Charles Melman : "Le petit Hans" - 10

Conférencier: 

EPHEP, Séminaire de Charles Melman, le 3/04/2014

 

Nous allons terminer en beauté c'est-à-dire nous intéresser exclusivement aux filles, d'accord? Pour résoudre un problème dont il est vrai qu'il est rarement abordé mais comme dans cette école nous ne nous refusons rien, et bien donc nous allons traiter la phobie chez les dames, pour les dames. Ça n'est d'ailleurs qu'inaugurer ce qui quand même se fera un jour c'est-à-dire la reconnaissance du fait que la pathologie n'est évidemment pas la même selon le sexe. C'est bien normal puisque si la structure est différente, il est bien normal que la pathologie soit différente mais nous avons toujours cette excellente habitude de traiter la question à partir d'un homme abstrait, et il est tellement abstrait que finalement c'est toujours le même. Et donc on ne parle jamais des dames comme il faudrait.

 

Alors, nous sommes partis de ceci, c'est que l'enfant, pour une maman, est toujours ou presque, ce qui vient répondre à son Penisneid, et c'est ce qui assurément fait sa valeur et comme nous l'avons rapidement évoqué, préserve ce petit bout de chou de se désintéresser, de renvoyer à une mère elle-même désintéressée par son produit, son propre désintérêt en retour et donc une entrée dans l'autisme. L'autisme c'est ça, c'est un enfant qui ne s'intéresse pas, et comme vous le savez lorsqu'on veut faire remarquer que s'il ne s'intéresse pas, c'est que sans doute le message qu'il reçoit est déjà celui d'un désintérêt majeur, et bien on se fait à ce moment-là mal voir. Donc, l'enfant comme venant répondre au Penisneid maternel, et donc chez chaque enfant, cet imaginaire du phallus, puisqu'il vient occuper cette place, et donc ce qui vient répondre à cette question autrement énigmatique: comment se fait-il que la petite fille, au même titre que le petit garçon, s'éprouve également pénienne, et cela jusqu'à à peu près deux ou trois ans, cela ne fait pas problème, ce qui montre bien, je dirais, la prévalence de l'Imaginaire sur le Réel.

Cela mériterait un instant de réflexion cette prévalence de l'Imaginaire sur le Réel puisque cela vient nous confirmer que l'observation, ça nous donne évidemment prioritairement accès à l'Imaginaire bien plus qu'au Réel. Rien que cette étape mériterait de mettre chez nous en doute, exposer au doute systématique ce qui relève de l'Imaginaire.

 

Et donc, on a pu vérifier chez le petit Hans que sa petite soeur, il a beau voir le réel de son anatomie, il n'empêche qu'il lui attribue un instrument comme le sien et qu'il va attribuer à sa maman, évidemment comme elle est grande, un instrument grand comme celui d'un cheval, etc. Ce qui pose évidemment cette question: quand est-ce que l'enfant va opérer la rupture entre Imaginaire et Réel, et découvrir le Réel? Alors la réponse que nous avons vu de Lacan à cette légitime interrogation, on ne saurait la lui reprocher, et que cela se produit pour le petit Hans quand il commence à éprouver des sensations dans son petit Wiwimacher, dans son petit fait-pipi, et que donc celui-ci d'imaginaire devient bien réel.

 

