B. Vandermersch : Les différentes méthodes analytiques : Quelle méthode avec les psychotiques ?

EPhEP, MTh4 – ES13, le 02/03/2020

Je suis chargé par Roland Chemama de vous parler des méthodes qui se réfèrent à la psychanalyse  avec les psychotiques. Ce sera plutôt une sorte de Préliminaire à tout traitement possible de la psychose. Vous savez peut-être que c’est un des textes importants de Lacan, qui se trouve dans Les Écrits.[1] Mais ce que je vais vous dire sont des choses plus basiques.

  1. 1.                  D’abord quelques remarques introductives…

Les patients atteints de psychose sont divers. Aujourd’hui la classification internationale ― le DSM IV ou V, et même la CIM 10 ― ne connaissent que l’adjectif « psychotique », appliqué exclusivement à une catégorie de symptômes.

Le terme de psychose a été abandonné, de même que le mot « psychotique » pris comme substantif. Ce dernier, en effet, renvoie à l’hypothèse théorique d’une structure psychique spécifique et pouvant à la limite, selon cette hypothèse, être attribué à un individu qui ne présenterait pas de pathologie psychiatrique évidente (soit quelqu’un qui serait de structure psychotique sans être un malade mental proprement dit). C’est donc inacceptable pour le DSM.

Mon propos : « Quelle méthode avec les psychotiques ? », faute d’objet, devrait donc s’arrêter ici si je parlais pour la communauté psychiatrique internationale. Malheureusement ce n’est pas le cas ! [rires]

Il faudrait intituler mon exposé : « Quelle méthode peut-on utiliser pour traiter les symptômes psychotiques ? », dans ce cadre-là. On voit avec cet intitulé qu’on s’oriente d’emblée vers une voie pragmatique, d’urgence, car ce que le DSM IV, par exemple, appelle « psychotique », c’est une qualité spécifique de symptômes qui se caractérisent par une rupture avec la réalité ordinaire.

 

Or il s’agit dans ce module de méthodes psychothérapiques, sinon psychanalytiques, et non de l’ensemble des traitements psychiatriques : antipsychotiques, antidépresseurs, thymorégulateurs, électrochoc, traitement social, etc. Ce n’est pas de ça qu’il s’agit.

 

Alors, pourquoi méthodes plutôt que techniques ?

Roland Chemama a choisi ce terme pour signifier qu’il ne s’agit pas en psychanalyse d’une technique neutre par rapport au sujet qui l’exerce, mais une voie dans laquelle le désir de ce sujet est engagé.

À vrai dire l’étymologie de méthode n’est pas tout à fait rassurante…Méthode, meta-odos : chemin à côté, ou chemin pris après-coup. Si on regarde dans le dictionnaire, le Bailly par exemple, premier sens : poursuite, recherche, doctrine, méthode ; mais aussi, deuxième sens : voie détournée, fraude, artifice.

Ce meta de la méthode, est assez voisin du « mit » allemand, qui signifie « avec ».

Je dirai donc : « chemin avec ».

Méthodes, ici au pluriel, se conforment autant à la variété des cas qu’à la variété des idées sur la psychose et que des expériences personnelles avec les psychotiques. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a autant de méthodes que de thérapeutes…  mais enfin c’est quand même un peu le cas puisqu’il s’agit toujours d’histoires individuelles.

 

  1. II.                 Un cas de Ferenczi peut nous aider à exposer le problème.

Ferenczi rapporte le cas d’un jeune homme supérieurement intelligent, auquel il s’est intéressé pendant plus de quatorze ans.

Je le cite :

« Il venait me voir environ une fois par mois, me racontait ses peines, comme à un confesseur, et généralement il partait soulagé… »

« C’était un malade mental, mégalomane et persécuté, mais qui parvenait à contrôler suffisamment ses symptômes pour conserver sa place dans la société. »

« On l’enviait à cause de son intelligence supérieure, et de ses relations avec des personnes haut-placées. »

« Il rédigeait des rapports pour son chef de service sur les irrégularités et les erreurs de ses collègues, si bien qu’il finissait par être en très mauvais termes avec tout le monde. On se réjouissait dans tous les services lorsqu’on pouvait se débarrasser de lui, et on le mutait à la première occasion. »

Pour ceux qui ont déjà une certaine pratique de certains paranoïaques, je pense que ça doit leur dire quelque chose…

Après une brève « amélioration de déplacement » (quand on l’avait changé de service), tout repartait comme avant.

« Il n’éprouvait guère de désir sexuel », mais remarquait qu’il avait un succès auprès de toutes les femmes, sans comprendre pourquoi, d‘autant qu’il ne leur manifestait aucune attention. 

Ferenczi apprit ainsi que sa famille avait eu des déboires matériels, ce qui avait éloigné le garçon d’un père très aimé auparavant. Le patient déplaça alors (en imagination) le rôle paternel sur un oncle qui avait atteint une situation éminente, et une célébrité littéraire. Mais il compris rapidement qu’il n’avait rien à attendre de cet être égoïste, et il lui retira donc également son affection.

« Puis, d’une part, il s’efforça de retrouver en la personne de ses supérieurs l’"imago paternelle" perdue, et de l’autre, il retourna sur le mode narcissique sa libido sur lui-même et sur ses qualités remarquables, savourant ses propres productions. »

Sandor Ferenczi suit ici rigoureusement la doctrine française sur la paranoïa (la doctrine française du temps de Freud, avec les petits … comment dire ?… les petits préjugés anti-paranoïaques).

Suit alors ceci : “L’effondrement survint vers la douzième année de nos relations“ ― remarquez que ça l’a considérablement aidé pendant douze ans ! ― “voies de fait sur le chef de service, et mise à la retraite anticipée du patient“.

Or il se fait que vers la même époque, ou quelques temps auparavant, ce patient s’était mis à lire la littérature psychanalytique, et notamment un article de Ferenczi sur le rapport entre paranoïa et homosexualité.

Vous savez que c’est une théorie freudienne : la paranoïa est une défense contre l’homosexualité latente.

Cette idée lui a paru d’abord comique, puis un jour, dit Ferenczi, il vint me voir dans un état d’enthousiasme et d’excitation intense, et à ma grande surprise, m’exposa qu’il était disposé à adopter mon point de vue après coup. »

 Il comprenait par exemple, « pourquoi il essayait de s’approcher de moi jusqu’à sentir mon haleine sur son visage ». Il savait aussi pourquoi il accusait un homme âgé « d’intentions homosexuelles à son égard. C’était simplement son propre désir qui était à l’origine de cette pensée. »

Satisfaction extrême du psychanalyste, qui voit à la fois confirmer sa théorie et le patient guérir selon les meilleurs scenarii de la psychanalyse.

« Mais le lendemain, toujours excité, le patient moins euphorique et très angoissé, se plaint d’être torturé par des fantasmes homosexuels insupportables : il voyait d’énormes phallus dégoûtants, s’imaginait dans des positions pédérastes avec des hommes (avec moi par exemple, ajoute Ferenczi entre parenthèses). »

Avec quelques assurances que cela s’atténuerait bien vite, le patient se calme. Mais quelques jours plus tard, sa famille annonce au docteur que le malade avait des hallucinations, et parlait tout seul. Il avait fait irruption la veille chez l’oncle célèbre, puis dans le palais d’un magnat de la ville.

Ferenczi va lui rendre visite chez lui, le patient est dans un état catatonique profond. « Il parut me reconnaître, me tendit la main, puis retomba dans sa stupeur catatonique. » Quand Ferenczi le revit après plusieurs mois d’hospitalisation, il écartait avec horreur ses idées homosexuelles, niait sa psychose, et ne croyait plus à la relation causale entre ses impressions psychiques et l’homosexualité.

Après cela, Sandor Ferenczi ne remet pas pour autant en cause la théorie de Freud. Il montre simplement qu’après “avoir dérobé“ (expression de Ferenczi) au patient son système de défense, celui-ci ne pouvait supporter cette soudaine lucidité sur son désir. Je le cite “une amélioration ne fut possible, que lorsqu’il parvint à nouveau à écarter son savoir acquis par la psychanalyse, et à reconstruire son système persécutif“. Et d’ajouter : “ce cas nous inciterait à adopter la position pessimiste de Freud concernant la possibilité de guérir la paranoïa par la psychanalyse.»

 

On voit clairement que Ferenczi a cru, sinon espéré, contre l’avis de Freud, que la prise de conscience du désir homosexuel refoulé, si rarement obtenue, allait guérir le patient. Or il constate au contraire son effondrement, dans un état pire qu’avant, dans une sorte d’épisode schizophrénique.

