À quelles conditions la croyance du sujet en un Dieu inconscient est-elle dépassable ?

Barek Tounsi - Etudiant du Cursus spécialisé : Validation du module III - E.S. 9
Responsable de l'enseignement : P-C. Cathelineau

De quoi nous informe ce syntagme inouï « un Dieu inconscient » ? En premier lieu que la psychanalyse est concernée par cette question elle-même. En second lieu, qu’il ne s’agit pas à proprement parler du Dieu monothéiste, le Dieu des croyants qui en ce sens est un Dieu conscient. Même s’il existe bien entendu un lien entre le Dieu monothéiste et le Dieu inconscient (ainsi nommé par Lacan). Mais nous verrons plus loin la nature de ce lien. Il nous reste donc à questionner ce syntagme.

Il apparaît dans le Séminaire 11, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse à la page 70 dans cette phrase :

Dieu est inconscient. « « (…)  la véritable formule de l’athéisme n’est pas que Dieu est mort– même en fondant l’origine de la fonction du père sur son meurtre, Freud protège le père – la véritable formule de l’athéisme, c’est que Dieu est inconscient ».

Lacan se démarque de Freud et le prend au pied de la lettre. Dieu est inconscient. Dieu est  supposé au refoulement originaire. L’enjeu porte sur l’athéisme qui nous intéresse car il intéresse les conditions qui permettent au sujet de dépasser la croyance en un Dieu inconscient.

DIEU EST UN REPRESENTANT PSYCHIQUE :

Pour Freud, dans la première topique l’inconscient est une instance psychique qu’il désigne comme le lieu de représentations refoulées.  Le refoulé est constitué de représentants psychiques, de traces mnésiques ou de souvenirs qui ont subit le refoulement. Comme tous les contenus inconscients, ils cherchent à faire retour par des voies plus ou moins détournées.

Aujourd’hui,  nous dirions à la suite de Lacan que l’inconscient est « structuré comme un langage ». Autrement dit, qu’il « est le lieu d’un savoir constitué par un matériel littéral, en lui-même dépourvu de signification, organisant la jouissance et réglant le fantasme, la perception, ainsi qu’une grande partie de l’économie organique ». Dictionnaire de la psychanalyse.

 

LE MEURTRE DU PERE :

  1. a.  comment les fils sont devenus croyants

Le Dieu inconscient, c’est le Père mort. Pour Freud la religion naît d’un meurtre originaire, le meurtre du Père primordial, le Père de la horde. « Un jour, les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l'existence de la horde paternelle ». Après une longue période fratricide ou chacun chercha à prendre la place du Père et son héritage.  Ils se rallièrent à une sorte de contrat social. « Chacun renonça au rêve de remplacer son père ou de posséder sa mère ou sa sœur. Ainsi se trouvèrent institués le tabou de l'inceste et la loi de l'exogamie ».

Les fils en assassinant leur père sont devenus des croyants. Ils se sont mis à croire en lui, « à y croire ». En effet, ils se sont mis à le vénérer au travers de son substitut, le Totem. C’est ainsi que la première religion, c’est pour Freud, la religion totémique. «  Le repas totémique, qui est peut-être la première fête de l'humanité, serait la reproduction et comme la fête commémorative de cet acte mémorable et criminel qui a servi de point de départ à tant de choses : organisations sociales, restrictions morales, religions » (Totem et Tabou, 1912 – 1913).

b. la naissance de la religion

Depuis ce meurtre originaire, à la suite de ces fils premiers, nous sommes tous, nous les humains, par la force des choses, nous sommes tous inscrits dans cette histoire de l’humanité, nous sommes tous des croyants. A quelques exceptions qu’il s’agira d’éclairer un peu plus tard dans notre travail.

