacer dans un espace plan et dans la mesure ou cet espace plan est forcément régi par le plan projectif, c'est à dire un regard qui se situe du côté de l'autre, et qui en quelque sorte illumine en les légitimant les objets qui se déplacent dans cet espace plan, eh bien si vous n'avez pas ce dispositif là, et qui implique donc avec la présence de ce regard la perte d'un objet, l'objet regard, eh bien vous ne pouvez plus bouger, vous êtes cloué sur place. Vous ne pouvez plus ni avancer ni reculer parce vous manquez de l'espace dans lequel vous pourriez vous déplacer. Puisqu'on ne s'y déplace qu'au titre de silhouette, qu'au titre d'image on ne s'y déplace pas avec son corps, on s'y déplace comme une image, en représentation, pas en tant qu'objet, en tant que représentation, et c'est donc à partir de son expérience du langage, de son entrée dans le langage que l'enfant va ordonner ses perceptions, ce ne sont pas ces perceptions qui ordonnent son langage, c’est son langage qui ordonne ses perceptions, et il ordonne tellement ses perceptions qu'elles font que ce que l'on voit ce n'est jamais que ce que l'on sait, que ce que l'on ne sait pas, on ne le voit pas ! Ce n'est pas compliqué. On ne voit jamais que ce que l'on sait et ça nous renvoie à l'un des problèmes de la démarche clinique de Freud dans cette observation, il n'y apprend rien de cette observation, on n'y trouve que l'application de ce qu'il sait. Et cette situation nous explique pourquoi Lacan à propos de la clinique a parlé de la carte forcée de la clinique parce que vous trouvez volontiers chez les psychiatres en particulier, cette idée, qu’on apprend de la clinique, c'est la clinique qui nous enseigne. Le seul problème c'est que je ne perçois dans le champ des symptômes que ce que je sais, que ce que je répertorie comme symptôme, autrement dit la clinique ne fait que vérifier, confirmer ou infirmer ce que je sais. Et c'est ce dont Freud nous donne la démonstration magistrale. C'est à dire qu'il opère comme tous les scientifiques, j'ai des thèses et vous voyez, elles s'appliquent au champ de la réalité et la réalité vient confirmer mes thèses.

