Annie Douce : Introduction à la journée "Nos enfants sont-ils devenus des SDF"

Reims, Journée ALI-EPhEP, le 18/11/2017

Introduction

 

Je remercie d’abord l’EPHEP et Charles Melman de nous avoir permis d’organiser cette journée et je vous remercie d’être là.

 

Permettez-moi de vous faire part de quelques remarques et quelques questions.

 

Nos enfants sont-ils devenus des SDF ? Ce titre provocateur proposé par Charles Melman a été plutôt bien accueilli à Reims. Titre provocateur puisque lorsque je suis allée proposer une affiche à une librairie à côté du Palais de Justice, le libraire me l’a d’abord refusée sous prétexte qu’elle n’était pas intellectuelle, qu’elle était provocatrice. Il ne l’a finalement acceptée qu’en trouvant dans le programme le nom de Monsieur Donnadieu.

 

Nos enfants sont-ils devenus des SDF ? Je n’en dirai pas plus car Hélène Genet nous analysera ce titre tout à l’heure.

Puis ce fut l’illustration. Charles Melman m’a envoyé des petits lapins, qui apparaissaient terrorisés et moribonds - ils ont d’ailleurs meilleure mine sur le flyer qu’au départ - et puis que représentaient-ils ? Nos enfants ? C’était la grande question. Ils furent donc plutôt mal accueillis, déclenchant le rejet et les rires. Heureusement un ami m’a fait remarqué qu’il y en avait quand même un qui se dressait parmi les autres, c’est le chef de bande auquel Charles Melman va peut-être faire à nouveau référence.

 

Puis ce fut l’argument, que j’ai donc diffusé largement. Pas d’écho, pas de commentaire, aussi j’ai décidé de vous le lire :

« Nos enfants sont-ils devenus des SDF ? Le domicile familial comporte régulièrement entre ses membres un locataire de plus : l’ancêtre de la lignée dans laquelle cette famille est supposée s’inscrire.

Certes l’autel d’un dieu lare n’est plus entretenu. Mais, et même laïcisée, cette inscription découpe dans l’espace, et aussi bien l’espace psychique, un lieu que l’enfant peut investir comme sien.

Puisque nous n’en sommes plus là, compte tenu de l’évolution du groupe familial, quel serait aujourd’hui le lieu susceptible de servir d’assise à la subjectivité de l’enfant ? »

 

L’autel d’un dieu lare, d’un dieu du foyer n’est plus entretenu. Quel est le lieu découpé par la présence de l’ancêtre dans l’espace et dans l’espace psychique ? C’est le lieu de l’instance phallique que l’enfant pouvait investir. Il ne peut plus le faire, pourquoi ? Il ne peut plus s’autoriser que de sa propre existence, pourquoi ? Ce faisant, est-il devenu SDF ?

 

L’enfant a affaire aujourd’hui, comme nous autres, au discours capitaliste, tel que l’a défini Lacan dans sa « Conférence de Milan » en 1972.  Du fait du discours capitaliste, il n’y a plus d’impossible, d’autorité, de référence à un savoir qui tiendrait grâce au transfert. On a affaire à la gestion. La mutation est culturelle et sexuelle, on le dit partout, on le voit partout, on l’entend partout. Dans « L’homme sans gravité », Melman nous dit que nous avons affaire à l’effacement d’un lieu de recel, propre au sacré. De ce lieu, l’autorité, le commandement pouvait s’autoriser. De ce lieu de l’autorité et du sacré, se légitimaient les commandements dans notre culture, la loi pour la cité et la famille.

Comme nous le montre la cathédrale de Reims, que nous avons visitée à quelques-uns ce matin, le pouvoir était forcément théologico-politique, car le pouvoir venait de Dieu par délégation. Les républiques laïques ne sont pas complètement débarrassées de cet héritage.  

Mais nous avons fait un progrès énorme dans lequel nous pensons avoir gagné la liberté. Nous avons pris la mesure que le ciel était vide de Dieu, ainsi que des idéologies, des promesses, des références et des prescriptions. Le pouvoir politique s’est laïcisé, il n’est plus théologico-religieux.