Freud repère des traits qui sont alors apparus dans cette religion totémique et qui resteront attachés à jamais à toute religion, quelle qu'elle soit. La religion totémique résulte de la conscience des fils de leur culpabilité ; elle est une tentative de ces derniers  d’étouffer ce sentiment et de tenter de  se réconcilier avec « le père offensé par une obéissance rétrospective ». « Toutes les religions ultérieures ne sont qu'autant de tentatives faites en vue de résoudre le même problème, tentatives qui varient selon l'état de civilisation qui les a vues naître et ne diffèrent les unes des autres que par la direction qu'elles ont suivie pour trouver cette solution : mais toutes représentent des réactions contre le grand événement par lequel la civilisation a débuté et qui depuis lors n'a pas cessé de tourmenter l'humanité «  (Idem)

 

b. Dieu figure du Père primordial : le retour du refoulé

Freud en s’appuyant sur les découvertes de la psychanalyse fait une lecture psychanalytique du processus religieux. Le meurtre du Père primordial a été « refoulé ». Mais, le Père mort, ne cesse de faire retour nous dit-il par l’opération symbolique de la substitution. Il se « réincarne » aux travers de figures ou de substituts : le Totem, les prophètes, Moïse, Dieu, le patriarche, le père de famille comme fonction de la figure du Père, mais également l’analyste comme sujet supposé savoir.

c. le père de famille comme substitut du Père primordial

Le retour du refoulé s'effectue avec lenteur, nous dit Freud. Il se livre alors à une énumération des étapes de ce retour que nous ne reprenons pas ici. Nous notons que le père redevient le chef de famille, sans récupérer toutefois l'omnipotence du père de la horde primitive.

 

Dieu pour Freud est une « construction » psychique sur un fond de culpabilité. Il nous dit qu’en fait « pour chacun le dieu est fait à l'image de son père, que l'attitude personnelle de chacun à l'égard du dieu dépend de son attitude à l'égard de son père charnel, (…) dieu n’est au fond qu'un père d'une dignité plus élevée. Ici encore, comme dans le cas du totémisme, la psychanalyse nous conseille de croire le croyant, lorsqu'il parle du dieu comme de son père »

d. le Père mort et le complexe d’Œdipe

Le sentiment de culpabilité des fils rendait le père plus puissant que de son vivant. Ce faisant, « ce que le père avait empêché autrefois, par le fait même de son existence, les fils se le défendaient à présent eux-mêmes, en vertu de cette « obéissance rétrospective », « caractéristique d'une situation psychique, que la psychanalyse nous a rendue familière », ils « désavouaient leur acte, en prohibant la mise à mort du totem, substitution du père, et ils renonçaient à recueillir les fruits de cet acte, en refusant d'avoir des rapports sexuels avec les femmes qu'ils avaient libérées. C'est ainsi que le sentiment de culpabilité des fils a engendré les deux tabou fondamentaux du totémisme qui, pour cette raison, devaient se confondre avec les deux désirs réprimés de I'Oedipe-complexe » (totem et Tabou, 1912 – 1913)

 

LE NOM DU PERE :

Là ou Freud utilise le mythe pour parler de Dieu, Lacan utilise la logique. C’est le moyen pour lui de ne pas parler de Dieu en termes religieux. Il fixe à Dieu une place et une fonction dans l’inconscient : « Dieu est inconscient ». Il va également lui assigner une fonction logique, et tenter de le localiser dans les dimensions du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique. En témoigne cette affirmation "les dieux sont du réel" qui précède la formulation "Dieu est inconscient". 

Le Nom du Père renvoie à la fonction du père dans la religion d’une part et dans la famille d’autre part avec la triangulation œdipienne. C’est à la fois le père de la religion, celui de la horde, celui de Totem et Tabou, mais aussi celui dont la fonction symbolique est identifiée au sein de la famille.

a. L’au moins un : l’exception

Le père primordial, nous dit Lacan, « c’est le père d’avant l’interdit de l’inceste, d’avant l’apparition de la Loi, de l’ordre des structures de l’alliance et de la parenté, en un mot d’avant l’apparition de la culture. C’est pourquoi Freud en fait le chef de la horde, dont, conformément au mythe animal, la satisfaction est sans frein ». Jacques Lacan, Introduction aux Noms-du Père, In Des noms-du-Père, édition du Seuil, janvier 2005

Le père de la horde exerce un pouvoir sans partage. Il « jouit » de toutes les femmes sans limite aucune. Il ne connait pas le manque. Non seulement, il nie la castration, mais  il l’ignore. Elle ne fait pas partie de son « monde ». Il occupe, pour Lacan, la position de l’Au-moins-un.