Avec Lacan, nous reconnaissons que le mécanisme de la paranoïa ne saurait être celui du refoulement, et certainement pas en tous cas le refoulement de pulsions homosexuelles. Même si les patients ont toujours ce sentiment d’être l’objet d’une persécution…, avec des termes homosexuels… souvent.

Le rejet, le retranchement, puis la forclusion du signifiant paternel, proposée comme mécanisme spécifique, nous permet-il une autre voie d’abord psychanalytique ?

 

  1. III.              La méthode psychanalytique se déduit du désir du psychanalyste.

Partons donc du départ. A la fin du 19ème siècle, un neurologue scientifiquement formé et formaté, le docteur S. Freud, est pris d’un désir, qui ne le quittera pas, d’explorer un continent un peu étrange, au cœur de chacun de nous, et pour cela, n’hésite pas à se mettre à contribution, notamment en analysant et publiant ses propres rêves en 1899 : Die Traumdeutung. C’est le début d’un nouveau métier, à partir d’un désir qui n’avait pas vraiment existé jusqu’à là. Le désir de Freud n’était pas purement, ni même essentiellement thérapeutique. Ce qu’il en reconnaissait lui-même, c’était plutôt un désir de conquête.

 

Je le cite : c’est une lettre à Fliess[2] ― ça a un côté plutôt deuxième degré, quand même ― “Je ne suis absolument pas un homme de science, un observateur, un expérimentateur, un penseur. Non. Je ne suis rien d’autre qu’un conquistador par tempérament, un aventurier, avec la curiosité, l’audace, et la ténacité de cette sorte d’homme“.

Bien sûr cela ne résume pas ce désir de Freud, resté en partie inanalysé comme le souligne Lacan[3].

 

La première condition d’une cure, c’est la demande d’un patient, avec le type de transfert qui la rend possible, à savoir une adresse à un sujet non pas savant, mais supposé savoir par le patient. Qu’il ne soit pas savant, ce n'est pas l'exigence qu'il soit ignorant!

Ça c'est la condition. Mais le moteur de la cure, c'est le désir du psychanalyste, et ce désir est assez difficile à cerner. S'il n'y avait pas eu ce désir de Freud et des quelques-uns qui l'ont suivi,  il y aurait jamais eu de psychanalyse. Alors ce n’est pas un désir pur, au sens qu'il serait totalement détaché de considérations morales ou sentimentales. C'est pour moi le tressage d'un triple souci de science, de soin, et d'éthique, qui subvertit d'ailleurs chacun de ces trois termes. J'ai commis un petit mot là-dessus dans un livre co-écrit avec Roland Chemama et Christiane Lacôte, qui s'appelle “Le métier de psychanalyste[4].

Une façon de dire serait que le désir de l'analyste, c'est celui de quelqu'un qui, étant allé au-delà de son fantasme fondamental, voudrait amener quelqu'un d’autre à vivre cette expérience, atteindre un certain réel, au-delà de toutes les significations qui se sont imposées à lui comme sujet.

Mais pourquoi donc désirer cela pour un autre? C'est en tout cas ce pourquoi la véritable analyse logique, c'est l'analyse didactique, et celle-ci ne devrait pas idéalement être altérée par des aménagements d'ordre psychothérapique ou sentimental, quand il s'agit de former un psychanalyste.

Cela peut sembler bien exigeant. Freud reconnaissait humblement “Il est incontestable que les analystes n’ont pas complètement atteint, dans leur propre personnalité, le degré de normalité psychique auquel ils veulent éduquer leurs patients.“[5]

 

Le terme fantasme fondamental, qui pour Lacan désigne la réponse subjective, individuelle, à l'énigme du désir de l'Autre ― tout enfant construit son désir à partir d'une interprétation du désir qu'il se fait de l'Autre sur lui-même ― eh bien, ce terme n'est pas Freudien.

Freud, lui, se sert éventuellement du terme Urphantasien : fantasmes originaires, tels que scène primitive, castration, séduction. Tous ces fantasmes se rapportent aux origines et relèvent apparemment pour Freud, au-delà du vécu individuel, et parfois même en contradiction avec ce vécu, d'une réalité préhistorique de valeur universelle, et ce n’est pas tout à fait la même chose.

 

Quant aux patients … Freud, qui s'est toujours méfié des ardeurs thérapeutiques, c'est un peu là-dessus, qu'avec Ferenczi, ils n’étaient pas toujours d'accord ― Ferenczi, lui, voulait vraiment le bien de ses patients ― eh bien, Freud, lui, ne pensait pas que la psychanalyse soit une thérapeutique adaptée aux psychoses. Ce qu’il souhaitait de mieux pour les autres, ceux qui n'étaient pas psychotiques, selon par exemple ce qu'il dit dans Construction dans l'analyse[6] vers la fin de sa vie, ce serait “d'arriver à un tableau fiable des années oubliées par le patient, le tableau complet dans ses parties essentielles, autrement dit de rétablir une sorte de continuité dans la vie psychique des patients au terme d'une analyse.“ Mais ceci ne vaut que si ce passé a été refoulé.

Le patient de Ferenczi présente manifestement un autre mécanisme que le refoulement, parce que l'admission apparente chez lui d'un hypothétique refoulé a abouti à un vrai désastre : l'explosion du Moi et une modification radicale de l'énonciation.

Dans sa crise, l'énonciation ne vient plus de lui, elle lui arrive de l'Autre directement par hallucinations. Alors que jusque-là, les pensées qui lui venaient de l'Autre, comme pour tout le monde, elles lui paraissaient être ses propres pensées. Quand on pense, bien-sûr, ça nous vient... ça nous vient de l'Autre. Enfin, on ne va pas jusque-là en général. On a quelquefois même un peu de mal à reconnaître que ce que l'on a écrit, ça avait déjà été dit par quelqu'un. Mais bon, ça nous vient de l'Autre. Mais on a le sentiment que c'est quand même nos propres pensées: “c'est moi qui pense“. Ça n'est pas halluciné.

 

IV Le désir du psychanalyste peut-il être au service des patients psychotiques? 

Si comme le rappelle Roland Chemama :“l'inconscient, c'est ce qui se réalise dans la cure grâce au transfert“, ce transfert existe-t-il chez les psychotiques, et si c'est le cas, ce transfert peut-il supporter le désir de l'analyste?

 

Freud pensait qu'il n'y avait pas de transfert chez les psychotiques, et Marcel Czermak[7] nous met au contraire en garde: “les psychotiques résistent mal au transfert“. Je reprendrai ça un peu plus loin. Ajoutons aussi: “du transfert de l'analyste“, puisque l'analyste transfère aussi sur le savoir énigmatique des psychotiques, ça l'intéresse… enfin, ça intéresse certains.

Le transfert ,dit Lacan dans Les quatre concepts, c'est la mise en acte de la réalité de l'inconscient“. Ce qui ne veut pas dire que ce soit un passage à l’acte, mais c'est une mise en acte de la réalité de l'inconscient, et Freud montre que la réalité de l'inconscient, c'est la réalité sexuelle. Qu'est-ce-que c'est que la réalité sexuelle? Ce serait l'interprétation par le fantasme qui supplée à l'impossibilité de définir un rapport entre les sexes qui serait sexuel. Il n'y a pas de savoir inné sur le sexe. C'est un fait que l'activité génitale dans le monde animal est le lieu d'un savoir instinctif, parfois hautement sophistiqué, mais relativement stéréotypé dans une espèce donnée.

Chez Homo loquens[8], rien de tel, du bricolage …à partir des pulsions dites par Freud “sexuelles“ : orales, anales, scopiques, vocales, mais en rien génitales. Nous en avons la preuve par les fantasmes dits sexuels, qui faute d'un signal spécifique, ont la charge de soutenir le devoir de reproduction à l'égard de l'espèce, devoir un peu oublié à notre époque, de se mettre à son service.

Or ces fantasmes dirigent bien souvent ce désir sur des objets parfaitement inaptes à remplir cette fonction de reproduction. Je ne développe pas tous les objets possibles.

 

On note que la mise en acte de la sexualité est souvent l'occasion du déclenchement des premiers phénomènes psychotiques, surtout dans la schizophrénie. Il y a dans l'épreuve de la jouissance sexuelle , au moins pour les futurs schizophrènes, et plus généralement dans la rencontre avec l'autre sexe, une énigme qui semble plus radicale dans la psychose que dans la névrose. Il y a comme une sorte d'impréparation des psychotiques à cette rencontre. Mais quelquefois ça se passe assez bien pendant assez longtemps...

