Anthologie de Charles Melman

Charles Melman : Qu’appelle-t-on traumatisme psychique ?

Ce qu’il y a de bien dans le traumatisme psychique – parce qu’il y a quelque chose de bien dans le traumatisme psychique – c’est qu’il ne donne rien à voir et qu’il ne donne rien à entendre, ce qui fait que du même coup, la clinique en est forcément réduite, limitée. Rien à voir, la description est donc rapide, succincte, puisqu’il a simplement à noter qu’il s’agit d’un patient dépourvu en général de motricité et d’idéation. Il est comme on dit « stone » ! Et puis il n’a évidemment rien à proposer, rien à demander non plus. Et c’est donc un tableau à la fois impressionnant et en même temps passionnant pour essayer de repérer, premièrement ce qui est en cause, et puis deuxièmement qu’est-ce que l’on va essayer de faire pour ce patient qui a en outre la propriété de ne rien demander. Il ne demande rien.

Charles Melman : Qu’appelle-t-on traumatisme psychique ?

Charles Melman : Quelle autorité voulons-nous ?

Je suppose que si c'est chaque fois à la fin que l'on me demande de parler, c'est peut-être dans l'espoir que je parviendrai à délimiter finalement le trou autour duquel jusque là chacun des orateurs a essayé de tisser son parcours, de l'organiser, avec la question de savoir si la particularité de ce qui a ainsi animé chacun est susceptible de se résorber dans ce qui serait justement un intérêt général.
C'est ce que je vais tenter de faire, fidèle donc au rôle qui m'est habituellement échu, en faisant remarquer d'abord que notre relation à l'autorité est systématiquement pathologique. Je pense que là- dessus, on en conviendra aisément : il n'y a pas d'organisation sociale qui s'avère heureuse, satisfaisante, je dirai même marquant un achèvement de l'effort qui se poursuit depuis des millénaires pour que notre vie sociale s'avère - pourquoi pas ? Après tout - pas seulement masochiste mais également agréable.
Elle est pathologique doublement, réciproquement : D'abord à partir de l'autorité qui souffre de voir que ses administrés ne sont jamais à la hauteur, jamais comme il voudrait. Et de la part des administrés qui souffrent du fait que finalement leur chef n'est jamais à la hauteur, n'est jamais comme il faudrait. D'où cette double tentation dans laquelle nous sommes en général les uns et les autres qui est de s'accuser soi-même, de vivre dans la faute, dans la culpabilité tout en accusant bien sûr cette autorité qui aurait certainement pu ou dû arranger les choses autrement.

Charles Melman : Quelle autorité voulons-nous ?

Charles Melman : Psychopathologie de la vie quotidienne, les réponses de Jacques Lacan

Donc certains d’entre vous ont manifesté un intérêt légitime d’avoir quelque idée sur la personnalité de Lacan. Alors plutôt que de vous faire un croquis qui est toujours partiel, partial, caricatural souvent, j’ai pris le parti de vous lire une lettre de lui. C’est une lettre qui date du mardi de Pâques 1953, c’est-à-dire le 7 avril 1953, et qui se trouve adressée à son frère Marc, qui était frère bénédictin dans l’abbaye de Hautecombe. Voici donc cette lettre qui a été retrouvée dans les papiers par les Frères après la mort de Marc, et ils ont estimé que ces lettres revenaient légitimement aux élèves de Lacan. C’est comme ça que pour ma part j’en ai communication. Je ne pense pas qu’elle ait été publiée puisque c’est une lettre privée :

Charles Melman : Psychopathologie de la vie quotidienne, les réponses de Jacques Lacan

Charles Melman : Le don et le sacrifice

Je vais vous inviter ce soir à réfléchir sur un thème qui va sûrement vous égayer et qui s'appelle « le don et le sacrifice » avec pour commencer la recommandation sympathique de lire évidemment le travail de Marcel Mauss* sur le don. Cela ne se lit peut être plus tellement mais c'est toujours d'un excellent intérêt puisque ce travail montre le caractère, on va dire, non pas universel puisque son enquête n'est pas universelle mais elle est en tout cas cette enquête, anthropologique, elle est fort générale et de caractère donc fort général quant à la réaction habituelle face aux dons.

