M-C.Cadeau : Actualité et conséquences de la psychanalyse sur l’abord du féminin

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Extrait

9 mai 2011

Bon, alors pour ce premier, non pas séminaire mais, bon, intervention ici, j’ai pris le parti de vous parler, bien sûr des questions féminines, mais en m’appuyant sur ce qu’on peut appeler le premier Lacan, c'est-à-dire celui des années… le premier Lacan qui est effectivement disons celui qui va jusqu’au début des années 70, c'est-à-dire l’avant formules de la sexuation. Parce qu’il me semble que pour apprécier le pas que Lacan va franchir dans l’écriture des formules de la sexuation, il faut avoir une petite idée d’où il est parti, comment il a commenté Freud et s’en est, non pas éloigné radicalement,  pas du tout comme vous le savez, mais comment il a trouvé une voie pour, en quelque sorte, s’éloigner des impasses de Freud.

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Pour l’instant remarquons que Lacan va lutter également contre l’idée post freudienne d’une harmonie entre le sujet et l’objet, notamment l’harmonie avec un objet génital adéquat. Ça, vous l’avez déjà rencontré. Lacan suit d’emblée rigoureusement Freud sur le fait que l’objet primordial, celui de la mère – pour l’instant Lacan pose l’objet primordial, comme Freud, comme étant la mère – il dira autre chose plus tard. La mère et le sein de la mère. Mais, bon, après il dira autre chose mais à cette époque il suit Freud là-dessus encore. Donc l’objet primordial, donc la mère ou et le sein de la mère, donc est donc manquant. L’objet primordial est manquant, perdu et doit être retrouvé wiedergefunden, n’est-ce pas, c’est le terme évidemment freudien, et que c’est une femme qui dans la sexualité, en tout cas l’hétérosexualité, va se trouver en tenir la place de cet objet perdu. Donc, la petite fille nous fait-il remarquer, Lacan, va devoir parcourir un chemin considérable encore moins naturel, nous dit-il, que celui du petit garçon, depuis son rapport à elle avec l’objet primordial, sein maternel, jusqu’à sa propre position à elle comme substitut de cet objet retrouvé pour un homme, quasi retrouvé en elle par un homme. Et on a la surprise, effectivement, le 9 octobre 57, de voir Lacan faire la remarque  suivante, qu’il serait bien temps de se demander ce que le dit objet en pense, car l’objet est un sujet qui consent à prendre la position d’objet. On peut se dire effectivement : enfin !

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En effet qu’est-ce que montre cette relecture de Freud par Lacan ? Eh bien que la petite fille face à ces déceptions répétées, se voit rejetée dans le lieu Autre. Alors ça évidemment c’est la nouveauté lacanienne. Elle se voit rejetée dans le lieu Autre, désigné comme tel, à ma connaissance, quasiment pour la première fois officiellement, dans ce fameux congrès sur la sexualité féminine. C'est-à-dire ce lieu Autre, habité par ceux et celles qui ne sont pas dans la filiation directe du père. Alors ce concept d’Autre, évidemment qui ne va pas sans l’Un, l’Un du père et de ses fils, est fondamental et on le sait, constituera l’axe de Lacan qu’il ne le lâchera jamais. Celui-là vous le trouvez tout au long des Séminaires. Et il est là en 57. Pour penser la féminité il avance le concept du grand A. Il dit même dans le congrès sur la sexualité féminine, Autre absolu et il ne le lâchera jamais ce concept, même si évidemment il va subir un certain nombre de modifications. Il va le mettre au travail disons. Alors c’est pourquoi évidemment vous trouverez dans ce fameux Séminaire V ces chapitres fondamentaux où Lacan met en place la notion de métaphore paternelle, chapitres évidemment fondamentaux, c’est le second temps, très, très fort de ce séminaire, le Nom-du-Père ou Père Symbolique advient à la place premièrement symbolisée par l’absence de la mère. Mise en place du Nom-du-Père. Métaphore paternelle qui est strictement corrélative, justement, de la possibilité de penser les femmes comme autres et habitant le lieu Autre parce que le père va désigner un lieu Un même si ce lieu Un qu’il reprendra dans … ou pire, comme vous le savez, dans le  Yadl’Un  même si ce père est lui-même inscrit dans l’Autre bien sûr. C’est une difficulté logique qu’on sera amené à reprendre plus tard. L’Un s’abrite dans l’Autre mais peut s’en extraire, justement. Donc effectivement l’Autre n’est possible que parce qu’il y a de l’Un, bien sûr, pas de l’Un sans l’Autre mais pas d’Autre sans Un. Et l’Un donc précisément pointé par la métaphore paternelle.