Autrement dit, il n'y aurait pas dans la psychose une interprétation tempérée de l'impasse logique qui concerne l'origine et le sexe, puisque le sexe est quand même un peu lié à l'origine. Tout se passe comme si la réalité du psychotique avait fait l'impasse sur ces questions avant qu'elles ne s'imposent à lui. 

 

Alors là, ça va être un peu plus « coton »: la fonction du phallus comme limite à l'emprise de l'Autre[9]

Le désir de la mère ou de l'Autre en général, autrement dit son manque, puisque le désir c'est toujours lié à un manque, c'est un fait de structure, c'est la traduction vécue d'un manque spécifique dans le langage humain.

 

Aucun dictionnaire ne livre jamais le dernier mot. Rien du langage ne garantit la vérité de ses significations. D'où cette conséquence que la charge de la vérité est reportée sur l'énonciation: “je te crois ou je ne te crois pas“. Cette structure se présente un peu comme un trou qui absorbe la vérité sans parvenir à la garantir.[10] C'est la grande gueule de l'Autre. En fait, c'est l'imagination du sujet qui se représente ainsi l’incomplétude de l'Autre comme une béance, comme un trou...un trou qui d'ailleurs dans l'agoraphobie ou le vertige se manifeste dans l’espace. 

La fonction du phallus est en somme de substituer à ce réel brut du langage un réel sexuel.

Donnez un bord à cette gueule ouverte, et ce bord prendra un sens sexuel.

 

Cette mise en place de la fonction du phallus comme signifiant ― pas comme organe, mais comme l'organe élevé au rang de signifiant ― est contingente (elle ne se produit pas systématiquement), elle dépend de l'effet d'une opération qui va introduire la signification sexuelle du désir maternel. Parce qu'après tout, au départ, que veut-elle? On n'en sait rien. D'ailleurs la découverte de la sexualité de la mère, c'est toujours traumatique… On parle beaucoup de traumatisme, mais il y a un traumatisme universel, qui lui, est fécond, c'est le traumatisme de la rencontre avec la sexualité de la mère, que la mère est désirante, et que “je ne suis pas l'objet ultime de son désir“.

Donc cette opération, c'est la métaphore paternelle, ce que Lacan a essayé de théoriser sous le Nom-du-Père, au moins pendant tout un temps. Le phallus vient ainsi arrêter la dérive, sinon infinie, devant ce qui serait vécu par l'enfant comme le caprice erratique d'un désir maternel sans repère pour lui. 

Or c'est à partir du désir de la mère que le sujet constitue son propre désir, ça ne veut pas dire que c'est le même, mais il se constitue quand même comme interprétation “que dois-je être?“.

Quand je dis “la mère“, c'est la mère, mais en tant qu'elle véhicule toute la culture, ce n’est pas simplement le désir individuel de la mère.

Contrairement à ce qu'on croit, le phallus n'a pas de sens, exception dans l'ensemble des signifiants, il ne renvoie qu'à lui-même. Il n’a donc pas de signification. Mais il constitue, s'il est bien incorporé, une limite à la dérive du sens, et corrige ainsi, si l'on peut dire, le défaut structural du lieu de l'Autre. Il le corrige, c’est-à-dire qu'il lui donne un référent ultime. Il fait barrage à ce qui serait la chute du sujet dans le défilé infini des signifiants[11].

Le défaut de la constitution de cette métaphore n'est pas forcément apparent, tant que le sujet a la ressource de se régler sur des désirs mimétiques ou conventionnels, qui ne le mettent pas en cause subjectivement.

On a vu dans le cas rapporté par Ferenczi surgir des hallucinations du phallus. Enfin…pas du “phallus“, c'étaient des pénis, des hallucinations de l'organe. « Dégoûtants ». Il s'agit bien là du retour du phallus non symbolisé, forclos du symbolique, et donc sous la forme d'une image réelle.

Quant aux représentations homosexuelles, elles montrent surtout une relation de dominant à dominé, dont la jouissance est inassimilable par le sujet.

Le rapport au père apparait donc comme n'ayant été qu'un rapport de rivalité imaginaire avec le tout puissant, et non un rapport pacifié par une symbolisation de l'origine du désir, en tant que le père vient symboliser le support du désir de la mère (dans les bons cas…). 

S'il s'agissait de refoulement (dans le cas du patient de Ferenczi), le surgissement de la vérité n'aurait pas précipité le patient dans cet abîme sans fond de la catatonie.

Dans cette catatonie, c'est le corps entier qui est convoqué pour essayer d'assurer la consistance de l'Autre, mais par cadavérisation, avec souvent des fantasmes de fin du monde. Être mis en cause n'est pas ici métaphorique.

Ce qui va stabiliser les choses, c'est le délire qui restitue à l'Autre un intérêt pour le patient, serait-il  persécutoire. En gros : mieux vaut être persécuté qu'abandonné ; et cette notion est essentielle quand on s'occupe de délirants. Le délire ― Freud l'avait déjà dit, ce n’est pas la maladie, il est plutôt un début de solution ― restitue un rapport à l'Autre. Je rajouterai “à l'Autre comme jouissant ou désirant“ :  “je suis victime de son intérêt pour moi, mais mieux vaut cela que d’être laissé tomber…“ Quand c'est Dieu lui-même qui est la figure de l’Autre, comme dans le cas du Président Schreber[12], alors...dit Freud, ce n'est quand même pas si mal ! "

Souvent avant même la décompensation, on peut entendre dans le discours paranoïaque des capitonnages palliatifs de l'absence du pôle phallique, dans des néologismes, dans des noms propres, qui sont répétés systématiquement ou des formules figées, dont le rôle est sans doute de faire tenir une solidarité entre la sonorité des mots et leur sens.

Les paranoïaques en général, fuient les équivoques d'une langue jugée imparfaite et, faute du référent phallique, dangereuse. 

 

  1. IV.              Le transfert psychotique et celui du psychanalyste.

Donc, vous voyez, j’essaie de vous dessiner le paysage dans lequel une psychothérapie des psychoses peut se faire, et quels sont les précipices et les voies possibles.

 

Le transfert du névrosé se fait sur l'hypothèse implicite d'un sujet dans l'inconscient : un sujet supposé savoir ce que je suis. Je pense par exemple que mes rêves en savent plus que moi sur moi. Donc je vais consulter un psychanalyste, et avec cette idée-là, c'est l'analyste à qui je suppose un savoir, un savoir que moi je ne saurais pas sur moi. Si je n'ai pas ce minimum de transfert, cela ne va pas marcher.

Donc, un premier point : il faut d'abord que j'ai l'idée qu'il y a quelque chose, un savoir en moi, qui a son intérêt...“ Et deuxièmement, qu'il y ait un sujet supposé à ce savoir. 

Incidemment, l'idée qu'il y aurait un savoir  sans sujet de ce savoir, sans quelqu’un qui le sait, ce savoir, c'est assez récent. L'idée que par exemple la lune puisse tourner autour de la Terre en respectant les lois de Kepler, sans qu'il y ait eu quelqu’un pour lui expliquer ces lois, ça faisait vraiment difficulté du temps de Newton. Aujourd'hui on s'en f... C'est peut-être un désenchantement du monde, mais on n'estime plus qu'il faille un sujet à un savoir. On est convaincu que c'est comme ça. Ce qui ne facilite pas la psychanalyse.

La cure est une “paranoïa dirigée“ ,dit Lacan, (paranoïa « light », en général). Une erreur de l'analyste, une erreur matérielle, il a oublié un rendez-vous par exemple, eh bien ça sera parfois interprété par le patient comme une mise à l'épreuve, un test pour l’éprouver. L’analysant aura du mal à se dire : “mon analyste s'est complètement planté !" Mais ça reste dans le doute, une simple

Une telle disposition ne se retrouve pas dans une psychose. Sur le point précis qui fait le délire, l'analyste n'est pas supposé savoir. Il sait, ou il ne sait pas, mais le patient psychotique, lui, il sait, il sait que quelque part “on“ sait, ce qui nécessite une manœuvre d'évitement de la part de l'analyste. 

Freud a écrit que le problème avec les psychotiques était qu'il n'y avait pas de transfert. C'est vrai dans le sens du transfert névrotique.

Mais on peut aussi bien dire avec Marcel Czermak, qu’au contraire “les psychotiques résistent mal au transfert". Il y aurait trop de transfert. Mais bien sûr ce n'est pas tout à fait le même.