Charles Melman : Le don et le sacrifice

Charles Melman : L'enfance ratée des enfants d'immigrés

La culture c'est l'ensemble des interdits qui permettent à un certain nombre d'intéressés, par eux, de se rassembler. C’est ce qui fait qu’on se rassemble, que l’on a donc en partage, c’est ce que l’on partage, non pas les mêmes biens mais le Bien suprême, c’est-à-dire les interdits. C’est ça la culture. Et dès lors chacun va porter sur soi la marque de ce bord, de ce qui fait bord, et c’est comme ça que l’on s’identifie, qu’on se reconnaît. Et qui du même coup puisque nous sommes quand même légèrement paradoxaux, que l’on doit attribuer – car nous sommes également anthropomorphes – à celui qui serait responsable de ces interdits de se tenir comme une instance idéale et que l’on va aimer. Nous sommes comme ça. Moi je n’y peux rien, je n’ai rien décidé là-dessus, je n’ai même pas pris d’options. C’est comme ça. On aime, on veut faire exister celui à qui on attribue la paternité, je me sers évidemment de cette métaphore à bon escient, la paternité des interdits qui nous rassemblent.

Charles Melman : L'enfance ratée des enfants d'immigrés

Charles Melman : Tu seras un homme ?

… Oui, « Tu seras un homme ? » Je n’en suis pas sûr… mais on ne sait jamais !
Pour en tout cas essayer de remercier Jean Birnbaum pour le plaisir et l’intérêt que nous procure sa communication, et qui nous donne un panorama si juste sur le débat intellectuel dans notre pays et nous éclaire sur ce qu’il en est de sa propre position à cet égard, je lui demanderai de me permettre une excursion, un exil.
Oui, pour décrocher un peu de cette lecture très positivée que nous avons des évènements, en oubliant que ces évènements ne sont jamais que la traduction, que l’expression de textes, et que le problème du rapport au texte c’est, certes ce qu’il peut dire mais aussi la façon dont on le lit, puisqu’on peut très bien en faire effectivement des principes de commandements, mais à tel endroit, très précis, on peut estimer que c’est purement allégorique, métaphorique. Et l’on en revient alors à ce qui est un rapport légitime et ordinaire de ce qui nous lie à tout texte, en nous rappelant comment un texte est fabriqué, c’est-à-dire que c’est fait justement de métaphores, de métonymies, que ce n’est jamais qu’une façon d’écrire, qu’une façon de parler, et que donc notre responsabilité vis à vis de ce texte sera sûrement la façon dont nous allons vouloir le lire, autrement dit le bénéfice que nous pouvons en retirer, le type de plaisir que nous pouvons y prendre. Et à cet égard, je me permettrai tout de suite de dire que par exemple, dans les modes de lecture islamiques, il en est un (un mode de lecture) qui est le mode de lecture nommément soufi, et avec lequel je dois dire, je me trouve sûrement en plein accord dans le déchiffrement d’un texte qui est cependant le même, offert donc à des interprétations fort diverses, posant dès lors la question : mais quels sont les intérêts, bien entendu qui sont toujours présents – c’est bien légitime – et qui commandent plutôt telle lecture que telle autre.

Charles Melman : Tu seras un homme ?