Mais est-ce qu'il en est de même pour la petite fille? Ah, nous commençons à entrer dans la particularité de la question. Est-ce qu'il en est de même pour la petite fille, autrement dit, est-ce qu'elle va connaitre la même opération que lacan appelle castration c'est-à-dire l'effacement de l'imaginaire de la zone phallique au profit de ce qui sera la promesse d'un retour par une reconnaissance symbolique de l'identité sexuée. Le problème, c'est que nous ne pouvons pas présumer d'éventuelles sensations chez la petite fille à l'égal de celles du petit Hans, mais en tout cas nous sommes bien obligés de remarquer que en général elle ne subit pas le même sort, c'est-à-dire qu'elle est d'emblée entretenue dans des signes extérieurs d'appartenance féminine, autrement dit comme une petite future bonne femme, ou une future petite bonne femme, ou une bonne petite future femme, comme vous voudrez. Et donc il n'est pas exceptionnel que loin que soit attendu d'elle justement un renoncement à l'imaginaire phallique, au contraire ne soit entretenue chez elle cette reconnaissance d'une féminité sans doute précoce mais en tout cas promise, et qui fait que bien évidemment la petite fille a, par rapport au garçon, ce gros pataud, une intelligence, une allure et des capacités qui aujourd'hui sont vérifiées à l'école bien sûr, et une lucidité beaucoup plus éveillée que celle de ce gros pataud, avec cependant une petite différence sociale qui est à noter, c'est que la petite fille sera en général partie d'un couple avec une autre petite fille, organisation en couple, aboutissant toujours à la dispute, au conflit, à la séparation, à la dénonciation avec la petite semblable, relation à l'image de soi comme usurpatrice, abusive. Alors que le pataud, lui, s'organise en bande, il est beaucoup plus rare qu'il fasse partie d'un duo, mais en général il fait partie d'une bande, opposée à telle autre etc, mais c'est en tout cas en bande qu'il s'organise, et Lacan aura cette remarque apparemment singulière qui sera de dire que plus tard les filles sortent par deux pour venir décrocher l'un des garçons de la bande, et que c'est comme ça que ça se fait.

 

Alors si cela est exact, dans ce cas de figure parce que il n'est pas toujours généralisé évidemment, puisqu'il y a des mères, et en particulier lorsqu'elles sont de stricte observance de leur religion, qui témoignent d'un renoncement aux signes extérieurs de féminité qui semble tout à fait s'apparenter à la castration opérée par le garçon, autrement dit renoncement de tout signe extérieur de phallicisme, pas besoin de spécifier dans quelle religion cela s'observe, et avec des conséquences qui ne sont pas quelconques puisqu'elles pourront de la sorte espérer en retour une reconnaissance symbolique à l'égal de celle du garçon, ce qui ne se produit pas toujours. Si nous prenons une religion fort répandue qui s'appelle le protestantisme, il est bien clair et aisément vérifiable, on pourrait aussi bien évoquer le judaïsme avant lui, que la fillette est exposée au type de castration à l'égal de celui de son frère et cela pour un futur qui viendra entretenir le renoncement à tout signe extérieur qui pourrait paraitre impudique, exhibitionniste. Je ne sais pas si on fait souvent remarquer ce genre de choses qui pourtant sont bien réelles.

 

Mais supposons que, dans un cas de figure qui, là encore, peut exister parce qu'il y a à ce niveau toute une gamme de comportements bien entendu possibles, supposons que la fillette passe par le même type de renoncement aux signes extérieurs imaginaires de phallicisme, et qu'elle attende en retour une reconnaissance symbolique à l'égal de celle du garçon, et qui ne vient pas, d'où bien entendu la production d'un vif sentiment d'injustice, de tromperie, de vol, et on sait combien ce type de rapport aussi bien avec les parents qu'avec le milieu social, on sait combien c'est fréquent, on va dire ça comme ça, c'est basique. Et puis, supposons qu'avec cette castration subie par la fillette à l'apparence identique à celle du petit garçon, s'introduise donc la période de latence, et nous arrivons à la puberté, avec à ce moment-là une période de crise identitaire, qui est égale dans les deux sexes, et cette crise identitaire est simplement le témoignage de la réticence de notre culture à entériner le passage à la sexualité de l'enfant, autrement dit de célébrer ce passage par un rituel dont le caractère symbolique viendrait dès lors le conforter, le justifier et le déculpabiliser dans son identité sexuelle. C'est quand même assez rude ce que l'on fait subir là à nos adolescents en leur disant : c'est une affaire privée, débrouillez-vous. Et ce qui est pire, c'est que dans ce contexte culturel, des parents libéraux qui acceptent, et qui ont le courage, ou qui ferment les yeux sur les manifestations sexuelles de leur ado, ne sont pas forcément mieux perçus, ce qui montre simplement que le problème essentiel est celui de la reconnaissance symbolique, non pas « tu seras un homme, mon fils », mais « tu es maintenant un homme mon fils » ou « maintenant tu es une jeune femme ma fille », et rien que de formuler les propositions en ces termes vous voyez combien notre culture en est éloignée et que nous ne faisons là encore que renvoyer à nos ados le message de notre propre refus de la sexualité. Je vous trouve drôlement sages ce soir.