Et il y avait dans la démarche de Lacan quelque chose d'extraordinaire, absolument, une chose complètement étrangère à la démarche habituelle de ceux qui traitent la réalité, et y compris, pas seulement dans sa présentation de malade, mais à l'égard de ses patients. Il se présentait toujours comme celui qui ne savait pas, qu'au fond ce qui l'intéressait ce n'était pas de vérifier son savoir, ce qui l'intéressait c'était ce qui justement échappait à son savoir et pouvait éventuellement être perçu par lui et éclairer son savoir autrement. Pour faire ça, hein il faut être fort, il ne faut pas avoir peur d'être ignorant, la docte ignorance, ça s'est appelé comme ça avec Nicolas de Cues – tiens, il faudra le relire un jour – la docte ignorance, eh bien c'est ça, c'est‑à‑dire être suffisamment savant pour pouvoir affronter ce qu'il en est du Réel et non pas simplement se conforter, se consoler, en disant, ben vous voyez ça confirme bien ce que je sais. C'est exactement ce que fait Freud et le papa tout du long de cette observation. Et alors évidemment le temps fort, ça va être l'entrée en jeu du clown blanc, c'est à dire de Œdipe, c'est le temps fort, c'est le temps fort puisque, là quelque chose va être émis comme par un oracle, un oracle qui a beaucoup de rapport avec le cheval, un cheval qui parle, Freud c'est le cheval qui parle, il murmure à l'oreille du petit Hans, et qui va lui dire « il y a du papa et maman il faut que tu lui dises au revoir », c'est comme ça et personne ne s'étonnera du même coup que cette libido est supposée justement s'aplatir et rentrer dans la période de latence … Ca n'étonnera personne pourtant, d'un point de vue économique, pourquoi il suffirait de dire ça ? Peut-être parce le signifiant introduit un ordre, soit de la tempérance, soit de la remise à demain, ce que tu ne peux pas faire aujourd'hui, tu le feras demain quand tu seras grand, donc pour le moment tu te calmes, et ça suffirait pour faire tomber la libido. C'est génial ça. Mais en tout cas c'est bien comme ça que ça opère, c'est à dire l'introduction dans cette affaire de la relation à l'objet, dans la relation au monde d'un trou, mais d'un trou ayant un sens sexuel, c'est ça l'Œdipe, c'est‑à‑dire que la séparation opérée là par le père n'est pas traumatique, ce n'est pas un acte de violence, même s'il y en a des assertions ou des cas sûrement, mais cette séparation a un sens sexuel et c'est bien ainsi que ce manque est susceptible d'entretenir le désir et donc la fonction phallique. Si Lacan avance que la mise en place de cet ordre symbolique aboutit chez Hans à l'identification féminine, et d'ailleurs il relève également dans ses commentaires, Freud, l'attachement que Hans aura pour sa petite sœur, pour Anna. Les parents divorceront, comme il se doit mais Hans restera. On pourrait supposer qu'il y ait une hostilité fondamentale contre cette intruse, mais comme si après tout c'était peut-être Anna dont la naissance avait fait rupture, là, dans sa relation à sa mère, fait coupure dans sa relation à sa mère et comme si peut être Anna était la représentante en tant que féminine de ce référent phallique qui est en cause dans l'affaire, et comme si, dès lors, une identification phallique qui vaut, qui tienne était nécessairement féminine, le père thérapeute, ne s'étant guère montré à la hauteur. Ça, c'est en tout ça l'interprétation très intéressante que fait Lacan en s'appuyant sur l'analyse du second rêve du plombier là où c'est tout l'appareil que le plombier vient changer. Réel, Symbolique et Imaginaire vous avez le bonheur exceptionnel, bien que vous ne le sachiez pas toujours, de disposer sur vos étagères à vous, qui ont fait le vide des ingrédients délicieux qui sont dans cette affaire, vous avez la chance de disposer des dimensions. Dimensions ça veut dire mentions du dit. Mention, menta c'est la table, bizarrement c'est l'esprit aussi, c'est curieux; ce sont les mentions du dits, ce sont les surfaces qu'établit tout dit. Vous avez la chance de disposer de ces mentions du Réel du Symbolique et de l'Imaginaire qui vous permettent de ne pas vous endormir après avoir mangé de ce gâteau et donc de pouvoir démêler, car c'est complément enchevêtré, complément confus, passer sans cesse d'une dimension à l'autre, et de pouvoir vous interroger, vous dire : « mais voyons, si je devais essayer de représenter, sur le mode borroméen puisque Lacan c'est risqué dans ce genre de chose, cette affaire qu'est ce que je dirais d'abord ? Je dirais que ce que l'on voit c'est que l'on a affaire à un Réel, le cheval, qui n'est pas symbolisé. Il n'est pas symbolisé, c'est à dire qu'il y a là une présence qui, au lieu de s'absentifier du champ des représentations comme c'est le devoir de tout réel, comme c'est le devoir de l'objet petit a quand il est regard, quand l'œil se met à figurer dans le champ des représentations ça devient gênant, le mauvais œil là, c'est pas agréable, bon... Eh bien ce Réel n'est donc pas symbolisé et donc comment les faire tenir ensemble, comment ne pas supposer que le Réel par exemple recouvre le Symbolique mais sans y être noué, alors comment ça tient ? Comment ça tient ? Ça tient peut être par justement le fait que ce déploiement de l'Imaginaire peut être déploiement de l'imaginaire, pour, se faufilant dans ces deux ronds non pas noués, ni l'un pénétrant l'autre, mais superposés, pour faire un nouage qui n'est plus borroméen. Alors là il faudrait ouvrir un chapitre qui serait très intéressant pour la clinique de la phobie, qu'est ce que ce devient un nouage de la sorte quand il n'est plus borroméen, quelles en sont les conséquences cliniques ?

Et c'est donc sur ce qui vous introduit dans un suspens absolument haletant que je vais donc m'arrêter là ce soir, avec le fait donc que la prochaine fois puisque nous avons encore plusieurs rencontres nous abordions la façon dont Lacan, dont je ne me suis aucunement inspiré hein ? Pour vous faire cette lecture, je ne me suis pas du tout inspiré à ce qu'il raconte, ce qui fait que ça va conserver pour nous sa fraîcheur. On va voir sa manière de procéder, on va voir si nous sommes d'accord, et donc à partir de la prochaine fois nous aborderons la relation d'objet et le trimestre consacré à notre cas. Alors Freud le conclut, vous l'avez vu, en disant « voilà l’épilogue » en 1922, un beau jeune homme est venu le voir, bien sous tous rapports, qui a 19 ans, et qui lui raconte que « oui il va très bien, il va très bien, et qui n'a aucun souvenir de cette affaire et il a lu tout ça évidemment et il ne s'est absolument pas reconnu dans cette histoire » alors dit Freud : « voilà, c'est l'effet du refoulement ». Peut être, mais peut être aussi n'était ce pas son histoire. Eh bien c'est ce que nous allons vérifier à partir de la prochaine fois.

Est-ce que vous avez des questions ?

 

- Est-ce que cette séparation entre un espace domestique et un espace public, ça détermine, par rapport à la phobie, une pathologie qu'on pourrait dire, une pathologie du refoulement originaire ? 