L’Au-moins-un subsume les figures du divin mais aussi les figures de l’exception nécessaire pour former un ensemble. Ainsi la formule il existe un X qui nie Phi de X est un  support de cette formule pour tout X Phi de X. Cette formule signifie que pour tout X, la castration est effective. Les deux formules sont dans une relation d’implication réciproque. S’il existe un X qui nie Phi de X alors pour tout X Phi de X est possible. Mais notons que pour Freud la castration n’est effective qu’après la mort du père. C’est en effet après sa mort que les fils ont mis en place le tabou de l’inceste. C’est parce qu’il y a le père mort pour Freud que la castration est effective pour tous ou presque.

b. celui qui a le phallus

Ce qu’il nous faut saisir, c’est que le père de la horde en niant la castration  s’identifie au phallus. Il est le phallus. Ce père mort éjecté dans le Réel, Freud nous montre qu’il ne cesse pas de faire retour au travers de ce qu’il appelle des substituts. Dans la dimension symbolique, le phallus, c’est ce qui ordonne la chaîne des signifiants.  « Le phallus désigne dans leur ensemble les effets de signifiés au signifiant, en tant que ces effets indiquent un manque radical ».

Comment cela se traduit-il dans le langage ? Le  langage rate les objets et les situations que nous désignons ou que nous évoquons lorsque nous parlons.  Cet échec du signifiant à saisir pleinement l’objet visé, c’est la marque de la signifiance phallique sur la chaîne signifiante. Autrement dit,  le langage, pour Lacan vise, un manque, le manque.

c. la mise en place du Nom-du-Père comme métaphore paternelle

Le Nom-du-Père est produit par la métaphore paternelle. La substitution de la fonction du père au désir de la mère est nécessaire pour conduire l’enfant à s’identifier au père et à s’extraire  du champ du désir de la mère. Ce premier refoulement, « le refoulement originaire inscrit le sujet dans la « normalité psychique ». Autrement dit, il inscrit le sujet dans la structure névrotique. Dans un temps second, le Nom-du-Père comme signifiant prend place au lieu de l’Autre inconscient comme signifiant de la loi ? Le Nom du père.

Pour le dire autrement (je m’appui là sur le cours de Psycho - pathologie et philosophie de M. P.C. Cathelineau), la première expérience que fait l’enfant du manque, c’est l’apparition du père, il va situer le père dans l’Autre, parce que la mère au lieu de le viser lui comme objet, vise le père et pas seulement le père, mais le Nom-du-Père en tant qu’il est soutenu par la mère parce qu’elle le désigne, mais surtout parce que la mère vise à travers le père, la signification phallique.

Le phallus a une dimension logique. Donc dans ce décentrement du désir de la mère vers le père, vers le phallus paternel, l’enfant est amené à s’identifier, non pas à la mère, ce qu’on ne lui souhaite pas, mais au père.

Au départ il est le phallus et à la fin il va l’avoir. Et c’est l’opération du Nom-du-Père qui met en place le manque que l’enfant perçoit du fait de ce décentrement et donc il faut que le désir de la mère soit élidé par le Nom du père pour que tout simplement le désir de l’enfant advienne ()

 

 

 

d. le moment de la métaphore comme inscription de la croyance.

Le moment de la mise en place du Nom-du-Père est un moment crucial pour l’enfant et déterminant pour sa structure. Il s’opère une distinction nette entre l’inscription dans la névrose ou dans la psychose pour rester dans ces deux structures uniquement. Soit l’opération de la métaphore paternelle a lieu et l’enfant s’inscrit dans la névrose, soit le père comme signifiant du Nom-du-Père est forclos et c’est alors la structure psychotique qui déterminera le sujet.

Donc pour que l’enfant s’inscrive dans le champ de la névrose,  il faut qu’il « y croit » à ce Nom-du-Père parce que s’il n’y croit pas, ça se termine mal, ça se termine par éventuellement la psychose (le cours)

 

e. la croyance du névrosé vs la certitude du psychotique (de Nerval)

Pour le psychotique chez qui le Nom-du-Père n’a pas opéré, chez qui le Nom-du-Père est forclos, il en va tout autrement de la croyance. Il n’y croit pas au Nom-du-Père. Il ne croit pas tout court. Ce n’est pas un croyant.