- Dans une conférence que vous avez faite en Belgique qui s'appelait « Une langue sans signifiant maitre », vous avez apporté cette question de la puberté que vous avez développée à partir du Noeud à trois, et si je vous dis ça c'est que ce serait peut-être intéressant de le développer un peu, mais ce que j'avais retenu c'est que entre le noeud, le réel du sexuel qui advient à l'adolescent et l'interdiction qui lui est faite, l'impossibilité qui lui est faite, enfin le symbolique lui étant interdit, il y avait une dissociation entre les trois ronds du noeud, et vous aviez pris cet exemple pour illustrer de la manière, vous aviez dit une des plus belle manière qui soit, que le noeud à trois était très pratique, très utile dans la clinique.

 

-Je vous remercie de le rappeler, je trouve que c'est pas mal ce que j'ai dit à ce moment-là. Je reprendrai ça très rapidement tout à l'heure.

En tout cas, donc, la puberté c'est-à-dire ce qui vient à ce moment-là dans le réel, dans le réel du corps, et qui ne trouve en face de lui qu'un symbolique défaillant et un imaginaire jugé piteux. C'est absolument stupéfiant de voir de très beaux ados se juger difformes ou mal foutus ou laids ou disgraciés etc. Et donc, dans ces cas, évidemment la proximité dans cette crise de l'identité sexuelle, qui est donc une phase littéralement, et bien donc la légitimité d'une émergence de la phobie.

 

Alors la phobie, on va partir de l'un de ses paradoxes cliniques qui est que, ça peut être aussi bien de la claustrophilie qu'une claustrophobie, voire même le passage de l'un à l'autre. Voyez, ce n'est pas ou l'un ou l'autre.

Alors, la claustrophilie, commençons par elle, c'est quand même la plus fréquente, autrement dit le fait de ne pas pouvoir quitter son domicile, et la notion de domicile est là essentielle, c'est le domicile parental, de ne pas pouvoir le quitter de plus d'une distance variable mais en général assez courte pour laisser penser que le retour au foyer peut rapidement se faire, c'est pas une distance qui nécessiterait par exemple un moyen de transport, une attente, etc, et que c'est une limite qui n'est pas métrée, on ne dit pas: là je peux faire 30 mètres et la trente et unième je ne peux pas, faut que je rentre, c'est une limite, je dirais, élastique, comme si au-delà il n'y avait pas d'espace. Comme si l'espace, au lieu de fonctionner comme le plan euclidien qui nous est ordinairement familier et dans lequel nous nous situons, comme s'il y avait là une maladie de l'espace c'est-à-dire justement, de l'imaginaire, et que son extension était à la fois variable mais limitée au centrage autour du domicile et que au delà, la marche n'était plus possible.

Alors, on pourrait prendre cette impossibilité comme étant un refus hystérique, et que une bonne paire de claques viendrait guérir cet empêchement, eh bien pas du tout, ça n'est pas du tout hystérique, c'est physiologique. Parce que cela témoigne simplement que au delà de cette zone limitée, centrée par le domicile, il n'y a plus d'espace, et que donc vous ne pouvez plus vous déplacer, et la motricité se trouve littéralement à partir de ce moment-là, c'est-à-dire au niveau de la limite, la motricité se trouve défaite.

 