Quand un psychotique vient vous voir, et qu'il a levé un petit peu ses réticences, ou qu'il a accepté de se mettre, comme on dit, dans la transparence, à partir de ce moment-là, vous faites partie du tableau clinique, expliquait Henri Frignet dans une conférence. Et moi j'ajouterai : vous n'êtes plus à ce moment-là sur la scène dans le rôle du médecin, vous entrez dans son intimité pour de vrai. D’ailleurs, j'ai toujours le sentiment, quand je m'occupe d'un psychotique, d'être toujours un peu un membre de la famille... C'est beaucoup plus serré.

C'est donc un transfert singulier qui n'est pas fondé sur la foi en un sujet supposé savoir, mais sur la certitude que quelque part “on sait“.

On a vu qu'au départ de la psychanalyse, il y a un transfert. Celui de Freud sur son ami Fliess. Le sujet de la certitude, il est chez l'autre. C'est Fliess qui sait. Vous savez, Fliess avait inventé la théorie des périodes, la bisexualité… mais sur un mode franchement délirant. Mais c'était un grand ami, un peu plus âgé, de Freud.

Donc le “Je pense donc je suis“, cartésien, eh bien ça va se dire: “Il pense, donc je suis… quand je pense comme lui“. Et si vous êtes dans les milieux universitaires, ou même dans les écoles psychanalytiques, vous apercevrez que ce que je dis là, c'est vrai! [rires] Mais, ça peut être aussi: “Il pense, donc je suis, quand je pense un tout petit peu pas comme lui“.

Pour Freud la sortie du transfert été cruelle et longue. La suite a été le déclenchement d'une paranoïa chez son ami, tandis que lui pouvait dire: “j'ai réussi là où le paranoïaque échoue.“ 

Mais le transfert en analyse concerne surtout le savoir inconscient.

Dans la névrose, la certitude que délivrerait le savoir inconscient, elle est tempérée, elle n'est pas absolue. C'est celle du fantasme. Et le fantasme, c'est une hypothèse. « C'est vrai, par ce que ça me semble vrai, conforme au chemin de ma jouissance, à ma méthode, comme dirait Descartes ! »

Vous savez bien, si vous avez l'expérience de la vie conjugale, qu’aucune discussion rationnelle ne vient à bout d'un différend. C'est vrai parce in fine, parce que... “bah bah parce que ça me fait jouir, comme ça... et puis c'est tout.“ Alors, les hommes croient davantage à la rationalité, donc ils auraient tendance à poursuivre le dialogue un peu plus longtemps. [rires]

 

Or cette certitude relative, donc, du fantasme, n'est pas là au départ. Elle s'est substituée à une première certitude radicale, si on peut dire, celle qui naît de la première prise du corps dans le langage. À ce moment-là, le mot tue la chose, laissant une signification univoque et un sujet aussitôt aboli qu’éveillé. Le mot renvoie à la chose et la fait disparaitre, mais c'est le sujet qui disparaît sous la signification, sous le sens du mot. Parce qu'un sujet, ce n’est pas un sens. Si vous réduisez un sujet à un sens, vous le tuez. Individuellement ou collectivement. On s'est employé à ça,.. à caractériser des gens uniquement par un mot…

Donc, c'est le temps mythique d'une certitude absolue, sans sujet ― si ce que je dis a un sens, je n’en suis pas sûr, ― comme le seront plus tard les vérités logiques.

Pour en arriver à une certitude moins absolue, mais compatible avec la vie et porteuse de désir, celle du fantasme, il faudra passer par un temps intermédiaire, un détour par l'incertitude quant au désir de l'Autre. “Que me veut-il? Que veut-il que je sois?“ « Par quoi le sujet répond d'abord par sa disparition survenu au temps précédent », comme fait remarquer Lacan. « Peut-il me perdre? Et si j'étais mort? »

Tous les gamins à un moment, jouent à disparaitre, à se cacher, etc., à évoquer même « qu'est-ce qui se passerait si j'étais mort »? Mais en général ils ne se cachent pas trop longtemps parce que si personne ne vient les chercher, ça commence à être angoissant. 

 

Par la suite le sujet interprétera ce manque, par l'introduction dans la question, d'un objet partiel, un objet pulsionnel, oral, anal, scopique, vocal éventuellement. Ces objets viennent dans le fantasme comme cause du désir, c'est-à-dire comme représentant le manque à être du sujet. C'est-à-dire que ce sont ces ersatz d'être. Mais, en tant qu'ils manquent. Bon, Lacan les appellent les objets a.

 

C'est ce qui ne se produit pas, semble-t-il, dans la psychose. Ces objets sont bien là, et notamment la voix, et Dieu sait si la voix... entendre des voix, c'est assez caractéristique quand ce sont des voix du genre "ils me disent que...", et quand il n'y a pas de support humain présent de ces voix. 

Mais les voix du psychotique ne sont pas la cause du sujet, faute de la notion même de causalité, de cause, car il n'y a pas eu de confrontation au manque dans l'Autre, à son désir, et donc pas de question possible sur ce point.

La mise en cause du sujet par l’hallucination va déclencher une réponse totale: c'est à lui qu'on en veut, et non pas on attend de lui qu'il lâche quelque chose de sa jouissance pour accéder à son désir, comme le ressent un névrosé qui sait qu'il va devoir, s'il veut être un homme ou une femme, lâcher quelque chose de sa relation de jouissance à la mère, ces jouissances qui ont été éveillées par les soins, en général.

 

Dans le traitement psychanalytique des psychoses, le défaut de ce temps d'incertitude ne permet pas la découverte progressive du fantasme. Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'il n'y ait pas eu la possibilité de questionner le désir de l'Autre? Eh bien, il s'est peut-être passé que dans ce temps-là, l'Autre s'est présenté au sujet comme « monobloc ». Soit une absence de discours, une mère complètement prise dans une dépression mélancolique par exemple, ou des choses plus compliquées. Mais enfin, il s'est passé que l'enfant n'a pas pu questionner le désir de l'Autre.

 

C'est le fantasme qui construit l'histoire d'un sujet. L’absence ou en tout cas la particularité du fantasme dans les psychoses explique que le récit de leur enfance par les psychotiques ne ressemble pas à une histoire subjectivée comme un roman par exemple, mais plutôt à un récit en forme de constat de faits objectifs, et qui ne bouge pas. Je veux dire que s’il est raconté deux fois, il va l’être de la même façon, avec les mêmes formulations. Alors qu'une des techniques analytiques, devant le récit d’un rêve, par exemple, consiste à demander de répéter. Le plus souvent, quand il s’agit d’un névrosé, la personne répète le récit un peu différemment.

 

Dans l'analyse, a pu dire Lacan, il n'y a qu'un transfert, c'est celui de l'analyste.“ Ça peut se comprendre au sens de ce qui fait fonctionner l'analyse. Et avec les psychotiques ?

L'analyste peut transférer sur le savoir énigmatique du pré ou du déjà psychotique. Et il peut donc être tenté de solliciter le patient, d'en savoir plus sur son savoir inconscient.

Le résultat risque de ne pas se faire attendre : disparition rapide et angoissante du sujet sous une certitude absolue, expérience d'un vécu délirant de signification personnelle ou syndrome de référence, ce sont des synonymes, jusqu'à ce qu'une signification délirante vienne raccrocher le sujet à l'Autre d'une façon qu'il puisse comprendre: "ils sont jaloux de mon intelligence, de mes relations, de ma séduction..."

 

L'expérience de Ferenczi, chaque analyste a pu la rencontrer et l'éprouver. Peut-être que le transfert de Freud sur le savoir de l'homme aux loups n'est pas non plus pour rien dans l'épisode psychotique qu'il a présenté. Parce qu'il voulait absolument savoir, Freud. Son patient, pendant un temps, a déliré, il a eu un trou dans le nez... « Là où tu cherches mon cher Freud, il n'y a rien... c'est troué ». Seulement, c'est une réponse un peu délirante !

Il faut savoir modérer sa cupido sciendi.

 

« Alors, allez-vous me demander à la fin, la psychanalyse est-elle d'un quelconque secours ! »

On vient de voir que le désir de l'analyste pouvait transformer un prépsychotique en psychotique, voire aggraver un psychotique confirmé. Tout dialogue avec ces patients serait donc inutile voire dangereux ?

 

Alors, quelques remarques...