 

Dans Aurélia, Nerval rapporte sa rencontre dans la maison de santé où il a été soigné avec un homme qu’il qualifie d’étrange, un ancien soldat d’Afrique. Il refusait de se nourrir, de voir et d’entendre. Un jour pourtant, il s’adressa à Nerval :

« Il me dit : « J’ai soif ». J’allai lui chercher à boire, le verre toucha ses lèvres sans qu’il pût l’avaler. « Pourquoi, lui dis-je, ne veux-tu pas manger et boire comme les autres ? – C’est que je suis mort, dit-il ; j’ai été enterré dans tel cimetière, à telle place…- Et maintenant, où crois-tu être ? – En purgatoire, j’accomplis mon expiation ». G. de Nerval, Œuvres, II Gallimard, Pléiade, 1961, p.958. Nous avons pris appui pour cette analyse sur l’excellent livre de sémiotique de J.C. Coquet, le Discours et son sujet1, 1984, KLINCKSIEK, PARIS.

 

L’homme étrange ne dit pas je crois être mort ou je crois avoir été enterré. Pour lui, il est mort, il a été enterré.

A la question « Où crois-tu être ? », il ne répond pas je crois être au purgatoire ce qui nous aurait permis de noter une certaine distance par rapport à son affirmation. Mais étrangement, il répond directement : « En purgatoire, j’accomplis mon expiation ». La présence du verbe croire est la marque d’un jugement, celui d’un sujet névrosé. L’exclusion du verbe croire traduit un discours d’une absolue certitude ou le discours du sujet est identique à la vérité. C’est le langage du psychotique. Ce qui nous fait dire que le psychotique n’est pas un croyant. Il sait un point c’est tout.

 

 

f. la croyance du Nom-du-Père: une croyance inconsciente

Lors de l’opération de la métaphore paternelle, « il faut que l’enfant y croit » au Nom-du-Père. Et si il n’y croit pas, ce que nous dit le cours,  « ça se termine mal, ça se termine par éventuellement la psychose ». Mais peut-on parler réellement de croyance. Le sujet n’a pas véritablement de choix. Il y a accès ou pas, au Nom-du-Père. Et d’ailleurs, il vaudrait mieux pour lui que sa mère « y croit » également «  parce que si elle n’y croit pas, ça ne va pas faciliter à l’enfant d’y croire, ça ne va pas rendre les choses très faciles », nous dit également le cours.

Alors qu’en est-il de cette croyance de l’enfant qui lui échappe totalement ? Pour la saisir, il faut considérer  que c’est une croyance inconsciente qui ne se construit pas sur le mode conscient.  L’enfant  « y croit » sur le mode inconscient. Donc, pour le sujet névrosé, le Nom-du-Père est inconscient. Mais, sa croyance elle-même,  en ce Dieu inconscient est inconsciente, non-su. Autrement dit, le névrosé, même s’il est athée, est un croyant qui s’ignore et qui ignore qu’il croit en un Dieu qui lui est inconscient. Nous sommes, nous les névrosés, devenus croyants car nous sommes structurés sur un fond ou à partir d’un point d’ignorance. Nous ignorons notre croyance en un Dieu inconscient. Cette croyance inconsciente,  c’est en quelque sorte la « matrice » à partir de laquelle se produit et s’organise la chaîne substitutive de nos croyances.

 

g. le Nom-du-Père comme symptôme :

Revenons un instant sur la question qui nous est posée, À quelles conditions la croyance du sujet en un Dieu inconscient est-elle dépassable ?,  et interrogeons-nous sur l’utilité de dépasser cette croyance. Rappelons, qu’il n’est question ni pour Freud, ni pour Lacan de se passer de cette croyance, de la jeter aux orties. Ils ne le peuvent pas d’ailleurs. Elle relève de la structure. Deux raisons nous semblent pousser Lacan à envisager le dépassement du Nom-du-Père.

La première c’est que le complexe d’Œdipe pour Freud, le Nom-du-Père pour Lacan fait symptôme. Ch. Melman, à ce sujet précise que l’œdipe à une fonction « névrotisante ». Il « nous invite à considérer l’importance de l’historisation du sujet dans la constitution de la névrose ». Par ailleurs, on peut s’appuyer sur cette définition très large de la névrose, que nous propose le Dictionnaire de la psychanalyse : « mode de défense contre la castration par fixation à un scénario œdipien ».