La motricité, le jeu de la motricité suppose évidemment une harmonisation permanente entre des muscles mis au repos tandis que d'autres entrent en activité, autrement dit la motricité, et nous en avons le témoignage à l'occasion de cette affaire, suppose une césure dans l'organisation musculaire, césure elle-même sans cesse variable avec le mouvement, avec la marche, et qui périodiquement, ou instantanément met au repos tel groupe musculaire pour permettre la contraction de tel autre. Cela procure d'ailleurs toujours, quand ce dispositif est de bonne qualité, une impression d'harmonie, il y a une notion de beauté qui est attachée à cette affaire, lorsque ça se déroule bien, il est évident que la danse fait partie de ce qui procure cette idée d'une harmonie. Et il est évident que cette césure au niveau des groupes musculaires implique la participation à une césure plus fondamentale qui est celle que nous appelons celle de l'objet a, et dont c'est précisément la chute qui va mettre en place, avec le plan projectif, l'espace euclidien qui, ce plan projectif, vient le masquer ou le représenter sous la forme du tableau qui n'est apparu, comme vous le savez, qu'au xv° siècle. C'est quand même merveilleux que, jusqu'au xv° siècle, on ait ignoré le plan projectif. Constitution donc, avec la chute de cet objet a, et dont fait partie bien évidemment le regard, du plan euclidien, qui toujours inclut le moi de celui que j'appellerai non l'opérateur, mais l'opéré. Il est toujours dans le tableau. Et c'est ce que vous retrouvez à propos de cette analyse que fait Lacan du tableau des Ménines, interprétation très audacieuse et évidemment fort intéressante. Et comme si donc, je dirais, avec ce défaut d'une chute de l'objet a, et qui peut s'interpréter comme relevant du registre de la castration, eh bien avec ce défaut, absence de mise en place de l'espace et de la présentification de cet espace du moi de l'opéré et en tant que ce moi ne va pas sans l'identité sexuée qui lui est, ah voilà on va poursuivre le problème, de l'identité sexuée qui est toujours phallique. Il est bien évident que cet espace domestique ne doit ce privilège qu'au fait évidemment d'être l'abri de ce que j'appelle le dieu lare, que vous écrirez comme vous voudrez, c'est-à-dire du lieu qui abrite réellement le phallus générateur de la famille. C'est très étrange cette disposition.

 

Eh alors vous me direz: j'en suis là à la clautrophilie, ou bien à la disposition d'un espace limité autour de ce phallus réel, comment expliquez vous la claustrophobie, et le fait que le même sujet puisse être amené à se sentir expulsé de chez lui pour s'en aller dans l'espace public, si ce n'est à considérer que la présence de ce phallus réel ainsi appelé au secours ne masque pas toujours la carence du phallus symbolique, c'est-à-dire du pur trou qui aurait ici à se trouver agencé, et dont la vacuité dès lors, je veux dire en tant que symboliquement non achevé, non marqué, non identifié, dont la vacuité par cet espèce de renversement, fait que ce sera l'espace public qui sera fréquentable, et alors que l'espace domestique va paraitre insupporté.

 

C'est à partir de cet endroit, de ce moment que vous entrez dans cette clinique remarquable de la phobie puisque les éléments phobogènes, dans cet espace dnt je parle, vont être en quelque sorte la dénudation dans le champ perceptif du plan projectif, c'est-à-dire, dénudation du plan projectif, que ce qui sera phobogène, ce sera par exemple les espaces constitués d'avenues qui viennent toutes converger à l'infini vers le même point, autrement dit les espaces des villes modernes. Et je racontais volontiers que l'espace de la ville médiévale était assurément une grande protection contre la phobie, on s'y sent d'ailleurs toujours très bien dans une ville médiévale, hein? C'est toujours très sympa on ne sait pas pourquoi, eh bien maintenant vous saurez pourquoi, parce qu'elle n'est pas construite sur ce plan où vous êtes exposés à toutes ces avenues qui concourent vers un point à l'infini, lui-même qui dans le plan projectif évidemment n'est pas un trou mais qui, ici, dans cette dénudation est vécu comme un trou. Et je trouve assez remarquable que dans la phobie ce qui va déclencher l'accès, c'est-à-dire l'immobilisation sur place, ce soit la perception de la structure du plan projectif, et, par exemple il est tout à fait connu, les cliniciens, les psychiatres classiques qui ont écrit sur la phobie et en particuliers Lasègue, si je ne me trompe pas, qui a écrit sur la phobie, ils font très bien le répertoire de tous ces cas, par exemple d'être situé dans ce qu'on appelle le paradis d'une salle de théatre à l'italienne, tout en haut, la scène est en bas, toute petite, et il est évident que toutes les lignes concourent vers ce petit trou qui est là en bas et immanquablement le déclenchement de l'accès phobique, par exemple.