Charles Melman : L'amour est un mur

Alors puisque c’est la dernière séance de ce cartel pour l’année, je vais donc tout vous dire sur l’amour, parce que je trouve que c’est bien nécessaire, et donc je vais tâcher de me rendre utile… hein, pour une fois !
J’ai l’air de plaisanter, alors que c’est un sujet avec lequel, vous remarquerez, on ne plaisante pas. L’amour ça n’incite pas à l’humour, c’est très sérieux ! Ça incite éventuellement aux lamentations comme le mur que j’évoque dans mon titre, mais en tout cas pas à la plaisanterie. Et je crois que lorsque des sociologues plus tard, un peu plus tard, parleront de nous, ils diront qu’à une époque qui pour nous était résolument rude, scientiste, éminemment sécularisée, dans ce contexte donc où triomphait la technologie, néanmoins nous avions la célébration curieuse d’un dieu susceptible de posséder, souvent à sa surprise, tel ou tel, et dans un contentement et consensus général, le mener en dépit de ce qu’il pouvait croire, ou penser, ou vouloir, et le mener dans l’attrait pour une personne à des extrémités qui pouvaient aller jusqu’au meurtre – c’est ce qu’on appelle un crime passionnel –, et cela dans une espèce d’indulgence singulière, voire de complicité. Et donc, je crois que les sociologues souligneraient cette curieuse façon que nous avions… Vous voyez, je parle déjà comme si j’étais passé de l’autre côté ! …de cette curieuse façon que nous avons, non pas de célébrer ce dieu, mais d’aimer être possédé par lui.

Charles Melman : L'amour est un mur

Charles Melman : Ça m'est égal

J’ai été évidemment admiratif, à la fois de l’exposé d’Évelyne Bruant extrêmement précis dans son élaboration théorique, et puis ensuite du vôtre, Madame, puisque vous avez là où j’espérai […] – et ce qu’il dit justement sur les rapports entre homme et femme et qui sont toujours fort intéressants –, vous avez choisi un auteur très moderne, puisque justement, il traite du rapport au semblable en éliminant cette différence, dont on peut quand même estimer qu’elle n’est pas quelconque et qui est donc la différence sexuelle.
Je n’entrerai pas dans les anecdotes, puisqu’il m’est arrivé d’avoir l’occasion de connaitre un peu ce qu’il en était de la vie familiale d’Emmanuel Levinas, et il est bien évident qu’il était comme la plupart, c’est-à-dire concerné bien sûr par les rapports qu’on peut avoir avec une femme et la mère de ses enfants, tout ça est bien normal, sauf qu’on s’étonnera que dès lors, cette relation qui ne peut pas être quelconque, soit radicalement absente de son élaboration théorique.

Charles Melman : Ça m'est égal

Charles Melman : Présentation de malade

L’art de la présentation de malade est parfaitement illustré par « La leçon d’anatomie » de Rembrandt. D’honorables bourgeois y sont rassemblés pour voir, grâce au talent du maître chirurgien, les dispositions de l’intérieur du corps. Il faut apprendre, dira Lacan, à faire passer le scalpel par les bonnes jointures, l’instrument qui découpe étant en psychiatrie le concept.

Charles Melman : Présentation de malade

Quelle est la nature du dieu à l'œuvre dans les passions ?

Mesdames et Messieurs, permettez-moi d'abord de remercier l'Association Guillaume Budé et les organisateurs de ce colloque, en particulier M. le Professeur Jean-Louis Ferrary et Mme la Professeure Sylvie Franchet d'Espèrey, d'avoir eu l'audace d'inviter un psychanalyste pour ouvrir vos débats. Nous saurons rapidement si leur audace aura été satisfaite et récompensée ou pas.
Pour ce qui me concerne, j'ai accepté sans hésiter un instant votre invitation, dans la mesure où l'Association Guillaume Budé était connue par ses publications du lycéen hellénisant que je fus dans cette ville-même. C'était dans les années 1942, 1943, 1944, cela se passait dans l'annexe du lycée Ampère, avenue de Saxe. Monsieur Boudot était notre professeur, c'est là donc que j'avais pu apprécier les publications de l'Association, celles-ci m'apparaissant comme le refuge des esprits lettrés et de l'humanité. Il est bien évident que c'était une époque remarquable par le déferlement des passions, des grandes passions collectives, dont il était clair, sans avoir besoin d'être savant, que ce qui les dominait, ce qui les agençait, c'était le mensonge. La question dès lors restant ouverte - et je suppose qu'elle anime, explicitement ou secrètement, vos débats - de ce qui serait à même de répondre à ce qui reste cette étrange passion de la vérité susceptible de nous animer. La question reste donc de savoir s'il y aurait quelque objet, quelque corps, apte à être généralement reconnu comme venant répondre à notre passion de la vérité et, du même coup, à la pacifier.

Quelle est la nature du dieu à l'œuvre dans les passions ?

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