La seconde est éclairée par l’article de Pierre-Christophe Cathelineau : Quel choix éthique pour l’institution ? Le Nom-du-Père, nous dit-il, «  définit un ensemble fermé » qui n’inclut que  « Tous ceux qui relèvent de ce Nom du Père » et qui de fait « ressortissent de la même castration ». Il ajoute et c’est là que porte la critique : « La difficulté, c’est que la mise en place de ce type d’exception détermine un dehors et un dedans, une frontière entre ceux qui sont éligibles à la même castration et ceux qui ne le sont pas ». Ainsi se trouvent « exclus, les natifs d’une autre origine, les fous, les femmes, que sais-je, à une autre époque antérieure les homosexuels, bref, tous ceux qui n’appartiennent pas au clan ». Et la conclusion est presque un appel : « Nous voyons par-là que le Nom du Père implique la ségrégation et l’exclusion, comme le rappelait Charles Melman dans un édito du site ».

Ce moment de la mise en place du Nom-du-Père, n’est pas un long fleuve tranquille. Il ne suffit pas au sujet « d’y croire » au Nom-du-Père pour s’assurer une vie paisible. Freud ne nous montre-t-il pas, dans l’analyse avec fin et l’analyse sans fin, le complexe de castration comme le « roc d’origine » indépassable dans la cure analytique. La persistance indéfinie et inconsciente du désir du pénis chez la femme peut être un facteur de jalousie ce peut être également la « source des accès de dépression grave ». C’est l’angoisse de castration qui constitue chez l’homme la plus grande résistance au travail analytique. L’attitude passive à l’égard du père ou de l’homme en général signifie pour lui la castration ce qui déclenche chez lui une révolte. Cette révolte stérile le rend dépendant aussi bien dans sa vie sociale qu’à l’égard de la femme. A aucun moment du travail analytique, nous dit Freud « on ne souffre d’avantage de sentir de manière oppressante la vanité d’efforts répétés, de soupçonner que l’on « prêche aux poissons », que lorsqu’on veut inciter les femmes à abandonner leur désir de pénis comme irréalisable, et lorsqu’on voudrait convaincre les hommes qu’une position passive envers l’homme n’a pas toujours la signification d’une castration et qu’elle est indispensable dans de nombreuses relations de l’existence. De la surcompensation arrogante de l’homme découle l’une des plus fortes résistances de transfert ».

 

Bien sûr l’assomption de la castration comme le souligne Lacan, c’est le « manque qui crée le désir », un désir qui cesse d’être soumis à l’idéal paternel. Mais le plus souvent, c’est la crainte de la castration qui se produit chez le névrosé. Certes, cette crainte est « normalisante » du fait qu’elle interdit l’inceste, mais elle inscrit le sujet dans une position de soumission au père qui traduit que chez lui l’œdipe n’est pas dépassé.

 

h. la castration est indépassable

La tâche du fils, ajoute Freud, page 317, « consiste à détacher de sa mère ses désirs libidineux, pour les reporter sur son objet réel étranger, à se réconcilier avec le père, s’il lui a gardé une certaine hostilité, ou à s’émanciper de sa tyrannie lorsque, par réaction contre sa révolte enfantine, il est devenu son esclave soumis. Ces tâches s’imposent à tous et à chacun ; et il est à remarquer que leur accomplissement réussit rarement d’une façon idéale, c’est-à-dire avec une correction psychologique et sociale parfaite. Les névrosés, eux, échouent totalement dans ces tâches, le fils incapable de reporter la libido sur un objet sexuel étranger. Et peut être également, mutatis mutandis, le sort de la fille. C’est en ce sens que le complexe d’Œdipe peut-être considéré comme le noyau des névroses ».

Pourquoi l’œdipe n’est-il pas dépassé ? Parce que les revendications libidinales œdipiennes sont refoulées. Freud précise que le mobile du refoulement tient à l’angoisse de castration.