 

Et quelque chose d'encore plus remarquable, ce soir nous allons ensemble du remarquable au plus remarquable, et qui n'est pas évident à expliquer, c'est-à-dire la présentification dans l'espace d'une ligne de fracture, d'une ligne de coupure entre deux rives et le franchissement de cette ouverture entre ces deux espaces, en général grâce à un pont, ce franchissement provoquant chez le phobique le fait que à mi-distance, il s'arrête et il ne peut plus bouger, ce qui, s'il a quelque obligation peut provoquer quelque inconvénient,ce qui se produit avec angoisse évidemment. Et comment interpréter cette autre circonstance topographique pour rendre compte comme cause du déclenchement de l'accès phobique, si ce n'est justement que dans le plan projectif, c'est comme si on passait, et je vous renvoie là à la structure du cross-cap, comme si on passait d'une rive à l'autre sans coupure, c'est-à-dire que la chute de l'objet a fait justement que l'on passe d'un côté à l'autre sans coupure et là, cette présentification de deux bords, de deux rives séparées par une coupure semble la perception justement de ce qui est la cause c'est-à-dire l'échec de la mise en place du plan projectif et donc de la constitution d'un plan de projection de type euclidien, comme si c'était là la vérité de l'affaire qui se révélait. Quand on a affaire à un phobique, il sait qu'à un moment ou à un autre il va se retrouver devant une affaire comme celle-là c'est-à-dire il y aura deux bords, il y aura un large pont, solide, tout ce qu'on veut, sur lequel passent les camions, les autobus, et il ne pourra pas, et il le sait, il le sait à l'avance.

 

-Est-ce que la question du vertige se rattache à la phobie?

 

-Je ne sais pas.

C'est donc maintenant le moment enfin venu où nous allons voir, je crois que les éléments ont été apportés qui nous permettent d'en venir facilement à ces conclusions: pourquoi une femme va se trouver plus particulièrement vulnérable par rapport à la phobie, c'est-à-dire par rapport à la perception de l'espace et ne serait-ce déjà à l'orientation de l'espace ? J'adore toujours ça, de voir comment cette mise en place de l'espace, de ses repères, peut se trouver si facilement contrariée et je dirais faire partie, moi je le dis comme ça, de ce qui est le charme spécifique d'une femme. Comme si le type, lui, il savait toujours d'où il vient et où il va, tandis qu'une femme, s'il est vrai qu'elle est pas-toute, eh bien dans ce lieu Autre il lui est beaucoup plus difficile de savoir d'où elle vient, s'il n'existe pas de « x non phi de x », d'où est-ce qu'elle sort? Je vous le demande, et donc si elle ne sait pas d'où elle sort, elle ne sait pas non plus d'où elle vient.

 