Pas besoin d'avoir fait une psychanalyse pour entretenir avec un patient psychotique un dialogue respectueux de sa subjectivité, quoique d'avoir fait une analyse, ça peut quelquefois aider.

Mais bien sûr, ça suppose une psychiatrie fondée sur une rencontre humaine, et pas seulement sur la vérification d'un protocole diagnostique et thérapeutique purement symptomatique. 

Il y a d'ailleurs des patients, et vous êtes bien obligés de répondre un tant soit peu à leur demande, qui sollicitent ce dialogue avant toute demande proprement thérapeutique, et cela pour diverses raisons. Par exemple, faire reconnaître par quelqu'un l'intolérable de leur situation. Être entendu, ça soulage déjà un tout petit peu. On n’est pas obligé de recevoir immédiatement 300 gouttes de Largactil… on peut déjà être entendu, essayer d'obtenir telle ou telle faveur, reconnaissance, avantage, quelquefois en raison d'idées délirantes, assez souvent d'ailleurs sans fausse pudeur, je dois dire. Ce ne sont pas des “chipoteux“ comme les névrosés qui vous entourloupent ça... "Excusez-moi docteur, mais... bon ben écoutez il me faut un certificat..."

Donc des gens clairs et honnêtes, dans ce sens-là. C'est à dire qu'ils sont honnêtement malhonnêtes quelquefois !

Mais ça peut être aussi de temps en temps une demande d'élucider ce qui leur arrive, parce qu'on peut être psychotique, curieux, intelligent, et avoir envie un peu de savoir "Mais qu'est-ce qui se passe?"

Et il est alors tout à fait possible d'avoir un échange d'une bonne tenue, et cela d'autant plus qu'une analyse aura permis éventuellement de ne pas plaquer son propre fantasme dans la tentation de donner un sens à ce qui se passe de si obscur et qui sollicite la curiosité.

 

Car du sens, dans la paranoïa par exemple, il n'y en a que trop. Seulement le problème c'est qu'il est figé. Et dans les schizophrénies, ce qu'on peut en dire, eh bien ça s'enlise très vite dans le délire. Alors ce n’est pas tellement de donner du sens qu’il s'agit mais plutôt de permettre au sujet d'abord de dire ce qu'il a à dire, puis de l'aider éventuellement à repérer les particularités et les fragilités de sa structure, comment ça se manifeste.

 

Il y a des situations dangereuses... 

Un brave garçon par exemple fait bien son travail dans son coin…  mais il le fait tellement bien que son patron lui propose une augmentation et surtout une responsabilité... ça peut être l’occasion de déclencher un épisode mélancolique ou délirant.

 

Vous connaissez la célèbre observation de Freud sur l’autobiographie du président Schreber connus sous le titre de Mémoires d’un névropathe, mais selon les traducteurs,[13] avec l’accent de « Geste mémorable, hauts faits » . C'est quand il est devenu président de la cour d'appel de Dresde, où il avait notamment affaire à des gens qui étaient plus âgés que lui sous sa responsabilité. Ça peut faire difficulté : “comment puis-je être dans une situation supérieure à des gens plus âgés? »  Si je n’ai pas idée de ce qu'est l'autorité, ou la paternité… Ȇtre père, ce n’est pas être plus grand, plus fort, quoique généralement et selon la nature plus âgé...

 

Aujourd'hui beaucoup de psychiatres considèrent que ce dialogue, passé le temps du diagnostic ou de l'évaluation de l'efficacité des traitements, est à confier au psychologue du service ou « de service ». C'est bien pour le psychologue, mais ce n’est pas toujours heureux non plus, parce que le médecin est aussi celui qui, au regard de la société, dispose d'une certaine autorité ne serait-ce que pour les certificats, les admissions, etc. Et il se trouve incarner cette figure dans le transfert du patient.

Il n'est donc pas superflu que le psychiatre en connaisse les particularités, pour avoir à sa disposition d'autres solutions que celles d'esquiver le dialogue. Ceci vaut d’ailleurs pour tous ceux qui ont ces patients en charge.

 

Généralement il convient de freiner notre tendance à interpréter quand nous savons que ce qui sera dit pourra être pris à la lettre. De même il convient de ne pas entériner l’idée que nous comprenons à demi-mot des propos allusifs.

Je prends un exemple de Nicolas Dissez que j'ai déjà donné mais qui est je trouve très bien. 

Alors c'est une patiente antillaise, de peau noire, qui fait un délire de filiation. 

- Et elle dit au bon docteur Dissez...: “1997, c'est l'année où ma mère adoptive avait tenté de me refiler à un amant qui s'appelait Arnaud. Vous voyez ce que je veux dire? »

- “Bah... excusez-moi, euh... non, euh... je ne suis pas sûr de bien comprendre.

- “Bah, c'est parce que vous parlez pas le verlan docteur... Arno... c'est Noar!

Marc Darmon fait remarquer que si ça avait été une névrose, l'apparition du jeu de mot Arno-Noar, dans un rêve par exemple, aurait été méconnu du sujet, et c'est l'analyste qui aurait dû faire lire “Noir“ dans Arno.  Si jamais cette interprétation avait été pertinente, c'est certainement l'analyste qui aurait dû la donner.

Alors que dans le cas de cette femme, il s'agit pour le thérapeute de refuser la connivence dans l'évidence du sens: “Non... non, je ne vois pas… Je ne comprends pas...“

Ce refus peut aider la patiente à ne pas se perdre dans des allusions, parce que si on laisse filer comme ça, on se retrouve dans un monde complètement allusif, et on devient donc complice à notre insu de ce monde. Il ne s'agit pas de délirer avec le patient, il s'agit d'accepter son point de vue sur les choses, mais d'accepter que c'est son point de vue. Je ne suis pas obligé d’adopter son point de vue, mais je dois toujours accepter de recevoir son point de vue. C'est à-dire... je ne suis pas toujours obligé de lui dire: “ là vous délirez“... Non. Mais j’ai intérêt à lui faire remarquer, s'il me sollicite : “Ça, c'est vous qui le dites ! »

 

Ce refus vise à faire une butée à défaut de l'inscription d'un impossible. Quel impossible? Eh bien l'impossible que l'Autre sache tout.  Un des symptômes de la schizophrénie, par exemple, l’automatisme mental, consiste entre autres à ce qu’on devine les pensées du sujet :  il n'y a plus aucune intimité.

 

Un savoir sur ce mécanisme de forclusion comme étant radicalement distinct du refoulement, c'est ce qui manquait à Ferenczi en fait, et ça justifie cette réserve sur l'interprétation, qui rappelons-le, dans le cas rapporté, était venu hors de la cure par la lecture d'un article du psychanalyste.

Savoir que la forclusion porte sur le Nom-du-Père, c'est-à-dire ce qui instaure le Père comme signifiant, comme Père symbolique, et non comme “croque-mitaine imaginaire“ peut permettre d'éviter de pousser son patient dans des situations dangereuses pour lui comme je le disais à l'instant. 

 

La notion de suppléance à cette forclusion, la possibilité de faire une sorte de pansement, peut au contraire justifier d'encourager son patient dans certaines activités où il excelle. C'est assez souvent dans l'écriture mais tout aussi bien dans des activités artisanales, artistiques ou autre...

Dans les hôpitaux par exemple, l'ergothérapie, bon... c'est pas la thérapie par le travail à proprement parlé, c'est la possibilité pour des gens d'exprimer quelque chose dans une activité, et ça noue quelque chose, ça évite la dispersion, notamment dans les grandes schizophrénies. Il y a un fait étrange aussi, c'est par exemple que le théâtre, quand ils veulent bien, eh bien ça a des effets surprenants, le temps du jeu, ça va mieux. 

 

Une prise en charge à plusieurs aussi, en institution ou pas, pourvu que ces personnes s'estiment, c'est-à-dire qu'elles transfèrent un petit peu aussi l'une sur l'autre, permet partiellement de pallier les dangers du transfert psychotique dans un dialogue engagé.

 

En résumé, la méthode psychanalytique, la méthode avec les psychotiques, c'est la méthode, Meta Odos (le chemin avec), sans fascination pour leur savoir délirant, maintenant que j'ai été averti par l'expérience de mes maîtres. C'est, il faut bien le dire, un chemin qui n'a pas de but préétabli, qui ne doit en tous cas pas être idéalisé (la guérison par exemple).

C'est un chemin qui non seulement n'a pas de but préétabli, mais qui n'a pas de terme logique assignable, contrairement à la cure didactique par exemple qu’on peut théoriser.