Pour Lacan, l’angoisse de castration vient signaler que l’opération normative qu’est la symbolisation n’a pas été totalement réalisée.

 

Lacan est d’accord avec ce que formule Freud sur la castration comme le « roc d’origine ». Elle n’est rien d’autre que le refus d’admettre la castration. Alors, à quelles conditions la croyance du sujet en un Dieu inconscient est-elle dépassable ? Lacan accentue cette question et l’oriente vers une réponse possible :

 « L’hypothèse de l’inconscient-Freud le souligne- c’est quelque chose qui ne peut tenir qu’à supposer le Nom-du-Père. Supposer le Nom-du-Père, certes c’est Dieu. C’est en ça que la psychanalyse, de réussir prouve que le Nom-du-Père, on peut aussi bien s’en passer. On peut aussi bien s’en passer, à condition de s’en servir. »

 

Que signifie se passer du Nom du Père à condition de s’en servir ? Voilà la piste ouverte par Lacan. Le parcours, d’une analyse qui permet de dépasser la croyance en un Dieu inconscient, Lacan nous le trace dans le séminaire D’un Autre à l’autre, 1968-1969.

L’enjeu essentiel dans le drame familial nous dit Lacan …c'est l’objet(a). « C'est lui qui pose tous les problèmes de l'identification, c'est lui avec lequel il faut, au niveau de la névrose, en finir, pour que la structure se révèle de ce qu'il s'agit de résoudre, à savoir la structure tout court, le signifiant du A : S(A). De sorte que cette structure, qui est celle que je vise celle que j'appelle « d'un Autre » pour montrer où, par l'incidence de la psychanalyse, il va, pour révéler à tout autre - à savoir le (a) »

 

a. La structure de l’Autre

Ce qui est implicite nous dit Lacan et qui rend possible cette règle des associations libres à laquelle on invite le patient et qui en un certain sens peut paraître tout-à-fait insensée, c'est que, quoi que l’on dise, « il y a l'Autre, l'Autre qui sait ce que ça veut dire ». Cet Autre qui unifie le champ de l’Autre, c’est, pour Lacan, le « Dieu des philosophes », celui qu’Aristote désigne comme la cause première. Cet Autre qui fait UN, Lacan le fait résonner en un principe qui soutient Tous et Tout. C’est le principe de raison suffisante ( « Jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire qui puisse servir à rendre raison à priori pourquoi cela est existant plutôt que non existant cela est ainsi plutôt que tout autre façon » Leibniz, Théodicée, I, 44), et cela suffit pour Lacan pour mettre à l’horizon le grand Autre, l’Omniscient, celui qui sait.

 

Le Dieu des philosophes, est pour Lacan le siège, le trône, le support du Dieu qui parle, le Dieu des juifs, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce qui distingue le Dieu des juifs, celui qui est à l’origine du monothéisme, outre qu’il parle, « ce n'est pas qu'il se pose comme Un lui-même, qui le caractérise ». D’où la prééminence des prophètes dans la tradition juive. Et d’où s’introduit la question de la Révélation ; la question de la parole comme porteuse de vérité.

Ce qui intéresse Lacan c’est de nous montrer que ce champ de la vérité révélée introduit une division entre vérité et savoir. Et que par rapport à ce champ de la vérité, le savoir est ailleurs, hors champ.

 

Il va ensuite opérer une distinction très subtile et très féconde entre la fonction du savoir et la  production du savoir. La fonction du savoir est relative à la mise au travail de la vérité et la production du savoir, parce que le savoir est un  moyen de production, il produit. Et ce qu’il produit, c'est ce que Lacan désigne sous le nom de l'objet(a).

 

LE SAVOIR PRODUIT L’OBJET (a)

Lacan passe par la structure du grand Autre pour nous montrer comment émerge l’objet (a). Mais le chemin de l’Autre à l’autre exige d’en passer par la castration. L’objet a, nous dit Lacan, c’est ce « qui vient se substituer à la béance qui se désigne dans l’impasse du rapport sexuel ». Ce qu’il va dire ensuite, je le découvre. C’est très heuristique et d’une puissance théorique qui éclaire véritablement la clinique « L’opération de substitution de l’objet (a) à la béance que désigne l’impasse du rapport sexuel, vient redoubler la division du sujet en lui donnant (là vraiment c’est saisissant), ce que jusqu’à là n’était saisissable d’aucune façon, car le propre de la castration, c’est que rien ne peut à proprement parler l’énoncer, parce que sa cause est absente ». Autrement dit sans l’objet (a) le sujet serait livré à une pure béance, à un vide insondable. En venant prendre la place de cette cause absente, l’objet (a) se substitue comme cause à la « faille radicale » du sujet.