Et vous voyez que à aborder cette clinique de la façon suivante, vous voyez déjà qu'une femme va se trouver exposée au petit problème suivant, c'est-à-dire que pour justifier sa présence dans l'espace euclidien, elle se doit de faire valoir des signes d'appartenance phallique, alors que lui, le bonhomme, du fait de cette reconnaissance symbolique, il est supposé au niveau de son image, justement, radicalement sacrifier de ce qu'il en serait de l'indice de son appartenance, une femme devrait, elle, comme la petite fille dont je parlais tout à l'heure, une femme devrait, elle, pour être admise, maintenir au niveau de l'imaginaire des signes extérieurs d'appartenance, qui sans cesse l'exposent au malaise de ce qui pourrait être mal interprété, par exemple être interprété comme une invitation alors qu'il s'agit simplement d'une assurance de l'identité, rien de plus mais qui a néanmoins besoin de passer par quelque chose qui est cet acquiescement de l'invitation possible, donc vous voyez comme c'est embêtant, et donc il nous faut bien mesurer ce que cela veut dire dans le cadre de cette clinique, qu'une femme ne soit pastoute phallique. Pas toute phallique dans cette affaire pourrait se dire ainsi, par exemple, que faute de l'être symbolique à l'égal du garçon, il lui faut des arguments de l'ordre de l'imaginaire pour le faire valoir c'est-à-dire témoigner de l'attrait qu'elle est susceptible - non pas du trait mais de l'attrait, voyez c'est amusant, l'attrait c'est joli ça - de l'attrait qu'elle est susceptible de faire valoir et en même temps du fait qu'elle est là dans cet espace mais que en même temps elle est ailleurs, que en même temps elle est Autre, qu'elle est là mais pas tout à fait là, et qu'elle a aussi cet espèce d'espace réservé qui ne relève pas du champ euclidien, vous n'avez jamais vu l'espace de l'Autre dans l'espace euclidien, et donc elle est là mais sans tout à fait y être. Et que c'est donc un balancement permanent entre ce qui risquerait de paraître comme une exhibition et une provocation, et un retrait, que va se produire toute une gamme de conduites, faute ou avant de trouver avec la maternité le signe enfin d'une reconnaissance symbolique qui, à ce moment-là lui permet parfaitement de renoncer à la féminité, elle n'a plus besoin de prétendre relever d'un champ Autre, elle est entièrement partie prise, au même titre que son compagnon, dans l'espace euclidien. Donc vous voyez ce problème, ce type de difficulté, cette d'énergie qui peut alimenter toute une vie, je dirais, du malaise qui lui est spécifique, sentiment de ne jamais être tout à fait comme il faudrait, de ne jamais être en paix avec soi-même, et le fait que le passage à une reconnaissance enfin tamponnée implique le détournement des signes de la féminité au profit de ce qui est la maternité. Et donc du même coup, avec cet avènement, le fait que la sexualité n'est plus nécessaire. Moi j'adore sur les trottoirs étroits de mon quartier quand se profile au loin une dame avec la poussette, et il vaut mieux s'écarter hein! Parce que elle fonce comme un instrument guerrier.

Tout ceci ne vaut que dans un dispositif qui implique évidemment que la reconnaissance passe par le père originel, et puisque c'est lui qui délivre, je dirais, les passeports. Et donc nous savons là aussi, à l'endroit de ce père originel, tous les modes de relation qui pourront, toute la gamme, tout l'éventail de relations qui pourront se déployer, allant de la passion à la dénonciation la plus féroce. Et le fait que si vous considérez le noeud à trois ronds, vous voyez là que ce qui fait tenir les trois dimensions consacrées, c'est le cas de le dire, ce n'est plus le passage obligé par le Nom-du-Père, mais c'est l'objet a. L'objet a en tant que, et ça, nous n'arrivons pas encore à le penser, en tant que pur recoupement de trous produit par le serrage de ronds, mais qui n'opère la saisie d'aucune substance, qui n'opère que le cernage d'un trou en tant que celui-ci va être commun aux trois ronds, aux trois dimensions. L'objet a dont nous parlons sous la forme du regard, de la voix, du sein, des fécès etc, c'est la partie du corps que nous déléguons en quelque sorte pour venir faire sens et faire jouissance dans un dispositif qui par lui-même ne comporte aucun objet prédestiné, qui attendrait en quelque sorte le sujet; pur trou l'objet a. Et il est certain que du même coup, avec le rond à trois, la question de l'identité sexuelle se pose de manière radicalement différente, elle ne passe plus du tout par la répartition de ce trait séparateur, mais elle passe par, ah! alors là! elle passe par quoi? ah! vous aimeriez le savoir! Alors nous allons poétiser un petit peu, encore pendant deux minutes, avant que je m'expose à la multiplicité des questions dont vous allez m'assaillir.

 

Qu'est-ce que seraient deux sexes, qui tout en étant différents, et dont l'un qu'on pourrait supposer mâle, et l'autre femelle, se reconnaitraient comme participant d'un même manque, central et organisateur de leur identité? Pas d'un même objet, mais, je dirais, dépendant du même manque.