Pourquoi je dis ça ? C'est que le mécanisme que Lacan appelle forclusion, et s'il l'appelle forclusion, ça veut dire qu'on n'y reviendra pas, et que le traitement ne peut être fait que de suppléance, il ne peut pas être de restitution ad integrum ou à un statu quo ante.

A la limite dans la névrose, le refoulement peut être levé. Une partie en tout cas.

En revanche, ce qui est forclos est forclos, et si ce qui est forclos est sollicité, il revient toujours dans le réel sous une forme non symbolisable.

 

Toutefois, quand le retour du forclos se manifeste par des crises à répétition, le patient garde la mémoire des crises antécédentes. Ce n’est pas ce qui va l'empêcher d’ailleurs de retomber dans une crise, mais petit à petit… il aura quand même le souvenir de ce qui annonce la crise. Il peut acquérir un certain savoir sur le processus qui est en train de se passer, et venir consulter. Il en apprend aussi sur ses fragilités.

 

Donc la « méthode » est un chemin qui n'a pas de terme logique assignable. Mais ce cheminement devient souvent une fonction psychique qui va s'intégrer temporairement ou durablement comme nécessaire à la tenue du sujet. Il suffit alors parfois d'un rendez-vous pour calmer une angoisse débordante ou un délire qui se réactive.

 

Ce n'est pas toujours suffisant et ce n'est pratiquement jamais suffisant dans le cas de la psychose maniaco-dépressive lors des épisodes aigus qui nécessitent le plus souvent l'hospitalisation.

Aujourd'hui avec le terme de bipolaire... on noie un peu le poisson, c'est-à-dire qu'il y a vraiment des cas où manifestement il n'y a pas besoin d'hospitalisation. Mais quand il s'agit de psychose maniaco-dépressive, eh bien, une manie qui se déclenche, je peux vous dire, ce n'est pas facile à gérer... 

Mais, même dans ces cas, petit à petit aussi, les gens prennent quelquefois la mesure de ce qui leur est arrivé, et j'ai suivi, comme on dit, des personnes qui, à un moment donné, deviennent les plus soucieuses d’observer leur traitement, les thymorégulateurs, pour éviter la rechute. Au début, ils s'insurgent contre... surtout les bipolaires de type maniaque, où c'est la manie qui est l'élément dominant. Ceux-là ont bien du mal à ne pas retrouver cette espèce de jouissance débridée. Mais vu les dégâts qui à chaque fois se produisent, ils finissent par se dire qu’il vaut mieux arrêter ça.

Des limites de la méthode, il est encore plus important de prendre acte dans la mélancolie et notamment la mélancolie anxieuse.  Dans ces cas le risque suicidaire est très important et nécessite une hospitalisation sans tarder.

 

J'ai insisté sur la prudence qui s'imposait en raison des particularités du transfert psychotique. Ça n'empêche nullement un travail d'élaboration avec ceux qui sont partants, et c'est spécialement le cas, je dirais, quand on soupçonne que ce sont des ruptures contingentes dans le fil de l'histoire du sujet qui ont favorisé la forclusion[14]…je veux dire quand on retrouve des éléments historiques assez parlants, sur les ruptures dans la transmission des langues, les migrations, enfin... un certain nombre de choses qui ont opéré non pas tellement par le biais d’une pathologie parentale par exemple, mais quand un obstacle s'est produit dans la transmission de ce « Nom-du-Père », car il est transmis par la langue. 

 

Enfin la forclusion est un concept très puissant, mais ça n'est qu'un concept, élaboré pour rendre compte de ce retour dans le réel, de quelque chose qui n'a pas été symbolisé. Ça ne désigne pas l'être d'un sujet, et encore moins l'absence de sujet. On entend dire : “il n'y a pas de sujet dans la psychose“... Et dans la névrose, il y en a ? Il est souvent bien planqué ! Qu'est-ce que ça veut dire?

Ce qu’il y a de juste dans cette formule c’est que, là où la forclusion s'est produite, on ne peut pas attendre une réponse à proprement parler subjective, qu'elle soit symptomatique ou pas, comme dans la névrose, mais seulement une réponse automatique qui met le sujet en place d'objet sacrifié à la jouissance de l'Autre.

Donc les psychotiques sont des gens très bien ou pas très bien, comme tout le monde. La structure fait qu'il faut faire attention quand on les prend en charge parce qu'il y a des fragilités spécifiques. A partir de là, quand on le sait, on ne les allonge pas sur le divan, parce que allonger un psychotique qui n'est pas encore délirant, qui n'a pas encore déclenché la psychose sur un divan, c'est excellent pour le faire délirer. Une fois que la psychose s'est déclarée, ça a moins d'importance, mais ça a aussi moins d'intérêt. Quand on soupçonne une structure psychotique, on ne va pas faire un traitement d'essai en l'allongeant. Ce n'est pas une bonne idée.

 

Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui... On a un peu de temps pour les questions?

QUESTIONS

N.B. Les réponses aux questions ont été partiellement réécrites

Question 1

Étudiante (E) : Merci beaucoup. J'ai plusieurs questions.

Dr. Vandermersch (Dr V.): Oui

E : Je suis gourmande mais bon, je vous les dis comme ça.. je voulais savoir un petit peu plus sur les électrochocs.

Dr V.: Ah bon! C'est pas une méthode essentiellement psychanalytique.

E : Mais vous l'avez évoquée.

Dr V.: Oui

E : Et j'ai vu un film, “Vol au-dessus d'un nid de coucou“, donc ça m'a beaucoup interpellée. mais bon vous pouvez ne pas me répondre si ce n'est pas le moment.

Dr V.: Si, je peux répondre!

E : Je voulais aussi savoir : quand on parle de psychose et de la schizophrénie, est-ce qu'on parle de la même chose? 

Dr V: Et la troisième question?

E : J'en ai plusieurs, donc je passe à celle qui m'intéresse le plus: le lien entre désir maternel et la mise en place du phallus comme signifiant…

 

Dr V: Ah. Bon, alors on va commencer par les électrochocs. [Rires dans la salle]. On va respecter l'ordre.

Électrochocs, d'abord on ne dit plus comme ça maintenant, on dit sismothérapie. Les électrochocs ça a été découvert par Ugo Cerletti, à partir, si j'en ai bien le souvenir, de patients qui étaient à la fois épileptiques et..., ou plutôt l'idée qu'il y avait une sorte d'antagonisme entre épilepsie et psychose. Ce qui est bizarre parce que... j'ai connu des épileptiques psychotiques. Enfin bref!

C'était une époque d’avant les antidépresseurs et neuroleptiques où on essayait des méthodes de choc, le choc cardiazolique, la malaria thérapie, l’insulinothérapie, etc.

Et donc, l’électrchoc consiste à déclencher une crise d'épilepsie généralisée par un stimulus électrique. Vous savez qu'on est tous épileptiques en puissance... il suffit  de mettre la dose d'excitation qui permet une synchronisation du fonctionnement du cerveau… Au lieu que chaque cellule travaille chacune de son côté, on va les faire travailler toutes ensemble, « au pas ». Elles marchent “au pas“. Alors ça fait “Poum, Poum...“ Le sujet n'y résiste pas, il s'endort. Et en général, il se réveille mieux qu’il n’était avant.

 

La sismothérapie, c'est ce qu'il y a de plus efficace dans les crises aiguës, et notamment dans les mélancolies angoissées (mélancolies anxieuses) où les gens, vous les lâchez trois secondes, ils en profitent pour se suicider. Donc, quand vous avez affaire à une mélancolie anxieuse, plutôt que de dire “Mon Dieu, le pauvre, les électrochocs c'est pas bien, c'est inhumain...“ vous l'envoyez en urgence à l’hôpital… et comme il faut quand même quelques jours pour que les effets des antidépresseurs se produisent, il est parfois nécessaire de ne pas attendre.  J'ai vécu en tant que psychiatre ce type de situation : un homme arrive aux urgences le matin. Il intègre le service tout de suite, on le met dans une chambre, on met le traitement en route, on le surveille bien, etc. Sa femme arrive l'après-midi, elle lui amène un pyjama avec un cordon. On entre peu après le départ de sa femme dans sa chambre. Il est allongé par terre, mort, le cou accroché par le cordon du pyjama au barreau de son lit.

Vous me direz que dans ce cas on n’aurait pas encore pu faire la sismo.  On doit faire quel  ques examens avant pour s'assurer que le patient soit en état de la supporter...