Mais dire que le ciel est vide, qu’il n’y a rien dans l’Autre, ne veut pas dire que le grand Autre, que ce lieu est aboli, il est là, même s’il n’y a plus rien qui lui donne autorité.

Si l’enfant ne peut plus investir le lieu de l’instance phallique, s’il a affaire à la vacuité du lieu de l’Autre, peut-on dire qu’il n’a plus d’abri, qu’il ne peut être que SDF ? Dès lors, quel lieu l’enfant est susceptible de trouver, quel lieu pouvons-nous lui proposer qui puisse servir d’assise à sa subjectivité ? »

 

Christian Donnadieu, Hélène Genet et Thierry Delcourt, vont nous dire comment chacun dans leur domaine, ils sont confrontés dans leur pratique à ses questions.

 

Pour ma part je dois dire que, ayant fermé mon cabinet, je travaille depuis un an, dans un lieu formidable qui s’appelle le « Point Ecoute Jeunes » ouvert voici trois ans sous l’égide de la municipalité de Reims. Petite structure, confortable, moderne bien dotée, nous sommes quatre « psys », priés d’accueillir et d’écouter les jeunes entre 11 et 24 ans. Nous bénéficions même actuellement d’une publicité dans les autobus ! Que viennent chercher les jeunes et leurs familles au « Point Ecoute Jeunes » ? Certainement à mon sens une adresse, un transfert possible. On y travaille plutôt bien et on reçoit les jeunes très rapidement, ce qui aujourd’hui est quand même finalement un plus. Malheureusement et je l’ai énoncé dès mon arrivée, nous ne voyons venir aucun jeune des quartiers populaires, Croix Rouge, Neufchâtel, Pont de Witry, et nous passons donc à côté de notre rôle pour une partie importante de la population rémoise. Nous allons essayer d’aller vers ces jeunes, cela semble acquis. Pourquoi tout nouvel outil a tant de mal à être utilisé par les moins nantis ? Ça c’est vraiment et toujours l’éternelle question.

 

Je partage aussi depuis deux ans au lendemain des attentats du Bataclan, l’activité de la Licra de Reims. La Licra fait un travail remarquable dans les écoles des quartiers populaires et du centre ville. Là, finalement, on va vers toutes les écoles et tous les collèges. Claude Secroun qui est donc présent aujourd’hui, et je l’en remercie, invité par Josiane Quilichini dans la « Journée sur le malaise de l’identité » nous a fait un excellent exposé « Collégiens, une étiquette identitaire » sur finalement l’action de la Licra de Reims dans les écoles.

Devant des jeunes, perdus dans les notions d’origine, de nationalité et de religion, l’éthique et la morale défendues  par la Licra est celle de la laïcité. Laïcité qui permet de vivre ensemble en respectant les autres, permettant à toutes les religions de cohabiter et d’être finalement respectées. Ce qui est inculqué par la Licra, c’est que finalement les lois de la République sont supérieures, passent avant les lois religieuses. C’est ainsi aussi que l’Etat aujourd’hui, essaie de présenter les choses. Mais ma question est la suivante : cette notion de République peut-elle être une instance, un lieu suffisant pour être susceptible de servir d’assise à la subjectivité de l’enfant ? Je n’en suis pas convaincue.

Claude Secroun, qui a une grande expérience de ces problèmes, qui est Président National de la Commission de l’Education de la Licra, m’a confirmé mardi dernier dans une discussion, l’opinion finalement que j’avais. « Depuis, m’a-t-il dit, qu’il y a sécularisation. Il y a un manque, il y a finalement une perte, la notion de République est insuffisante ». Donc il m’a confié : « il faudrait inventer quelque chose », mais malheureusement, il ne m’a pas dit quoi. Donc depuis mardi je suis avec cette question là.

 

C’est donc à cette question, finalement, que nous allons être suspendus cet après-midi, quel lieu aujourd’hui est susceptible de servir d’assise à la subjectivité de l’enfant ?

 

Annie Douce