 

N'oublions pas que dans le noeud à 4, l'objet c'est le phallus, c'est lui là qui est central, je dirais, à la place de l'objet désiré. Et c'est bien ce qui donne son caractère éminemment homosexuel à nos vies de couple, même si dans la réalité ils sont hétérosexués. Autrement dit, que ce qui est sans cesse demandé à l'une comme à l'autre, c'est de s'accomplir dans l'identification phallique. Avec, puisque c'est notre dernière séance de cette troisième année, pour nous en tout cas, avec ce fait que l'identité homme et femme serait donc construite tout autrement que par ce marquage phallique. Et de telle sorte que, ce que nous voyons se produire sous nos yeux avec la théorie du genre et tous ces machins, ce sont en réalité des manifestations, évidemment tout ça s'est fait dans la suite, ce sont les conséquences de Foucault, Michel Foucault, Judith Buttler, mais ça a son sens quelque part, c'est-à-dire comment justement, même si les chemins qu'ils prennent sont erronés et n'aboutissent qu'à une indistinction généralisée, c'est ce qu'on appelle l'égalité, mais c'est une tentative de répondre à ces difficultés qui sont bien réelles, ça c'est sûr.

 

Alors Lacan, on reprendra ça sûrement au cours du séminaire d'été, Lacan tentait évidemment ce qui serait la possibilité d'une écriture de l'identité sexuelle puisque si c'est le trait est le support de l'identification phallique, dans ce dispositif, une femme ne se situe jamais que comme ce qui échappe au trait, ce qui est Autre par rapport à lui, et donc, il n'y a pas moyen de la saisir, ou pour celle-ci de se constituer puisque la simple écriture du trait suffirait à la renvoyer au fait que c'est comme Autre qu'elle serait femme et désirée.

Et aux journées de la semaine dernière ou du week-end dernier sur la question de l'égalité et de la parité, je faisais remarquer ceci, c'est que la question de l'égalité ne peut se poser que dans le champ de l'écriture. Vous ne pouvez aucunement poser la question de l'égalité dans le champ de la parole. Il suffit qu'une adresse soit faite pour que l'inégalité des locuteurs soit constituée. Alors vous vous n'avez pas connu Mai 68 parce que vous étiez trop petits, mais alors c'était joyeux parce que c'était vraiment la tentative, y'avait pas de tribune pour parler, y'avait plus d'estrade, on s'asseyait tous en rond, parterre de préférence, ce qui n'était pas tellement agréable, et puis donc il fallait que la parole soit comme ça, bien égale. Mais comme vous vous doutez bien ,il y a des résistance qui sont insurmontables et qui tiennent tout simplement au langage lui-même, puisqu'il suffisait qu'il y en ait un dans le groupe qui parle pour que, il se trouvait qu'il parlait mieux que les autres, ne serait-ce que parce qu'il était plus démagogue par exemple, ça ne veut pas dire qu'il avait raison, et donc tout le cirque recommençait.

 

C'est donc au niveau de l'écriture que l'égalité peut se penser parce qu'elle peut s'écrire. Alors vous allez me dire: oui mais l'égalité entre quels éléments? Par exemple, alors si j'écris 1 = 1, voilà, ça c'est de l'égalité, hein? Sauf qu'évidemment à les distinguer, ce ne sont plus les mêmes et que si, grâce à ce signe, je souhaite qu'ils soient les mêmes, eh bien ils viennent à se confondre effectivement, et que mes deux 1 deviennent un 1 tout seul. Lacan le raconte, ça, quelque part. Et de telle sorte que pour lui, le 1 ne nait que du 3, parce que le 3 suppose qu'entre le 1 premier, et le 1 second, il y a l'instance Au-moins-Un qui fonde leur statut en les séparant, en les distinguant, sinon, miroir, ils fusionnent l'un avec l'autre. Donc 1=1, ce n'est pas une égalité, c'est embêtant ça.

 

Alors est-ce que si j'écris, à la place de ça, si j'écris A=A, est-ce que ça c'est une égalité? Eh bien si une lettre, quelle qu'elle soit, et comme nous le montre l'inconscient, est susceptible, par son intrusion dans le discours conscient, de venir donner à lire le désir refoulé, si c'est le cas, une lettre est strictement égale à une autre, et donc à elle-même, parce que n'importe quelle lettre dans une névrose quelconque est susceptible, c'est pas une lettre spécifique qui va venir dire le désir inconscient, c'est n'importe quelle lettre qui va venir dire le trou qui anime le désir inconscient.

