C.Brunet : Socrate et la question du transfert

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Cours du jeudi 5 décembre 2013

 

En quoi la lecture de Lacan diffère absolument de la lecture que peuvent faire les adolescents en classe de terminale : celle de centrer son interprétation sur la fin, c.à.d. sur la relation, la rencontre entre Socrate et Alcibiade. Ça diffère des lectures adolescentes puisqu’il est clair que la plupart du temps ce qu’on retient de ce discours est non pas la critique, c’est la question de la sphère et de l’amour comme du retour à un état de complétude originaire et donc ce n’est pas du tout dans ce sens-là que la psychanalyse va pousser, mais néanmoins c’est l’un des éléments souvent retenu de ce dialogue.

 

L’Agalma

Il (Lacan) centre sa lecture sur la relation ou plus exactement sur la scène entre Alcibiade et Socrate, celle à entendre à proprement parler – là c’est moi qui commente, ce n’est pas lui – comme une séquence théâtrale mais véritablement aussi comme une scène de ménage. Qu’est-ce que Lacan trouve dans cette séquence, Socrate, Alcibiade ? Il y trouve, et ça c’est ce que la plupart du temps on retient de l’excursus chez Platon, et dont d’ailleurs il fait un concept, l’agalma, c.à.d. l’objet caché d’après Alcibiade en Socrate. Cet agalma, ou plus exactement, parce que souvent en réalité à plusieurs reprises il les évoque au pluriel, les agalmata, donc cet objet caché, « Je vous l’ai articulé et fait sentir en deux temps – il voulait montrer, il résume dans la leçon 12, sa lecture – je vous ai montré l’importance dans la déclaration d’Alcibiade du terme de l’agalma, de l’objet caché à l’intérieur du sujet Socrate. Et je vous ai montré qu’il est très difficile de ne pas le prendre au sérieux, dans la forme et dans l’articulation où cela nous est présenté, ce ne sont pas là propos métaphoriques, jolies images pour dire qu’en gros Alcibiade attend beaucoup de Socrate. Il révèle là une structure dans laquelle nous pouvons retrouver ce que nous sommes nous – nous, psychanalystes – capables d’articuler comme fondamental dans ce que j’appellerais la position du désir ». Autrement dit qu’est-ce que pour penser le transfert, Lacan va chercher dans cette relation entre Alcibiade et Socrate, c’est ce qu’il y a de fondamental dans la position du désir.

Ce qu’il y a de fondamental dans la position du désir, je peux le décliner de plusieurs manières. Dans un premier temps dans ses leçons, ce qu’il y a de fondamental c’est la chaine signifiante. Au fond le séminaire est véritablement pris entre deux feux. Donc c’est cette chaine signifiante qui détermine le désir comme une métonymie, c.à.d. comme un glissement d’un signifiant à l’autre. A propos de cette métonymie, de ce glissement d’un signifiant à l’autre, Lacan évoque le fantasme comme la fixation pour un sujet à l’objet qui d’une certaine manière allumerait ce glissement. L’objet dans le fantasme, ici, je ne parle pas des écritures ensuite, chez Lacan du fantasme, là, une fois qu’il prend au sérieux cette idée - il y revient à plusieurs reprises - que le désir pour autant qu’il s’accroche à chaine signifiante fonctionne comme métonymie, ici il propose cette idée intéressante que le fantasme s’accroche lui, à l’objet, qui suscite ce glissement. Mais à l’inverse il nous dit – alors à l’inverse c’est moi qui construit, là je m’appuie sur des éléments épars dans ses douze leçons - à l’inverse il nous dit – en tout cas moi je choisis d’y voir l’inverse – que avec l’entrée d’Alcibiade – comme si on avait glissé jusque-là d’un discours à l’autre d’ailleurs – l’important du changement avec l’entrée d’Alcibiade est ceci : « Il va être question de faire l’éloge de l’Autre et c’est précisément cela quant au Dialogue que réside le passage de la métaphore ». Avec Alcibiade, c’en est finit – si je prends ça au sérieux – de ce glissement métonymique pour tout d’un coup aboutir à une métaphore. Ça a l’air d’être du discours technique et un commentaire savant sur le commentaire lui-même savant de Lacan, à propos du Banquet. Si vous vous arrêtez deux minutes et que vous cessez de penser à tout ce qui est ici en jeu de manière culturelle et que vous pensez à la façon dont se déploie le discours des patients précisément, sur le divan, il arrive qu’à un moment donné on en finisse avec le glissement et que tout d’un coup on aboutisse à une métaphore. C’est même en gros pour partie ce que nous vivons. Il arrive que le discours sur le divan, que les séances se succèdent les unes aux autres, toutes plus vides les unes que les autres, je reprends ici l’affaire de la parole vide par rapport à la parole pleine. Et que tout d’un coup, ô miracle, quelque chose apparaisse, qui accroche une détermination fondamentale de l’existence de celui qui est en train de parler. C’est à dire si on prend au sérieux le fait que la métonymie est un glissement, tout d’un coup ça s’arrête de glisser. Il y a deux manières qui font que ça s’arrête de glisser, ou bien ça s’arrête de glisser parce qu’on rencontre ce qui n’est pas forcément – je ne voudrais pas avoir des termes moralisants parce que ce n’est pas un problème moral, mais ce n’est pas spécialement fécond du point de vue de l’analyse. Ça s’arrête parce qu’on rencontre l’objet du fantasme, c.à.d. celui qui d’une certaine manière va relancer éventuellement le glissement, mais qui néanmoins se présente comme une fixation et là ce qu’on sait c’est que ça produit une éclipse subjective, donc là on n’a plus que l’objet d’une certaine manière ….

Une autre manière de le dire si on se réfère à la fameuse métaphore prise dans Victor Hugo, sur laquelle Lacan a longuement attiré l’attention de son auditoire, c’est une autre façon peut être d’expliquer la distinction entre métonymie et métaphore et pourquoi est-ce que c’est important dans une cure, c’est quand Lacan insiste sur « sa gerbe n’était point avare ni haineuse », il est clair qu'il s'agit de ce que dans la théorie analytique on appellera la dimension phallique. Cette dimension phallique pour le dire de manière assez simple, c’est une dimension vivante, et que donc le moment où un patient qui vient en analyse parce que précisément la vie ça ne va pas complètement bien, tout d’un coup se remet un peu à s’accrocher à quelque chose qui pour lui est du côté de la vie, c’est quand même ça qu’on vise dans l’analyse. Toujours est-il que ce dont il est question pour Lacan dans le Banquet, c’est cette économie du désir dont… j’ai pris l’axe métonymie, métaphore, il en prend un autre vraiment comme important pour lui, à savoir que Socrate incarnerait sa formule à lui Lacan, que le désir, c’est le désir de l’Autre...