 

Ouf ! Un peu de souffle !

A ce stade, pour Lacan, peu importe que Dieu existe ou pas. On en a besoin. La croyance en un Dieu inconscient est forte car le sujet se soutient de cette croyance. Toutefois, Lacan insiste la croyance en ce Dieu inconscient est dépassable à condition de s’en servir. La structure du grand Autre peut mener à l’objet (a) qui est la seule cause qui fonde le désir inconscient du sujet. Il faut guider l’analysant vers cette cause en se servant du grand Autre, le Dieu inconscient. C’est la fonction de l’analyste qui conduit la cure en place de sujet supposé savoir.

 

LA FONCTION DU PSYCHANALYSTE :

Nous avons vu plus haut que le névrosé est fondamentalement croyant. Il ne demande qu’à « y croire ». Mais à la lecture de Lacan nous pouvons préciser que le névrosé veut savoir. « Il cherche à savoir ». En cela, il est disposé à savoir quelque chose de l’objet (a) en tant que le savoir comme moyen de production, produit l’objet (a). Et Lacan d’ajouter, « au début de l’expérience analytique, nous n’avons aucune peine à l’inciter, en somme, à faire foi à cet Autre comme lieu où le savoir s’institue, au sujet supposé savoir ». Le terme foi, montre bien que pour Lacan il s’agit de croyance.

Il revient, à ce moment-là de sa réflexion, sur la question de l’existence de ce Dieu inconscient et là il est plus affirmatif. Ce sujet supposé savoir, cet « Autre, ce lieu unique où le savoir se conjoindrai (ce que je comprends comme une conjonction de la vérité et du savoir), n’existe pas ! Que rien n’indique : - que l’Autre soit Un, - qu’il ne soit pas, comme le sujet, uniquement signifiable du signifiant d’une topologie particulière qui se résume à ce qu’il en est de l’objet (a) ».

 

LE PSYCHANALYSTE COMME SUJET SUPPOSE SAVOIR :

Le sujet supposé savoir c'est Dieu, un point c'est tout. Lacan.

Le psychanalyste parce qu’il incite l’analysant au savoir, par ce qu’il a à sa disposition, disons pour faire vite, la technique psychanalytique, il se trouve prendre à sa charge le sujet supposé savoir.  Le transfert se définit alors dans son rapport au sujet supposé savoir. Ce rapport est structural. Comme tel, il est lié au lieu de l’Autre. Le lieu de l’Autre, Lacan l’évalue maintenant comme le lieu où le savoir s’articule illusoirement comme Un. L’Autre est trompeur mais il permet le travail analytique.

Comprendre cela, permet de saisir que le « fonctionnement de celui qui cherche à savoir, le névrosé, s’articule dans le transfert et nécessairement en termes de répétition ».

 

Pour conclure : Le paradoxe du psychanalyste :

L’acte psychanalytique inscrit le psychanalyste dans un parcours paradoxal. Il incite le sujet à suivre le chemin vers la rencontre d’un sujet supposé savoir, dont lui le psychanalyste n’est que le support, et « à condition qu’il sache ce qu’est une psychanalyse », au terme de cet acte, au terme de son opération, de « son En-soi même », il « va représenter l’évacuation de l’objet (a) » L’analyste choit. C’est une déchéance…

 

Ainsi, on peut saisir tout l’enjeu du sujet supposé savoir. Tout le jeu qu’offre cette place si l’analyste sait y jouer pour permettre au sujet de dépasser la croyance en ce Dieu inconscient en s’en servant justement.

 

Si l’analyste peut conduire le jeu, ce n’est pas qu’il soit « maître du jeu » mais il « en supporte, il en incarne l’atout maître pour autant que c’est lui qui vient jouer le poids de ce qu’il en est de l’objet (a) ».