Alors comment fait-on des sismo maintenant? Sous anesthésie. Ce qui n'était pas le cas quand j'étais jeune. Ce n'est plus du tout spectaculaire. Parce qu'il y a à la fois anesthésie, curarisation, donc il n'y a pratiquement plus de clonies... mais ça a des effets assez rapides pour arrêter le processus. C'est l'indication principale.

Il faut pas adopter à cet égard une position purement sentimentale.

Dr V. reprend : Deuxième question?

E : Est-ce qu'on parle de la même chose quand on dit psychose et schizophrénie?

Dr V.: Non, pas tout à fait, parce qu'il y a beaucoup de sortes de psychoses. Il y a le groupe des paranoïas et le groupe des schizophrénies. N'est-ce pas? Le groupe des paranoïas se distingue essentiellement par le fait que la pensée semble bien conservée. La rigueur de la pensée. On comprend ce qu'ils disent, bien. 

E : [propos inaudible]

Dr V.: Oui, en général il y a un point de certitude sur lequel je ne suis pas tout à fait d'accord avec le paranoïaque. Mais je n'ai pas de mal à comprendre ce qu'il me dit. Même s'il dit que son voisin lui envoie des rayons... n'arrête pas de l'embêter, lui jette un regard mauvais... 

Alors il y a plusieurs formes de paranoïas. Mais ce qu’elles ont en commun, c’est cette relative conservation de la rigueur de la pensée. Freud essaie de théoriser cela en disant que la libido qui s'est retirée du monde extérieur revient sur le Moi. D'où une espèce de mégalomanie comme dans le cas de Ferenczi qui se croit si séduisant et qui en profite pour dénoncer tous les petits copains qui sont nuls, etc. voire méchants, mauvais.

Mais ça, ça part de l'idée que Freud a élaborée en 1914, sur le narcissisme, à savoir que le Moi n'est pas là au départ, il a à se constituer. Il y aurait un stade antérieur où la libido ne peut pas encore investir le Moi qui n’est pas encore constitué, mais elle investit toutes les parties du corps érotisées par les échanges avec la mère. À ce stade il y a de l'oralité, de l'analité, du regard, de la voix, mais, disons, dans une dispersion, sans qu'il y ait unification de toutes ces zones érogènes dans un Moi. 

Lacan s'est servi d'un travail de Wallon sur le stade du miroir pour montrer que ce stade était le temps de l'unification du Moi, à condition que la personne qui porte le bébé devant le miroir le reconnaisse aussi, reconnaisse cette image et s'en réjouisse. A ce moment-là le bébé [mimique du prof]: « Aaaaahhh, c'est moi! » [rires] Oui mais pourquoi se réjouit-il ? C'est qu'avant il ne savait pas ce qu'il était. Là il sait maintenant, il est définitivement foutu, il se prend pour une image.

Et c’est l’origine de cette plainte assez commune :  “J'ai une mauvaise image de moiJ'ai pas confiance en moi“... Ce devant quoi on pourrait penser : « Demande-toi plutôt pourquoi tu devrais avoir confiance en toi!  Tu as peut-être raison! [rires]

On est dans un monde complètement fou! Je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Il faudrait accepter, ce serait normal de dire : “Mais bien sûr, vous êtes quelqu'un de très bien, vous devriez avoir confiance en vous “! 

C'est pas acquis d'emblée. Peut-être, ça viendra! Je ne sais pas. On peut peut-être faire quelque chose pour que cette confiance se mérite !

Les schizophrénies. Pour Freud, dans les schizophrénies, la libido qui s'est retirée du monde extérieur, par suite de ce que vous voudrez, en  régressant, ne s’arrête pas sur le Moi et retourne au stade auto-érotique, ce qui fait qu'on ne comprend plus ce qu'ils disent, son discours devient dispersé, etc. Et de plus, ce qu'il fait remarquer, et qui reste très juste, c'est qu'ils prennent des mots pour des choses. Ils investissent des mots comme si c'étaient des choses.

Et ça, Lacan le théorise autrement, en partant du réel, symbolique et Imaginaire, il dit: “tout le symbolique est réel dans la schizophrénie“. Quand on croit que le délire est une production imaginaire, on se trompe. Ce n’est pas imaginaire à proprement parler car il n'y a plus vraiment de distinction entre les trois registres, c’est tout aussi bien réel. Et c'est aussi pour ça que vous n'y comprenez rien. 

 

Alors la troisième question, c'était sur le phallus et la mère. Question difficile !

Ça vous intéresse... mais qu'est-ce que vous voudriez que j’explique ? Qu'est-ce qui fait problème?

Bon d'abord le phallus… Quand sous la direction de Roland et de moi est paru le dictionnaire Larousse de la psychanalyse, je l’avais présenté à la Fnac. C'était il y a déjà bien longtemps. Et dans cette présentation j'avais parlé du phallus. Alors, quelqu'un dans le fond de la salle, une femme bien sûr: [en criant] “Qu'est-ce que c'est que ces histoires“... [rires]

Donc maintenant, j'y vais avec prudence. Même ici, je ne suis pas sûr qu'on puisse parler comme ça du phallus.

L'être parlant, c'est un être qui est un animal un peu particulier parce qu'il n'a pratiquement plus d'instinct, mais à la place il baigne dans le langage. Et le langage c'est fait de quoi? C'est fait de signifiants, c'est-à-dire, alors là, je ne précise pas trop, c'est fait de coupures dans le flot continu de la parole, de la voix, ça découpe des unités, des Uns. mais qu'est-ce qu'un Un?

 

Est-ce que 1 égale 1? Parce que si 1 = 1, de deux choses l’une :

Soit 1 est toujours le même 1, alors on ne peut pas faire 1+1 puisqu’il n’y a qu’un 1, c’est le même 1.

Soit il y a plusieurs 1 et il faudrait écrire 1’, 1’’, 1’’’ etc pour les différencier. On peut alors écrire 1’+1’’+1’’’ etc mais on ne peut pas faire l’addition car on n’additionne pas des carottes et des navets. Il faut donc que 1 soit à la fois identique et différent de lui-même. C’est un nombre.

En tant que 1, le signifiant partage avec le nombre 1 la même nature, d’être différent de lui-même. 

 

Mais comment s'assurer qu'il est différent de lui-même, que lui et lui-même ne confondent pas? Il faut bien qu'il y ait quelque chose qui vienne se mettre dans la différence. Alors je symbolise cette auto-différence d'une double boucle :  un premier tour, et un deuxième avant de boucler avec le premier.

Schéma de la double boucle :

 

 

 

 

Double boucle, mais, pour éviter que les deux tours se confondent, il faut bien qu'il y ait quelque chose qui vienne les séparer... Eh bien, par hypothèse, dans le fantasme, ce qui vient les séparer, ce sont ces objets pulsionnels qui viennent s'assurer qu'il y a un espace entre les deux tours pour le sujet. Parce qu’un sujet, ce n'est pas un Un. En fait c’est un 0 qu’on compte 1.  On compte les sujets, mais en fait ce n'est pas les sujets que l'on compte, c'est leurs noms, leurs corps.

Le sujet lui-même, c'est une hypothèse... Vous faites ou pas l'hypothèse que quand je parle il y a quelqu'un qui parle, qu'il y a un sujet qui parle. Par exemple, vous pensez… mais vous n'êtes pas sûr, que cela ne soit pas un disque par exemple, ou une bande, que je ne fasse pas que lire un texte qui ne serait même pas de moi.

Donc vous supposez qu'il  y a une énonciation. Mais si vous supposez qu'il y a une énonciation, ça veut dire que le sujet n'est pas seulement dans l'énoncé, en tout cas qu’il est divisé entre ce qui est énoncé et quelque chose qui est  de l'ordre de l'énonciation. Cette division, on peut la symboliser par cette double boucle. Mais pour s'assurer qu'il y a bien un espace, et que ça ne se recolle pas… que le signifiant ne se transforme pas en signe univoque ― un petit peu comme ça se passe dans certains aspects du discours psychotique, où le mot, c'est le mot, point ! ― pour cela il faut une garantie, c’est l’objet a qui s’insère entre les deux tours du signifiant.

C’est ce qui se passe dans la névrose. Cet objet a supplée au manque à être du sujet, et devient donc  la cause de son désir. (Le désir est un manque d’être et non simplement comme on le pense le désir d’avoir. Car ce qui lui manque le plus au sujet c’est d’avoir un être.)

Quant au phallus de la mère.... Euh,; je ne sais plus pourquoi. Qu'est-ce que vous voulez savoir sur le phallus?

E : Le lien entre désir maternel et ...