 

Et de telle sorte que, et je conclurai là-dessus, il y a chez chacun de nous deux désirs; il y a le désir qui est socialement et publiquement, je dirais, partagé, c'est-à-dire le désir phallique. Et dans le refus de considérer que le Un ouvre l'espace de l'Autre, qui est incapable en quelque sorte d'absorber, quelques soient les chiffres que je viendrai tenter d'épuiser l'espace ouvert entre deux Un, et donc il y a ce désir Autre qui n'est donc entretenu, non pas par le Un phallique mais par la faille ouverte entre deux Un, et qui est le désir inconscient. Et le fait qu'ils incompatibles, de structure. Et c'est donc avec ça que nous avons ordinairement à nous débrouiller, c'est-à-dire à relever socialement d'un désir collectivement partagé, dont l'instance est partagée et phallique, et clandestinement, et là on tombe évidemment dans le theatre de boulevard, clandestinement, de la mise en oeuvre de ce désir refoulé, et qui lui, vous me permettrez l'expression, fait la nique à l'instance phallique. Alors là vous voyez, je ne suis pas sorti de notre clinique ordinaire.

 

Voilà, j'espère ne pas vous avoir déçu ou menti sur la promesse de parler de la question de la phobie féminine. Est-ce qu'il vous reste quelque espace Autre pour poser une question ou est-ce que vous êtes saturés?

 

- Je voulais revenir sur la phobie des animaux, puisque le petit Hans c'était le cheval, et ce qui me frappe c'est qu'il semble qu'il y ait des catégories pour les femmes qui sont très phobogènes, on pense bien sûr à tout ce qui grouille, les serpents, les insectes, c'est quand même très fréquent, je ne connais pas beaucoup de femmes qui voudraient bien toucher un serpent, on pense au phallus, on pense à Eve, le premier qui a parlé c'est le serpent, et je me posais la question, si on pouvait considérer que c'était le même mécanisme que chez le petit Hans pour une petit fille, mais que elle, il n'y a rien qui vient faire héraldique pour la protéger de ça.

 

Ch M: C'est vrai qu'une femme, faute de cette reconnaissance symbolique, risque de se vivre dans une équivalence de l'animalité, et qui peut lui faire paraitre les espèces animales réelles comme étant représentatives de cette instance qui fait défaut pour fonder sa propre biologie, on peut le dire comme ça. Ceci étant, il y a quand même une richesse dans le choix de l'animal ou des animaux, l'araignée par exemple a toujours beaucoup de succès, et on voit bien pourquoi. Parce que nous sommes tous attendus par la petite bête tapie au centre de la toile.

Maintenant Eve et le serpent, Eve n'était pas phobique du serpent, au contraire, elle a fait son travail au serpent, c'est-à-dire qu'elle est cause de ce que s'est opérée cette distinction du bien et du mal. Je faisais remarquer la chose suivante, c'est que les grecs ne connaissaient pas cette distinction du bien et du mal, ce qu'ils connaissaient c'étaient l'excès et la tempérance. Autrement dit l'excès n'était aucunement vécu comme étant le défit porté à ce qui serait quelque autorité, c'était avant tout vis à vis de soi-même, et c'était plutôt une faute logique et une offense faite à la spécificité de l'homme qui, se distinguant de l'animal, a à vivre dans la maitrise de son corps, c'était donc plutôt une offense faite à la dignité de l'homme qu'une offense à quelque dieu que ce soit puisque les dieux, ils étaient dans l'excès tout le temps, c'était même ce qui les caractérisaient, ils ne connaissaient pas la tempérance eux. Mais ils n'étaient pas pour autant pris comme exemplaires, puisque le propre de l'homme c'était la maîtrise de son corps, pour ne pas être, justement à l'égal de l'animal.

L'animal est évidemment une représentation facile et idéale de la force vitale, sans même passer par ce qu'il en est de son impudeur.

 

-C'est peut-être un détail, mais j'avais cru comprendre que selon les schémas de Lacan et ce qu'il disait sur les noeuds à 4 et à 3, de temps en temps le phallus il le spécifiait et il n'était pas au centre.

 

Ch M: Si vous voyez le Noeud à 4, il passe par l'objet a, donc cette place vouée à la vacuité, se trouve dans ce cas-là substantifiée par le phallus.

 

Je vois à votre mine réjouie que vous êtes pleinement satisfaits. Allez, je vous dis bonsoir.

 

Charles Melman