 

- Oui, j'ai laissé tomber ça, vous avez raison de m'y ramener. Ce qui est étrange c'est de penser que l'espace domestique, c'est une enclave dans l'espace public, et que l'espace domestique, c'est un espace réel, ce n'est pas un espace imaginaire. Et ça faudra le développer, mais en tout cas donc, c'est comme ça. Et c'est ce qui fait que quand on rentre à la maison c'est comme si on n'était plus sous le poids du regard, on met des pantoufles, on se déshabille, on se néglige, on s'affaisse, on n'a plus d'image à tenir enfin certains, ce n'est pas obligatoire, c'est très étrange ça, ce que je vous fait remarquer. C'est un espace réel. 

 

- L'espace public est-il imaginaire ?

 

-L'espace public, il est les trois. Mais l'espace domestique il n'est pas dans l'espace public. Autrement dit c'est l'espace de la divinité. De la divinité familiale, du dieu lare et dont la mère est la vestale. Vestales, vous connaissez les vestales, vous savez qu'elles étaient aussi bien définitivement vierges que définitivement prostituées, ça fait rêver les enfants ça, non ?

 

- La chute du phallus. Alors est-ce qu'elle est liée bien sûr à ce que vous avez dit, au père thérapeute, puisque vous aviez insisté sur le fait que le déclenchement de la phobie était lié au fait qu’il mettait le phallus du coté de la mère, alors est-ce que cette question vous dites la que c'est Anna elle même est représentante du phallus,  donc est-ce que la fragilité de ce phallus qui peut tomber à chaque instant –  j'ai une patiente dont la phobie c'est déclenchée au moment ou elle a vu la chute des twin towers – est-ce que donc c'est également lié à cette conservation du phallus du côté féminin.

 

- Non, non, c'est lié au fait que si ce phallus n'est pas garanti en quelque sorte par les manifestations que produit l'ordre symbolique du même coup il n'est plus soutenu que par lui même, je veux dire qu’il n'a plus d'autre support que lui même

 

- D'accord, donc le fait que pour lui ça reste du coté féminin n'a pas d'autre … 

 

- Vous verrez que j'ai fait pour le site de l'association un petit billet, un édito là, comme on dit et qui traite du vrai et du faux à la suite de la journée sur l'imposture à laquelle vous étiez tous bien sûr et vous verrez de quelle manière c'est directement branché sur cette lecture, de ce qui fait le vrai et le faux, et pourquoi donc ce cheval n'est garanti par rien que par lui même,  donc il peut tomber à tout instant.

 

-Stéphane : Bon alors puisque vous m'y poussez, une question pour vous, à partir de la fonction du nom du père, la fonction du nom du père est une fonction, donc une fonction, comme une fonction mathématique qui nous emmène vers les mathématiques, vers la science ?

 

-. CM :Oui,

 

- S : Et c'est la fonction qui peut prendre en fait deux valeurs, une valeur 0 : il n'y a pas de nom du père il n'y a pas de sujet, forclusion, ou bien il y a un sujet si, bon, c'est un deuxième cas. C'est à dire dans la valeur 0 il peut y avoir ou ne pas y avoir de sujet, et dans la valeur 1, il y a du sujet, autrement dit on est là avec une fonction, mathématique, c'est à dire qui se conçoit sans sujet en tant que telle en tant que fonction, qui génère du sujet.

 

- CM : Oui,

 

- S :C'est la fonction, c'est dieu quoi ?

 

- CM : C'est Dieu…chacun à le droit de l'appeler comme ça si ça lui plait, hein, moi tout à l'heure j'ai évoqué, d'yeux, d'apostrophe y e u  x mais on peut l'écrire autrement.

 

- S. :C'est quand même paradoxal d'avoir une fonction qui crée le sujet, alors que la fonction en elle même est dépourvue de tout sujet, en tant que fonction.

 

- CM : Absolument. Ben oui. C'est ça qui est, qui est quoi ? C'est du créationnisme. Et oui, bien sûr.

 

- Stephane : Moi j'ai une question, pourquoi il n'est pas devenu pervers le petit Hans avec cette présentification de son zizi réel ?

 

- CM : Alors c'est ce que dit Freud il y à la un chapitre là, qui est très amusant, pour dire pourquoi il n'est pas devenu homosexuel. Sans doute il n'est pas devenu homosexuel, parce que, je ne sais pas. Moi je dirai qu'il n'est pas devenu homosexuel parce qu'il savait que la maman ne s'intéressait pas beaucoup au sexe des messieurs. Que ce n'était pas pour elle un objet d'élection. Quelque chose comme ça.

 

- C'est bien

 

- A bientôt, donc. 

 

Charles Melman