Dr V.: Bon, alors, la métaphore paternelle. Le Nom-du-Père. Ça consiste à substituer à l'énigme du désir de la mère... “Qu'est-ce qu'elle veut?“... de lui substituer quelque chose qui va se constituer à partir d'une élévation de l'organe pénien à la fonction de symbole de la différence. Voilà ce que je voulais dire, c'est pourquoi je parlais de la double boucle... Parce que ces objets a dont je parlais, la voix, le regard, etc., ils ne fonctionnement pas forcément comme manque à être du sujet.

La voix du psychotique, ce n'est pas la cause de son désir, c'est la jouissance de l'Autre qui s'exprime comme ça. Lui, il entend des voix, ça veut dire que c'est lui qui est l'objet de la jouissance de l'Autre, ces voix ne sont pas la cause de son désir à lui. Cette voix-là, qui fait que moi je prends plaisir à vous parler par exemple, bon, ça peut même être une sublimation, qui sait? Lacan dit quelque part : “vous voyez là en ce moment je vous parle, eh bien je peux prendre autant de plaisir que si je baisais“. Bon. C'est ça la sublimation. [rires de la salle]

C'est plus ou moins sublimé. Bon.

 

Question 2

Question du forum : « Pourquoi un sujet psychotique vit-il le transfert plus intensément qu'un sujet névrosé? »

Dr V. : C'est que ce n'est pas le même transfert. Bon c'est vrai qu'il faudrait que je refasse le topo, mais...

C'est que le transfert dans la névrose, c'est sur un sujet “supposé savoir“. C'est-à-dire que “je sais bien quand même que ce psychanalyste, bien sympathique ou pas d'ailleurs, je le suppose savoir, mais je sais bien aussi qu'il ne sait rien, je ne lui ai encore rien dit! Mais je vais quand même aller le consulter, et comme il la boucle, je peux supposer qu'il en sait un bout“.

Il y a une espèce de fiction, comme la réalité d'ailleurs ordinaire qui est une fiction, c'est-à-dire que cela ne tient, que parce que j'ai un fantasme qui la fait tenir. Il suffit que je sois dans des conditions un petit peu particulières où mon fantasme flageole, pour que la réalité elle-même ne soit plus très claire. On a tous vécu des moments: “où est-ce que je suis?“... 

Alors que dans la psychose, la réalité n'est pas soutenue par un fantasme du même ordre. C'est-à-dire qu'elle n'est pas soutenue par un fantasme où le sujet du langage s'accroche à un lien un peu particulier avec ces objets a, avec la voix, le regard.

Au moins dans la partie psychotique, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas comme ça. Et très souvent, ce qui se passe c'est que des gens qui ont été parfaitement intelligents, courageux, volontaires, brillants…, on s'aperçoit après coup qu'ils se sont toujours soutenus en s'épaulant sur un camarade, sur un modèle, sur un frère,, etc. Et puis un beau jour, la personne sur laquelle il s'appuyait se met à courtiser une femme, se montre effectivement désirant sexuellement. Et alors, c'est la panique. Dans le cas de jumeaux par exemple, c'est particulièrement clair. Quand l'un des jumeaux s’investit sexuellement dans une relation et vient faire défaut à celui qui se révèle être psychotique, ce dernier se sent lâché et en danger vital. Mais vous pouvez trouver ça dans d'autres configurations.

Et Lacan décrit comme déclenchement de la psychose le plus souvent la rencontre avec un Père, en tous cas le Père en tant qu'il représente une énigme absolue pour lui, pour un psychotique.

Alors pourquoi le transfert...? Il ne résiste pas au transfert parce que “dès qu'il s'est confié à moi, d'abord je suis redevable à son égard du cadeau qu'il m'a fait, mais surtout j'entre immédiatement dans un réseau beaucoup plus serré parce qu'il n'y a plus que le registre imaginaire, dit Frignet. » Dans la psychose le sens de l'autorité reste plus mystérieux encore que dans la névrose. C'est toujours réductible in fine à une domination. C'est un rapport dominant-dominé. C'est pourquoi c'est très vite interprété en termes de persécution homosexuelle, c’est-à-dire de domination sexuelle. Dans la mesure où le Nom-du-Père est forclos, la fonction de transmission symbolique du père reste incomprise et la sexualité elle-même ne peut être vécue qu’en termes de domination. Mais ce n'est pas un désir homosexuel qui est refoulé, ça c'est une mauvaise piste. A chaque fois qu'on va dans ce sens-là, c'est la catastrophe.

Voilà. Alors il faudrait que la personne soit là pour préciser sa question, mais en tout cas, il suffit de travailler avec des psychotiques pour s'apercevoir que la relation est en quelque sorte moins “jouée". Quand je vais chez mon analyste, je sais que c'est mon analyste, ce n'est pas mon père ni ma mère. Bien sûr, je vis avec lui comme si c'était mon père, mais il y a un “comme si“. Alors que dans la paranoïa, si ça ne va pas, c'est pas “comme si“... Vous êtes un salaud, vous êtes un persécuteur, ça tourne vite mal, quand même ! Même aussi dans la schizophrénie, mais c'est surtout que dans la schizophrénie, la difficulté, c'est d'obtenir un transfert un peu durable... que les patients aient envie de revenir... Il y a différents  cas, mais dans l'ensemble, ce qui est difficile dans la schizophrénie, c'est d'obtenir que les gens aient vraiment envie de vous voir régulièrement.

Et puis il y a tous les cas d’autres psychoses. Entre les délires purement interprétatifs, les délires hallucinatoires (comme dans la psychose hallucinatoire chronique), et l'hébéphrénie, l'hébéphréno-catatonie, les délires paranoïdes surtout, eh bien il y a tout une gamme de choses qu'il est bien difficile de spécifier topologiquement, structurellement.

La distinction la plus claire qui a toujours été admise par toutes les nosographies, c'est la distinction entre les paranoïas et les schizophrénies. Dans la paranoïa on comprend ce qu'ils disent. Dans la schizophrénie il y a toujours un peu ce truc bizarre... Voilà. 

Est-ce que vous avez d'autres questions?... On peut en profiter pour partir! [Applaudissements]

Retranscription réalisée sous la responsabilité des étudiants de l’EPHEP

Retranscription réalisée par PIRES-LE FRÊCHE Hélène

Relecture par  Amandine Decroi




[1] « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », in Ecrits, 1966, Seuil pp.531-583

[2] Lettre à Fliess du 1-02-1900.

[3] Dans Les quatre concepts, 1973, Seuil, p.16. Ce qui se traduit par la référence exclusive de Freud à l’Œdipe et la question du père avec l’aveu de la résistance opposée au « conquistador » par le continent noir de la femme : « Was will das Weib ? »

[4] Roland Chemama, Christiane Lacôte-Destribats, Bernard Vandermersch ; Le métier de psychanalyste, Erès 2016, coll° Humus, le désir de l’analyste.

[5] Freud S. L’analyse finie et l’analyse infinie, 1937, traduction française PUF, 2010, O.C., T. XX, p.49.

[6] Freud S. Constructions dans l’analyse, 1937, traduction française, PUF, 2010, O.C., T. XX, p.62.

[7] Czermak M. « Le transfert dans les psychoses » in Patronymies,  Erès, 2012 (1ère éd. Masson, 1998) p.208.

[8] Homo loquens : composé du latin homo (“être humain“) et loquens (“parlant“), par analogie avec Homo sapiens. (Note des transcripteurs).

[9] Autre, avec un A majuscule pour distinguer ce lieu d’où le sujet reçoit le langage (et historiquement la mère) de l’autre avec un a minuscule pour désigner les autres personnages auquel le moi a affaire.

[10] Par exemple : « Aujourd’hui ». Hui vient de Hodie = ce jour (= aujourd’hui). Au jour d’hui signifie donc = au jour de ce jour. Et l’on entend couramment : « Au jour d’aujourd’hui… » (soit : au jour du jour de ce jour).

[11] Par hypothèse, cette mise en place du phallus est altérée ou inexistante dans les psychoses.

[12] Schreber Daniel Paul. Mémoires d’un névropathe. 1903, 1975, Seuil, traduction française de Paul Duquenne et Nicole Sels..

[13] Paul Duquenne et Nicole Sels. Titre original Denkwürdigkeiten eines Nernenkranken, 1903. 1975, Seuil, pour la traduction française.

[14] Cf Davoine F. et Gaudillière J-M. Histoire et trauma, la folie des guerres, 2006 [2004] Stock.