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Alors juste quelques remarques à propos de cette mise en place du père comme symbolique, donc et forcément du phallus comme symbolique et non pas seulement comme imaginaire. Ce père symbolique s’inscrit comme ayant droit bien sûr sur la mère, sur l’objet primordial et donc frustre, prive la fille comme le garçon bien sûr, mais la fille se trouve donc, comme je vous le disais tout à l’heure, découvrir du même coup la castration maternelle et la sienne en même temps qu’elle se trouve rejetée au lieu de l’Autre. Mais évidemment son interprétation première – qui est exacte, c’est que bien sûr dans ce lieu Autre, elle est quand même destinée à poursuivre une autre lignée que celle de son père. Le passage au lieu de l’Autre est quand même là aussi traumatisant. D’abord, première découverte, ce n’est pas la mère qui a le phallus, ensuite le père ne lui transmettra pas l’insigne phallique, enfin dans ce lieu Autre il ne la reconnaîtra jamais, jamais comme femme, mais seulement comme fille ou future mère. L’Autre, vous voyez c’est un pas considérable mais il faut quand même reconnaître ces trois éléments.  D’où cette fois les rapports quand même de haine-amour avec le père, passion souvent douloureuse et évidemment hystérisation possible. Et pourtant, il ne faut pas oublier que c’est grâce à ce père symbolique que le lieu Autre est sexualisé et pas seulement un lieu de déchet. Si le père ne peut reconnaître sa fille comme femme, sous peine de risque d’inceste, bien sûr, c’est bien pourtant au père symbolique qu’elle doit la possibilité de devenir femme, éventuellement. Au père symbolique et pas à sa mère, pas à sa très puissante mère qui ne transmet pas la féminité à sa fille, symboliquement parlant. Elle peut transmettre de la féminité, bien sûr, mais pas la possibilité symbolique d’être une femme.

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Tout simplement parce qu’au niveau purement symbolique, purement symbolique, si vous prenez le pur père symbolique et bien effectivement le père se pose comme Un, mais posant le Un il pose automatiquement l’Autre. Et même allons plus loin. Alors ça c’est une question un peu plus mathématique. Le Père se pose comme Un dans le lieu de l’Autre. C’est le Père qui définit au départ même qu’il y a un lieu de l’Autre. Parce que le Un s’inscrit dans l’Autre. Alors, on le sent bien avec la question de l’au-moins-un. Voyez si vous substituez le terme, comme le fera plus tard Lacan, d’au-moins-Un, vous voyez que le Père est celui qui se met en dehors des hommes. Il est l’exception. Étant l’exception, il pose donc un lieu  autre que celui des hommes. Voyez. C’est pour cela que le Père c’est le 1 ou le 0, enfin, 0, 1, c’est l’histoire des mathématiques, de la naissance des mathématiques, de l’arithmétique plus exactement. Le Père c’est celui qui fait exception. Donc il est en dehors. Et donc il est où ? Eh bien il est dans l’Autre. Il n’est pas dans la réalité, enfin immédiate, si vous voulez. Il n’est pas parmi les hommes. Le Père symbolique n’est pas parmi les hommes. Il est dans un autre lieu. Donc c’est le Père qui, lui-même, fait jaillir un autre lieu. Il s’inscrit, il est inscrit lui déjà dans l’Autre. Donc, il y a de l’autre grâce au Père. Même si lui va effectivement dire : ma filiation, c’est du côté de l’Un, sa filiation directe. Alors au niveau des papas ben oui, c’est  effectivement… il faut bien qu’un père puisse faire entendre aussi, non seulement qu’il, enfin c’est la maman qui doit faire entendre que papa a quand même quelque chose qu’elle cherche mais il faut aussi que le père puisse faire entendre que justement il reconnaît quand même sa fille, qu’elle a droit à une reconnaissance qui est spécifique, mais qui existe. Alors c’est vrai que c’est délicat – comme nous savons – pour un père de reconnaître sa fille puisqu’il faut qu’il trouve la finesse à la reconnaître comme fille – pas comme femme –, mais la reconnaître quand même, donc dans quelque chose d’une « féminité », entre guillemets, puisque c’est quand même une fille ! C’est toute la délicatesse et la difficulté d’être père d’une fille. Je veux dire… oui, au niveau de l’homme réel, concret, du papa, qui doit reconnaître sa fille. C’est extrêmement subtil. Mais au niveau symbolique, c’est tout simplement parce que le père est une exception. Étant une exception, il est tout simplement dans le lieu Autre. Et c’est même pourquoi une femme aura, malgré tout, une certaine aisance à aller s’identifier à ce Père et à être l’au-moins-une. Vous voyez ces femmes Au-moins-Une qui peuvent être, vous savez, des tyrans et qui prennent la place de la toute-puissance du Père symbolique. Voilà. Parce que justement le père détermine le lieu de l’Autre et donc une femme étant dans le lieu de l’Autre, elle a une certaine facilité à glisser et à s’emparer de la place même du Père symbolique. Plus facilement, presque que celui d’un homme qui, lui, est dans la réalité. Mais le père symbolique, il est à sa portée. Donc les femmes peuvent s’identifier très facilement au père symbolique lui-même. Vous savez ces femmes qui peuvent être des divas bien sûr, naturellement, mais qui peuvent être aussi comme j’aime à dire des tyrannosaures. Si c’est du côté de la diva tant mieux. Voilà.  Parce que vous voyez c’est facile pour une femme parce que le Père symbolique est dans l’Autre, même s’il détermine un lieu dans l’Autre qui est le Un. Mais il est dans l’Autre. Le Un est dans l’Autre. Ce qui est normal puisque Un est un signifiant, il est forcément dans le lieu de l’Autre. Mais néanmoins vous voyez ce que ça induit. Mais c’est un signifiant particulier puisque il va exiger une lignée phallique.